10. Scott

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Nora semble contrariée et même si je ne suis pas sûr d'être la personne idéale pour discuter j'imagine que je peux toujours l'écouter parler. Elle entoure ses genoux de ses bras et regarde la nuit noire. Je me demande si elle a froid comme ça, en pyjama. Mais je me dis que si c'était le cas, elle rentrerait. 

— Est-ce que ça t'est déjà arrivé d'avoir l'impression que tout s'écroule autour de toi ?
Je hoche simplement la tête. Je n'ai jamais vraiment eu l'impression que ma vie ait été stable à un moment donné à vrai dire.
— Et que, peu importe à quel point tu essaies de tout arranger, c'est déjà trop tard, tu ne peux rien y faire.
Je hoche la tête à nouveau.
— C'est difficile de laisser les choses être hors de notre contrôle, mais tout ne dépend pas toujours de nous tu sais, tentais-je de la rassurer.
Je me tourne encore un peu plus vers elle et regarde son profil si bien dessiné. Je pourrais la regarder comme ça toute la nuit si j'en avais l'occasion.
— Qu'est-ce que je suis supposée faire alors ? Tout laisser tomber en ruine et vivre ma vie comme si de rien était ?
Elle resserre ses doigts autour de ses genoux, j'ai envie de la tirer contre moi et lui sortir un truc bateau du genre : que les choses s'arrangent toujours. Mais je n'y crois pas moi-même et je refuse de lui mentir pour qu'elle se sente mieux.
— Je vais te citer une phrase d'une de mes séries préférées, j'y repense souvent quand je me sens démuni.
Je fouille rapidement dans mes poches en vain.
— T'as un stylo ?
Elle se lève et me prévient qu'elle en a un dans le salon et qu'elle revient. Je la laisse partir et la vois revenir deux secondes plus tard, un stylo à la main. Elle se rassoit à côté de moi et me le donne. Je retire le bouchon et lui demande de me donner son bras. Elle est probablement en train de penser que je me moque d'elle et que je vais lui écrire une bêtise.
— Fais-moi confiance.
Elle me tend son poignet que j'agrippe de ma main gauche. Je ne me lasserais jamais du contact de sa peau contre la mienne. J'aimerais prétexter devoir écrire des tas de choses pour avoir la chance de garder son poignet un peu plus longtemps dans ma main.
Je termine la phrase et referme le guillemet. Nora récupère son bras et lis à haute voix :
— « Un guerrier ne se soucie pas de ce qu'il ne peut pas contrôler. »
Un petit sourire se forme sur ses lèvres.
— Malheureusement on n'est pas dans une série et je ne suis pas une guerrière.
J'avance à nouveau ma main comme pour reprendre son poignet mais la retire et me contente de tapoter sur mon genou à la place.
— On est tous un peu le guerrier de nos propres vies, non ?
Elle penche la tête sur le côté et amène sa main sur mon visage. Je me fais surprendre par son geste, elle caresse le bord de ma mâchoire de son pouce. Elle ne dit rien mais elle n'en a pas besoin, je grave ce moment dans ma tête. Au milieu de la nuit, du silence, sans personne d'autre que nous.
Elle retire sa main, bien trop vite à mon goût.
— Sacha t'aime bien tu sais.
Je sais que Sacha m'apprécie mais c'est toujours plaisant à entendre. Je ne sais pas pourquoi elle a dit ça, maintenant et ce qui l'a menée à penser à Sacha alors que nous étions si proches tous les deux. C'était peut-être une simple façon de changer de sujet. Puis je réalise qu'elle pense probablement à sa sœur parce qu'elle se sent triste. C'est ce que je fais en général avec Roméo aussi.
— Moi aussi je l'aime bien.
Elle se remet à regarder dans le vide et je devine que ce qui la chagrine le plus dans cette histoire ce ne sont pas ses parents et leur divorce mais ses sœurs à qui elle tient énormément.
— Elles sont fortes tu sais, Sacha et June. Ne t'inquiète pas pour elles.
Elle tapote la marche du perron du bout de son pied.
— Je ne peux pas ne pas m'inquiéter, ce sont mes petites sœurs.
Je me rapproche un peu plus d'elle et essaie de capter son regard. Ses yeux sont humides, elle est au bord des larmes mais je ne peux toujours pas la prendre dans mes bras, ça serait déplacé.
— Je sais, j'ai un petit frère aussi, la rassurais-je.
Elle essuie délicatement le coin de ses yeux et tente bien que mal de ravaler ses larmes.
— Mais toi, tu n'auras jamais à te soucier de ce genre de choses. Kate et Oliver sont fous l'un de l'autre. Tes parents sont typiquement des gens parfaits, tu ne peux pas comprendre.
Je serre ma main contre le long de ma cuisse, mon ventre se tord. Je n'ai tout d'un coup plus du tout envie de discuter avec Nora. J'ai voulu l'écouter et j'ai malheureusement fait ce que je m'efforce à ne jamais faire : parler de moi.
— Tu ne sais rien de ce qu'il se passe dans ma vie.
Mon ton est sec et tranchant, ce qui la fait immédiatement réagir. Elle se tourne vers moi et se reprend mais c'est trop tard. C'est exactement pour ça que je ne m'attache pas aux gens d'ici. Ce sont des petits bourgeois qui ont une vie de rêve servie sur un plateau d'argent et ils pensent toujours que le moindre de leurs tracas est la pire chose au monde. Nora n'a pas vécu un quart de ce que j'ai enduré.
— Je suis désolée ce n'est pas ce que j'ai voulu...
Je ne la laisse pas terminer.
— Il est tard, je vais rentrer. Bonne nuit.
Je défroisse mon short et me lève du perron sans réfléchir. Je retourne immédiatement chez moi, trop effrayé de dire quelque chose que je ne pense pas. Je préfère la laisser seule. Elle ne bouge pas et le silence est retombé.

Fix youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant