La sixième planète ne se trouvait plus qu'à quatre virgule deux milliards de kilomètres de nous, alors que six virgule trois nous en séparaient au début de notre voyage. Nous n'avions parcouru qu'un tiers du trajet et allions encore dériver dans le vide durant une éternité avant d'atteindre notre destination. Lorsque mon tour de quart toucha à sa fin, je fus relevé par le Numéro 7. Nous échangeâmes quelques phrases routinières.
— Tu n'as pas eu d'ennuis ? me demanda-t-il. Pas de gros cailloux sur notre route ?
— Non, tout est en ordre, lui répondis-je. Contact établi avec les balises...
Nous approchions en effet des premières petites colonies installées sur la ceinture d'astéroïdes. Celle-ci avait autrefois dû être une des planètes de notre système solaire, probablement détruite lors d'une gigantesque collision interstellaire.
La tâche de mon successeur s'avérait bien plus exaltante que la mienne. Il lui faudrait naviguer, avec extrême prudence, en empruntant l'un des couloirs qui permettait de traverser cette zone dangereuse, sans heurter l'un des nombreux rochers qui flottaient aux alentours.
Je décidai de le seconder durant les premières minutes de son quart afin de pouvoir admirer, à ses côtés, le spectacle fantastique qu'offrait cet énorme mur de roches, de formes et de tailles diverses. Notre ordinateur avait établi le contact avec les balises du couloir. Nos messages d'identification résonnaient dans les haut-parleurs du poste de commande. Ils venaient nous rappeler que nous n'étions plus seuls dans le vide spatial...
— Tu te rends compte ? s'exclama mon jeune compagnon. Des hommes et des femmes vivent ici, au milieu de nulle part, dans ce trou perdu.
— Ils doivent avoir pour mission de gérer le trafic qui emprunte ce couloir.
— Et sans doute également de s'assurer qu'aucun vaisseau pirate ne vienne s'y aventurer !
Nous pûmes distinguer les lumières de leurs installations au sein du dôme qu'ils occupaient. Ce dernier se situait dans une profonde aspérité, à la surface d'un des plus grands astéroïdes qui nous entouraient. Pour un bref instant, nous nous sentîmes bien heureux de la tâche à laquelle le Système Préparatoire nous avait assignés en comparaison avec celle de ces malheureux, condamnés à passer le restant de leurs jours dans un tel endroit.
Nous nous regardâmes encore, sans oser continuer notre conversation. Nous n'étions pas censés parler de ce genre de choses entre nous, ni même avec nos compagnes.
D'énormes batteries laser pointaient les bouches de leurs canons dans notre direction, nous rappelant ainsi que la toute puissante Fédération veillait en permanence sur notre sécurité. Ce fut animé par ces pensées confuses que je me rendis vers notre espace de repos pour y entamer une courte période de sommeil.
Après une dizaine d'autres longs et monotones tours de quart, nous rejoignîmes enfin le but de notre mission : les anneaux de la sixième planète qui s'avançaient majestueusement vers nous. Ils constituaient la structure la plus plate qui existait au sein de notre système solaire et couvraient une distance égale à celle qui séparait notre planète de sa lune.
Ces derniers n'étaient pourtant pas plus épais qu'une dizaine d'étages d'alvéoles ! Leur masse, qui nous avait initialement semblée compacte, s'avéra être faite de blocs de glace et de micrométéorites. Cet océan gelé, qui s'étendait à perte de vue, nous offrait un spectacle époustouflant qui nous fit presque oublier le but de notre sordide mission.
Nous frôlions depuis quelques minutes leur surface blanchâtre et lumineuse, sans trop nous en approcher de peur d'entrer en collision avec ces derniers. Mais déjà les signaux qui émanaient de la géante gazeuse, se faisaient de plus en plus nombreux et distincts, nous rappelant à l'ordre d'un ton autoritaire.
Ils laissaient transparaître une certaine excitation... Notre arrivée semblait attendue avec impatience. Les coordonnées nécessaires à notre mise en orbite nous furent rapidement transmises, elles nous guidèrent vers le point de rendez-vous avec notre mystérieuse cargaison.
Nous allions enfin rencontrer ces fameux exilés, rejetés par une société trop parfaite qui ne voulait plus d'eux ! Mais il nous fallait tout d'abord effectuer notre manœuvre de mise en orbite afin de ne pas nous faire éjecter loin d'ici par notre grande inertie...
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L'imposant vaisseau entama une lente rotation sur son axe longitudinal. Une multitude de petits orifices, situés le long de son fuselage, s'allumèrent en une série de brèves impulsions savamment orchestrées par son ordinateur de bord. Dès qu'il eut fait demi-tour, ses quatre tuyères principales s'illuminèrent, crachant un épais nuage de glace et de feu.
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Ce ne fut qu'après d'interminables minutes, passées à subir plus de quatre G, que l'ordinateur de bord mit fin à la torture que nous infligea cette décélération. Nous n'avions plus été exposés à de tels facteurs de charges depuis notre départ mouvementé de la troisième planète. Et nous nous félicitions de ne pas avoir eu à effectuer nous-même cette manœuvre délicate.
Notre intelligence artificielle nous rappela ainsi qu'elle était toujours aux commandes. Sa voix métallique se mit à résonner dans le vaisseau tout en pénétrant mon esprit, directement via mes implants, me donnant la désagréable impression qu'elle scrutait chacune de mes pensées...
— Trajectoire orbitale établie dans 25 secondes, 20, 15, 10... 5, 4, 3, 2, 1... effective !
Un voyant lumineux clignota dans la pénombre. Il nous annonçait que le moment de maintenir notre altitude et notre vitesse était arrivé. Nous étions à nouveau en état d'apesanteur, en orbite autour d'une des plus grosses planètes de notre système. Sa surface molle et bleutée semblait devenir transparente à son horizon.
On pouvait très clairement distinguer une série de tempêtes qui tourmentaient les profondeurs de son atmosphère. Celles-ci dessinaient de multiples formes abstraites dans les différentes couches de gaz qui la composaient.
Nous étions ponctuels au rendez-vous avec ce monde dix-sept fois plus grand que le nôtre. Ses journées, pourtant très courtes de par sa rotation rapide sur son axe, ne duraient que dix heures quarante minutes. Sa révolution autour de notre étoile nécessitait néanmoins vingt-neuf de nos années... Nous n'aurions donc pas encore atteint l'âge d'un an si nous étions nés ici !
Son diamètre couvrait une distance d'un peu plus de cent-vingt-mille kilomètres. Malgré sa taille, sa force gravitationnelle était proche de celle de notre planète d'origine, du fait de sa faible densité et de l'effet centrifuge généré par sa rotation extrêmement rapide.
Ses anneaux, d'une largeur de soixante-cinq mille kilomètres, étaient formés de plusieurs couronnes, désignées de « A » à « G ». Une bonne soixantaine de lunes interagissaient avec eux en provoquant des ondulations, semblables à des vagues, dans leur structure plane.

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Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)
Science FictionDérivant dans les profondeurs d'un des nombreux univers de la création, un monde sans âme abrite de terribles secrets... Les individus qui en font partie n'y ont plus droit à un nom, ni à une quelconque identité. Ils sont devenus les "ouvriers" de c...