Une fois rentrés dans leur chambre, les quatre cadets ne trouvèrent pas immédiatement le sommeil. Ils entamèrent une timide conversation accompagnée du ronronnement omniprésent des réacteurs à fusion :
— Quelle journée ! tu nous as fait une belle frayeur, soupira la fille en s'adressant à son ancien instructeur, devenu chef de patrouille des Bleus.
— C'est vrai, j'ai perdu la main. Ça faisait bien trop longtemps que nous n'avions plus mis notre cul à bord de nos chasseurs. J'aurais dû avorter la manœuvre !
— Ne t'en fais pas. Comme l'a dit le Boss : aujourd'hui c'était toi, et demain ce sera l'un d'entre nous, reprit l'indiscipliné dans l'obscurité.
— L'un... ou l'une, rajouta celle qui avait brisé le silence. Il va falloir que nous nous entraidions de façon plus efficace. Notre équipage doit devenir notre priorité absolue !
— Bleus. Un pour tous... tous pour un, pas vrai ? Comme on nous l'a appris dans la pyramide ! ajouta le troisième garçon en simulant avec ses mains jointes deux chasseurs en formation. C'est déjà bien loin tout ça... J'ai l'impression d'être ici depuis toujours. Je ne me souviens même plus à quoi ressemblait notre vie à l'école de pilotage.
— Tu as raison, acquiesça la fille fixant de ses yeux, grands ouverts, le plafond de la cabine. J'ai complètement oublié les autres membres de notre promotion... C'est comme s'il n'y avait jamais eu que vous deux !
— Vous n'allez pas vous mettre à pleurnicher, répondit l'aîné, se sentant légèrement mis à l'écart. Votre promotion est de loin l'une des meilleures que j'ai connue. Seul un élève pilote, que j'ai eu l'occasion de côtoyer auparavant, serait parvenu à vous égaler... et même plus !
— Ah bon. Et de qui s'agit-il ? demanda-t-elle. S'il était si doué, il devrait être parmi nous, sur cette frégate !
— C'était la plus grande tête brûlée que l'école ait jamais connue, reprit l'ex-instructeur. Il a poussé le panache jusqu'à ramener à la base son chasseur sérieusement endommagé, étant lui-même entièrement couvert du sang d'un ptérodactyle qu'il venait de décapiter ! Il avait perdu sa verrière au cours d'un combat singulier contre la pauvre bête.
— Mais c'est interdit ! Personne n'a le droit d'entrer en contact avec les dinosaures, reprit l'indiscipliné en se redressant sur sa couchette.
— Ce n'était pas vraiment de sa faute. Le volatile s'était attaqué à lui pour défendre son nid, son territoire. Mais il fut sévèrement réprimandé, malgré tout.
— À quel équipage fut-il assigné, ce surhomme ? demanda à nouveau la fille, d'un air intéressé.
— Au Transport, sur un des nouveaux vaisseaux cargo de classe TXL.
— Comme celui que nous sommes en train de poursuivre ? répondit l'autre garçon.
— Quelle punition ! soupira sa camarade de promotion. Pourquoi pas sur une de nos frégates, s'il était si doué ?
— Ses résultats ne furent plus très brillants une fois qu'il eut réintégré la pyramide... il devait avoir perdu le feu sacré.
— Dommage, reprit-elle. J'aurais bien aimé voler à ses côtés !
— Arrête de rêver, Princesse, s'exclama l'indiscipliné en se recouchant. La Fédération a déjà dû le trouver, ton prince charmant ! Il doit sans doute t'attendre sur ses bancs d'école.
— Tu sembles avoir oublié que nous sommes embarqués dans un voyage d'une trentaine d'années... si pas soixante ! répondit-elle ironiquement. Pas de rencontre romantique organisée par le Conseil Suprême pour l'instant, les enfants. Et à voir la proportion de garçons et de filles à bord de notre vaisseau, c'est plutôt pour vous que la nouvelle s'annonce amère... Bonne nuit les gars ; faites de beaux rêves !
