16. Le tatouage

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Je découvris, sur son bas ventre, ce tatouage, accompagné du code-bar et de l'emblème de la Fédération, que nous avions aperçu sur celui des quelques filles restées dans mon groupe au sein de la pyramide. Je lui demandai si elle savait ce qu'il représentait.

— Bien sûr ! s'exclama-t-elle d'un ton ferme, comme pour venir justifier cette terrible opération qu'on lui avait fait subir. C'est le signe qui nous distingue de celles qui ont été choisies pour la reproduction de notre espèce. Et je suis bien contente de le porter ! Peux-tu t'imaginer un seul instant une vie passée à ne faire que des enfants ? Grossesse, accouchement, grossesse, accouchement... Tout cela pour les voir disparaître à l'âge de douze ans, après avoir consacré tant d'efforts à les éduquer. Et ce, sans même pouvoir prétendre à un véritable compagnon ; condamnée à partager l'un de ces « étalons » de notre espèce avec une dizaine d'autres femmes d'un villages de reproduction !

Je ne pus qu'admettre que sa théorie était tout à fait défendable, bien qu'elle ne m'ait pas entièrement convaincu. Je ne voulais pas lui dévoiler ma révolte en ces instants de tendresse. Je le ferais plus tard... Nous aurions encore bien le temps d'échanger nos avis à ce sujet.

Je n'étais pas vraiment surpris de voir mon rêve de fonder une famille s'évanouir. L'immense désillusion que représentait la découverte de ce monde devenait, chaque nouveau jour, plus difficile à ignorer.

Il n'y avait pourtant rien d'étrange à cela, dans cette société qui contrôlait le sexe des bébés, afin de produire une plus grande quantité de filles que de garçons ; les plus fertiles d'entre elles étant systématiquement envoyées dans l'un des villages, répartis autour de nos dômes. Elles y seraient alors fréquemment fécondées par quelques géniteurs, triés sur le volet, chargés d'assurer la reproduction de notre espèce.

En effet, il y avait environ deux filles pour chaque garçon qui venait au monde. L'une d'entre elles irait rejoindre son compagnon dans un dôme, identique au nôtre, ou au sein d'une de nos nombreuses colonies. L'autre serait condamnée à faire des enfants... beaucoup d'enfants, dont la destinée serait, bien entendu, entièrement contrôlée par la Fédération !

— Ainsi soit-il, lui répondis-je alors pour mettre fin à cette discussion délicate, tout en la caressant de plus belle.

Notre explosion d'émotions et de sentiments s'avéra aussi intense que brève. Cette semaine passa tellement vite qu'elle me laissa le souvenir d'une longue étreinte, entrecoupée d'innocentes conversations qui s'achevèrent par mon départ pour ma toute première mission spatiale.

Une petite navette m'emmena, accompagné de mon futur équipage, vers l'un des nombreux complexes de lancement situés aux environs de l'Équateur, en plein milieu du Grand Océan Mondial. L'endroit ressemblait fortement aux anciennes plateformes de forage pétrolières en usage à l'époque où cette substance constituait encore notre principale source d'énergie.

Nous vîmes cette étrange construction flottante grandir lentement à travers nos hublots panoramiques. Elle atteignit une taille gigantesque lorsque nous passâmes en vol stationnaire à sa verticale, pour amorcer notre manœuvre d'appontage. Une fusée, équipée de quatre propulseurs, nous attendait dans l'obscurité de sa rampe de lancement. C'était elle qui nous mènerait vers notre vaisseau.

Ce dernier était encore arrimé à l'une des petites stations spatiales en orbite basse à l'intérieur de la magnétosphère planétaire. Sa construction venait de s'y achever. L'excédent de poids qu'avait occasionné sa finalisation ne lui permettrait plus d'atterrir sur notre planète... mais il serait toujours capable, en cas d'urgence, de se poser sur l'une des lunes de nos géantes gazeuses.

