Cette planète était habitée par de nombreux couples de travailleurs, éparpillés entre la petite dizaine de colonies immergées qui venaient d'y être installées. Ils vivaient et travaillaient dans de grandes coupoles, devenues de véritables cités englouties. Leurs dômes étaient soutenus par une armature métallique, destinée à leur permettre de survivre aux pressions extrêmes qui s'exerçaient sur eux.
Leur base était renforcée afin de résister à l'échauffement provoqué par la descente dans l'atmosphère qu'elles avaient toutes irrémédiablement dû subir. Celle-ci avait été qualifiée par les premiers colons de « descente aux enfers » à cause des gigantesques flammes, qui vinrent les entourer lors de cette manœuvre, pour le moins spectaculaire !
Chacune de ces cités était équipée d'énormes réacteurs qui leur donnaient la possibilité de se mouvoir à une vitesse maximale d'une bonne centaine de nœuds. Cela devait leur permettre d'échapper à la plupart des tempêtes dévastatrices, très fréquentes dans l'atmosphère turbulente de la géante gazeuse.
Une flottille de petites navettes assurait, depuis peu, des rotations fréquentes entre ces colonies immergées et un dôme de détente, plus grand et plus léger, flottant en surface sur des couches de gaz moins denses.... Les couples de colons pouvaient ainsi altérer les périodes de travail dans les sombres profondeurs avec de courtes périodes de repos à l'intérieur de ce dôme récréatif. On pouvait y admirer le splendide spectacle offert par les anneaux, éclairés par notre soleil ou par la lumière réfléchie d'une ou de plusieurs des nombreuses lunes de la sixième planète.
Ce nouveau dôme abritait l'équivalent d'une véritable petite métropole, offrant assez de commerces et d'endroits de divertissement pour faire oublier aux travailleurs les terribles conditions de vie qui régnaient dans les couches plus profondes. La sixième planète n'était pas très hospitalière, mais ses ressources, pratiquement inépuisables, en firent très rapidement la destination principale de la plupart des jeunes enfants formés dans les pyramides du Système Préparatoire.
Nous avions rendez-vous avec une navette contenant notre future cargaison de gaz et de glace... ainsi qu'un bon millier d'Indésirables, issus de ses colonies. Ces dernières avaient, tout récemment, été confrontées à de nombreux problèmes d'indiscipline et de rébellions ; probablement provoqués par les rudes conditions de travail qui y régnaient. Nous allions conduire ces brebis galeuses, tels des bergers interplanétaires, vers un endroit où ils seraient « soignés ».
Nous n'avions, bien heureusement, pas le temps de ressasser tout cela trop en détail. Il nous fallait à présent, comme la procédure le prévoyait, ouvrir l'énorme mâchoire de notre vaisseau afin d'accueillir notre fret ainsi que nos passagers. J'actionnai la série de commandes nécessaires et, à mon grand étonnement, rien ne se passa...
Ce ne fut qu'après quelques interminables secondes qu'un bruit sourd, accompagné d'un tremblement semblable à celui d'une secousse sismique, nous indiqua que la gueule du monstre était en train de s'ouvrir.
La grosse navette se rapprocha lentement de nous. Sa section correspondait de façon exacte à celle de l'énorme mâchoire qui venait d'apparaître sous notre proue. Elle s'y engouffra silencieusement. Une fois les sas de connexion pressurisés, le transfert de nos passagers et de notre précieuse cargaison commença. Nous entendîmes des chocs, des gémissements et des plaintes, rapidement étouffés par la fermeture brutale des cloisons menant à l'intérieur des coupoles...
La navette ne tarda pas à nous quitter lorsque la totalité de notre chargement fut embarquée et qu'elle eut engrangé les vivres que nous étions supposés délivrer aux colonies. Nous reçûmes alors l'ordre d'altérer notre trajectoire orbitale afin d'entamer la prochaine étape de notre voyage. Nous allions nous diriger vers la cinquième planète, afin d'utiliser sa formidable force gravitationnelle pour nous propulser vers le point de largage de nos quatre coupoles contenant les Indésirables.
C'est là que nous les laisserions dériver vers leur mystérieuse destination... La promesse nous fût faite que nous pourrions rapidement rejoindre nos compagnes et bénéficier d'un repos bien mérité, une fois notre mission accomplie. Cette nouvelle eut l'effet escompté... Notre petite équipe n'avait plus qu'une chose en tête : retourner sur notre bonne vieille planète natale et sortir de l'enfer du vide spatial qui nous emprisonnait depuis bien trop longtemps déjà !
Petit à petit, notre exaltation fut effacée par la monotonie de ce nouveau voyage qui nous sembla encore plus long que le précédent. Nous avions tout d'abord à effectuer une orbite complète autour de la sixième planète afin de nous propulser dans la bonne direction. Une inexplicable amertume s'installa en moi au fil des jours qui s'écoulaient de façon anormalement lente et sordide. Ces « bannis », que nous n'avions encore jamais vus et que nous n'entendions même plus, hantaient sans cesse ma conscience. Mes compagnons semblaient également afficher le désarroi qui reflétait exactement l'état d'esprit dans lequel je me trouvais.
Je sentais une rage silencieuse, venant du plus profond de mon subconscient, lentement mais sûrement m'envahir. Une voix semblait sans cesse s'adresser à moi, me suppliant d'aider nos malheureux passagers. Elle se faisait de plus en plus pressante, nous enjoignant de changer le cours de notre destinée.
Nous étions dix cadets, assignés à convoyer un bon millier d'Indésirables. Des êtres rejetés pour être devenus trop vieux ou ne pas avoir voulu comprendre ni accepter les règles de notre société. La sagesse qui leur était propre les poussait à n'employer aucune forme de violence. Ils avaient, au contraire, décidé de se regrouper en protestant de façon pacifique, espérant un jour pouvoir transformer ce monde qui les rejetait...
Nous les conduisions là où ils ne viendraient plus entraver les rouages de cette gigantesque ruche qui nous abritait. Nous étions devenus ses ouvriers assignés à nos missions respectives. Ils seraient, quant à eux, inévitablement sacrifiés au bénéfice du bon fonctionnement de notre toute puissante société interplanétaire.
Une complicité tacite s'installa entre mes compagnons et moi, sans que la moindre communication s'avère nécessaire. Nous avions acquis la conviction que quelque chose de profondément injuste était en train de se dérouler ici. Et nous étions devenus, bien malgré nous, les instruments de cette injustice !
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Quel pourrait bien être ce lien étrange qui est en train de s'établir entre les Indésirables et les membres de l'équipage du vaisseau ?
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Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)
Science FictionDérivant dans les profondeurs d'un des nombreux univers de la création, un monde sans âme abrite de terribles secrets... Les individus qui en font partie n'y ont plus droit à un nom, ni à une quelconque identité. Ils sont devenus les "ouvriers" de c...