Sur cette remarque plus que pertinente, le silence s'installa enfin dans la cabine.
Les journées d'entraînement se succédèrent à un rythme effréné, ce qui eut pour effet de mettre le moral de l'équipage au zénith. Les pilotes ne furent pas les seuls à profiter de ce relent d'activité ; les techniciens, contrôleurs, mécanos, armuriers... tous sentirent naître en eux l'immense fierté d'avoir été choisis afin d'exécuter cette mission essentielle à l'avenir de leur société.
Le professeur responsable des recherches destinées à effectuer le saut temporel n'était plus sorti de son laboratoire depuis longtemps. La plupart des membres de l'équipage semblaient l'avoir complètement oublié, n'accordant que très peu d'attention à l'évolution de ses travaux.
Il avait pourtant continué d'observer discrètement ses quatre futurs cobayes avec beaucoup d'intérêt, dans le but de mieux connaître leurs personnalités respectives. Il voulait être à même de prévoir leurs réactions dans les situations extrêmes auxquelles ils seraient bientôt confrontés.
Le premier test qu'ils allaient devoir subir était basé sur l'aspect physiologique et psychologique du saut temporel. Le corps humain n'avait certainement pas été conçu pour les énormes facteurs de charge engendrés par les petits chasseurs embarqués à bord de la frégate... mais encore bien moins pour des excursions dans les profondeurs de l'espace-temps !
Le jeune savant avait transformé une des petites sphères de réalité virtuelle, destinée à la détente de l'équipage, la rendant capable de se déplacer dans le temps. Il projetait d'y installer ses cobayes afin de leur faire exécuter des sauts de plus en plus importants... dans l'avenir uniquement ; vu les multiples dangers que représentaient les voyages dans le passé.
En effet, ces derniers impliquaient l'éventualité d'un dérapage temporel risquant de dangereusement altérer le déroulement des événements. Revenir dans le temps rendait possible la création d'une nouvelle réalité qui entrerait en conflit avec celle qui existait précédemment. C'est ce que l'on appelait, dans le jargon des scientifiques : le « paradoxe temporel ».
Il s'agissait, par exemple, de provoquer une situation ambigüe où un enfant viendrait accidentellement tuer l'un de ses propres parents avant même d'être né, ce qui entraînerait irrémédiablement sa disparition de cette ligne temporelle ! Problème ne se posant pas dans le cas des bonds dans le futur.
Après de nombreux tests couronnés de succès sur de petits animaux, il convoqua ses quatre nouveaux cobayes humains qui se présentèrent à son laboratoire en tenue de vol, comme ils en avaient reçu l'ordre.
Lorsqu'il leur demanda lequel d'entre eux désirait être le premier à faire l'essai d'un petit saut, de cinq minutes à peine dans l'avenir, la fille leva immédiatement la main en disant :
— Pas de problème ! Cela ne pourra que me rajeunir, par rapport à vous... je suis partante !
— Et si ça foire, tu seras transformée en poussière spatio-temporelle, s'exclama l'ancien du groupe. À toi l'honneur, Princesse !
— Arrêtez de m'appeler Princesse, les gars ! Ce n'est pas poli de mettre des étiquettes aux gens. Je ne suis pas différente de vous.
— Pas mal du tout... belle personnalité, conclut le savant. Entre dans cette petite magnétosphère et prend place sur l'un des sièges. Ils ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux de vos chasseurs... histoire de ne pas trop vous dépayser !
— Une minute, répondit-elle avant d'obtempérer. C'est bien beau tout ça... Mais, pour le peu que j'en sache, comment me ferez-vous voyager dans le temps sans que ma petite bulle n'atteigne la vitesse de la lumière ?_____________________________________________
En effet ? Comment est-il possible de se déplacer dans le temps ?

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Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)
Science FictionDérivant dans les profondeurs d'un des nombreux univers de la création, un monde sans âme abrite de terribles secrets... Les individus qui en font partie n'y ont plus droit à un nom, ni à une quelconque identité. Ils sont devenus les "ouvriers" de c...