Dès que nous serions à son bord, nous nous dirigerions vers l'un des six astroports, fixés à l'anneau planétaire que nous allions devoir traverser afin de nous libérer de la gigantesque magnétosphère que ce dernier générait. Il nous faudrait tout d'abord y embarquer les marchandises que nous aurions à délivrer aux colonies, ainsi que quatre coupoles destinées à héberger les Indésirables.

Ces astroports étaient les uniques voies de passage à travers l'énorme sphère protectrice entourant complètement notre monde. Les faisceaux électromagnétiques les reliant à leur dôme respectif pouvaient, soit servir d'ascenseur connecté à la surface, soit de fronde en propulsant les divers vaisseaux qui les empruntaient vers leurs lointaines destinations.

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Une fois leur navette posée, les jeunes cadets se rendirent dans la salle de briefing où ils reçurent les informations nécessaires à leur mise en orbite et aux procédures d'arrimage à leur futur vaisseau. Ils avaient maintes fois répété ces manœuvres en séances de simulation virtuelle. Mais, cette fois-ci, cela se passerait en conditions d'apesanteur réelle ; ce serait leur véritable baptême de l'espace !

Les détails de la mission leurs furent ensuite révélés. Ils allaient devoir rejoindre l'orbite de la sixième planète où les attendait leur cargaison. Celle-ci se composait essentiellement de matières premières récoltées par ses différents dômes : principalement de l'hydrogène, de l'hélium et de la glace. Ces dernières seraient redirigées ensuite vers leur destination finale par de plus petits vaisseaux, après leur retour à l'astroport.

Il leur faudrait également embarquer, à l'intérieur des quatre coupoles qu'ils emporteraient avec eux, un bon millier d'Indésirables interpellés au sein des colonies récemment installées sur la géante gazeuse.

La sixième planète fournissait, à elle seule, plus de la moitié des ressources énergétiques nécessaires au bon fonctionnement de la Fédération. Les pénibles conditions de travail qui y régnaient exigeaient que l'on maintienne ses colons sous une discipline de fer. Cela provoquait, de temps à autre, d'importantes émeutes. Leurs instigateurs, représentant une réelle menace pour notre société, devaient irrémédiablement en être écartés.

La plupart des calculs de navigation seraient effectués par l'ordinateur de bord qui contrôlait les procédures les plus délicates, et par conséquent les plus exaltantes, de la mission. Qu'à cela ne tienne ; ils allaient finalement, après toutes ces années d'apprentissage et de simulations, entamer leur premier voyage intersidéral !

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Dès que le briefing fut terminé, nous enfilâmes nos magnifiques combinaisons spatiales, noir et or, avant de nous diriger à pied vers la rampe de lancement.

Il faisait déjà très chaud sous le soleil de l'Équateur ; nous n'avions encore jamais parcouru une telle distance complètement harnachés ! Cet accoutrement me parut bien plus lourd que dans mes souvenirs. Ce fut, par conséquent, trempés de sueur que nous nous installâmes au poste de pilotage de la fusée qui allait nous emmener vers l'orbite de rendez-vous avec le TXL1138.

Le compte à rebours commença enfin, décomptant les minutes, puis les secondes, de façon lente et solennelle ; comme dans l'attente d'une terrible sentence, qui viendrait nous frapper, une fois celui-ci achevé. Nous nous regardions en souriant du coin des lèvres, tout en veillant à ne pas afficher une attitude trop désinvolte qui aurait été très mal accueillie par le Centre de Contrôle surveillant constamment nos moindres faits et gestes !

Mais je faisais entière confiance à mes compagnons. Chacun d'entre eux avait brillamment achevé sa formation. Une énorme exaltation s'empara de moi lorsque je sentis vibrer notre cabine de pilotage au moment de la mise à feu des fusées qui allaient bientôt nous propulser vers la première étape de notre voyage...

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant