Nous fûmes alors emportés par un carrousel infernal...
Le spectacle auquel nous assistions se révélait d'une beauté féerique. Les différentes couleurs, qui donnaient un aspect si particulier à cet astre énorme, dépendaient de la profondeur de ses nuages. Ces derniers prenaient à présent du relief dans la troisième dimension, à cause de notre faible altitude.
Les gaz chauds, qui remontaient des entrailles de la planète, laissaient apparaître les nuages blancs de la couche moyenne et les gaz plus froids replongeant vers l'intérieur. Les tourbillons qu'ils provoquaient révélaient des substances brunâtres qui procuraient à la surface sa teinte ambrée.
Une gigantesque tache ovale se déplaçait, telle une cicatrice, sur ces élégants dégradés de couleur. Il s'agissait d'un énorme ouragan qui résultait de la libération de l'énergie engendrée par la formation initiale de cet astre. La taille de la cinquième planète était assez grande pour qu'elle puisse, un jour, devenir une véritable petite étoile, tel un volcan éteint, mais toujours en activité.
Des éclairs qui émanaient de ses sombres profondeurs vinrent entourer notre vaisseau, comme autant de langues de dragons tentant d'agripper leur proie, bien téméraire de s'être aventurée jusqu'ici. L'accélération centrifuge provoquée par notre trajectoire nous colla à nos sièges. Nous n'avions pourtant pas encore enclenché nos réacteurs. Cela ne se passerait qu'à la dernière seconde, car cette manœuvre dénoncerait irrémédiablement nos intentions.
Et c'était à moi qu'incombait la lourde responsabilité de l'exécuter ! Pas question de succomber au voile noir, provoqué par la diminution de la quantité de sang qui arrivait à mon cerveau, il me fallait rester lucide et conscient.
Judas, quant à lui, n'eut pas le temps d'admirer le magnifique spectacle auquel nous assistions à travers nos hublots. En tant que responsable du système informatique, il allait devoir neutraliser l'ordinateur de bord.
Mon jeune camarade se dirigea vers le cœur du réacteur principal qui abritait le cortex cybernétique de notre intelligence artificielle. Il allait tenter de l'assoupir en ne laissant en état de marche que quelques-uns de ses circuits automatisés, essentiels au bon fonctionnement du vaisseau.
Sa mission n'était pas sans danger. Il ne disposerait que de quelques minutes pour revenir de l'autre côté du miroir protecteur, avant que je n'enclenche la pleine puissance. Cela devrait se passer, au moment précis où nous cesserions d'accélérer uniquement grâce à la force centrifuge générée par notre trajectoire orbitale.
L'effet de surprise recherché serait déterminant. La fermeture d'une partie des fonctions de l'ordinateur, ainsi que l'allumage de nos réacteurs, éveilleraient certainement les soupçons du Centre de Contrôle, et provoquerait l'intervention immédiate des forces de sécurité. Il fallait donc que ces deux manœuvres aient lieu au tout dernier moment, et de façon quasi simultanée... Tout cela, en laissant à Judas le temps de se mettre à l'abri, avant notre accélération, qui allait pratiquement décupler notre poids !
Nous le vîmes entamer sa descente vers le réacteur principal dans la pénombre. Il se retourna une dernière fois pour nous regarder à travers la demi-magnétosphère qui surmontait son encombrante combinaison, comme s'il pressentait qu'il pourrait ne plus jamais nous revoir.
De longues minutes s'écoulèrent sans que nous n'ayons plus aucune nouvelle de lui... Ses communications radio avaient sans doute été dégradées par la tempête électromagnétique que nous traversions. Ou peut-être avait-il déjà atteint le réacteur ?
Soudain, une énorme secousse fit vibrer le vaisseau tout entier, comme si quelque chose venait de nous heurter violemment. Était-ce le signe que l'ordinateur avait bien été débranché ? Aucun d'entre nous n'en avait la moindre idée. Cette manœuvre n'avait, bien évidemment, jamais été simulée lors de nos séances d'entraînement virtuel.
Un terrible cri, semblable à une vague de terreur, résonna alors dans nos coursives. Pouvait-il provenir de Judas ? S'agissait-il d'un avertissement ou d'un appel à l'aide ? Nous étions incapable de répondre à ces questions qui surgissaient en écho à l'inquiétude grandissante de n'avoir aucune réponse à nos appels désespérés.
Le moment était néanmoins venu pour moi d'enclencher la pleine puissance de nos réacteurs :
— Dix secondes, cinq, quatre...
Mon compte à rebours prenait l'allure d'une sentence qui ne tarderait pas à être mise à exécution ; comme si, à la fin de celui-ci, des centaines de missiles allaient subitement foncer vers nous pour nous punir de notre indiscipline. Il nous fallait pourtant agir... vite !
— Trois, deux, une... Accrochez-vous, nous voici embarqués dans l'ascenseur des étoiles !
À l'instant précis où ces paroles résonnèrent dans ma gorge asséchée, je mis les quatre manettes à plein régime. Elles ne pouvaient rester dans cette position plus d'une trentaine de minutes, et cela uniquement en cas de nécessité absolue... Nous nous retrouvâmes écrasés au fond de nos sièges.
Nous pesions à présent près de huit fois notre poids normal ! Cette poussée phénoménale allait nous faire atteindre notre vitesse maximale. Nous espérions qu'elle générerait une distance suffisante entre nous et nos éventuels poursuivants.
Les transmissions radio qui émanaient du Centre de Contrôle nous parvenaient hachées, incompréhensibles. Notre vision, de même que tous nos autres sens, se dégradaient peu à peu sous l'effet de l'accélération à laquelle nous étions soumis. Nous pouvions, malgré tout, vaguement distinguer, sur nos écrans et dans nos écouteurs, l'excitation provoquée par notre manœuvre inattendue. Luc eut à peine la force de nous avertir de ce que chacun d'entre nous redoutait :
— Des missiles !!! Ils viennent de lancer une salve de missiles à nos trousses ! Ils accélèrent à plus de deux cents G's... Nous sommes encore à leur portée !
Il largua aussitôt, au prix d'un effort surhumain, nos mines anti-météorites. Celles-ci flottèrent à la rencontre des fusées qui se dirigeaient vers nous à grande vitesse. Leur explosion provoqua la déflagration des ogives nucléaires que la planète géante venait de tirer. Pour un bref instant, qui nous sembla durer une éternité, une nouvelle étoile se mit à briller derrière nous !
Il était étonnant que la Fédération ait donné son accord de façon si rapide à l'emploi de telles armes. Nourrissait-elle déjà de sérieux soupçons à notre égard ? Notre ordinateur de bord les avait-il avertis des actes que nous allions commettre ? Ce ne fut qu'après le sursis provoqué par cette explosion salvatrice que nous eûmes le temps de nous inquiéter du sort de Judas. Nous n'avions plus eu aucune nouvelle de lui depuis son départ.
L'accélération que nous subissions ne devait plus lui permettre de se déplacer vers l'avant du vaisseau. Il avait en tout cas réussi à exécuter sa mission. Nous avions acquis le contrôle manuel du TXL1138, sans que l'ordinateur vienne nous en empêcher.
Une situation que nous n'avions pas pris le temps d'analyser en détail se présenta soudain à nous. La trajectoire empruntée pour nous lancer vers Alpha du Centaure nous dirigeait à nouveau vers la sixième planète. Nous nous approchions d'elle à une vitesse phénoménale, sans avoir la possibilité de corriger notre course ! Il nous fallait impérativement maintenir notre cap vers notre lointaine destination. Une manœuvre d'évitement nous aurait ralentis de façon trop importante.
Les anneaux, que nous avions frôlés, si peu de temps auparavant, en admirant leur fascinante beauté, se présentaient cette fois-ci sous un tout autre aspect. Nous allions devoir les traverser sous un angle d'environ vingt degrés, ce qui les transformerait en un véritable mur de glace et de roches auquel même notre magnétosphère ne pourrait résister ! Les petits astéroïdes dont ils étaient composés auraient l'effet de milliers d'obus de canons qui transperceraient les parois de notre vaisseau, comme du vulgaire carton._____________________________________________________
Le vaisseau va-t'il s'écraser contre les terribles anneaux de la sixième planète ? Quelle ironie du sort. Tous leurs rêves risquent d'être réduits à néant avant même de pouvoir se concrétiser...

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Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)
Science FictionDérivant dans les profondeurs d'un des nombreux univers de la création, un monde sans âme abrite de terribles secrets... Les individus qui en font partie n'y ont plus droit à un nom, ni à une quelconque identité. Ils sont devenus les "ouvriers" de c...