23. Nora

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Des petits bruits de claquement retentissent. J'ouvre les yeux et prends mon portable, il est trois heures et demie. Je regarde Sacha qui dort profondément, elle ronfle même un peu. Je crois un instant que j'ai rêvé mais les bruits reviennent. Je me tire de mon lit et avance vers ma fenêtre. Je vois une silhouette en bas de chez moi, j'ouvre et réalise qu'il s'agit de Scott qui lance de petit gravillon sur ma vitre depuis tout à l'heure.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? Demandais-je en essayant de ne pas réveiller ma petite sœur.
Il me fait signe de le rejoindre dehors. Si je veux des réponses à mes questions, je dois forcément le retrouver. La dernière fois que je l'ai vu, il était encore sur le sol des toilettes à essayer de retrouver ses esprits. Je me suis sentie un peu coupable de le laisser mais il m'a assuré qu'il n'y avait aucun problème. Le souci c'est qu'ensuite il a disparu, introuvable. Naveen n'avait aucune idée d'où il était et sa voiture se trouvait toujours devant chez Danna. On a tout de suite imaginé le pire, et j'ai fouillé la maison de fond en comble. Naveen a fini par supposer qu'il avait juste pris un Uber et qu'il était rentré. J'ai pensé la même chose. Quand je suis rentrée je n'ai pas osé frapper chez lui, s'il était bien rentré j'aurais eu l'air stupide et s'il n'était pas rentré, j'aurais alarmé Kate et Oliver probablement pour rien. Scott est grand, il sait se gérer même en ayant bu de l'alcool, j'en suis certaine. Je me suis finalement endormie en me disant que j'aurais des réponses le lendemain. Mais le voilà, en bas de chez moi à m'attendre. Quand je le rejoins sur le perron je remarque tout de suite que sa chemise est entièrement ouverte et qu'il est décoiffé.
— Où est-ce que tu étais ?
Il se frotte le nez et s'approche de moi, il semble être totalement sobre, comme si tout l'alcool avait disparu de son organisme. Après tout je l'ai quitté il y a presque deux heures.
— Je suis rentré à pied, j'avais besoin de marcher.
J'aurais dû m'en douter, Scott court pour se vider la tête. Évidemment qu'il était parti marcher. J'ai tendance à oublier que les hommes peuvent se balader au milieu de la nuit sans aucune crainte.
— Je n'étais pas sûr que tu sois rentrée, dit-il, mais je voulais quand même te voir.
Je lui explique que la soirée s'est terminée assez tôt, c'est l'unique chose sur laquelle Danna reste raisonnable.
— J'étais inquiète, avouais-je, envoie-moi un message la prochaine fois.
Il hoche la tête et sourit, mais quelque chose semble encore clocher.
— Scott, est-ce que ça va ?
Il regarde le sol et secoue la tête en fermant les yeux, je ne cherche pas plus longtemps et me glisse dans ses bras. Il me serre contre lui, très fort et très longtemps sans parler. Je resterai autant de temps qu'il le faut, autant de temps qu'il en aura besoin. Il recule et passe sa main sur son visage, il semble bouleversé.
— Est-ce que tu pourrais dormir avec moi cette nuit ? Demande-t-il, juste dormir.
Je ne réfléchis pas vraiment et accepte directement, je n'ai pas envie de le laisser seul. Nous marchons jusqu'à chez lui, il tourne la clé et pousse la porte d'entrée. Nous montons le plus silencieusement possible jusqu'à sa chambre. C'est la première fois que je la vois. Elle est plutôt simple. Il y a des affiches de films un peu partout sur les murs, quelques affaires qui traînent et son lit est sous la fenêtre.
— Je vais me changer, mets toi à l'aise me lance-t-il en me montrant son lit.
Je viens m'asseoir dessus en regardant autour de moi, il y a un cendrier avec une cigarette à moitié terminée dedans sur le bord de sa fenêtre. Son ordinateur portable est en travers de son lit, il dort avec trois oreillers et il fait frais.
Il revient cinq minutes plus tard, les cheveux mouillés, vêtu d'un boxer comme unique pyjama. J'ai déjà vu Scott aussi dénudé et je ne devrais pas être aussi troublée mais je le suis quand même, et il le voit.
— Tu veux que je mette un jogging ? C'est parce que je transpire beaucoup la nuit, avoue-t-il.
Je secoue la tête et me place contre le mur pour lui laisser de la place. Il éteint la lumière et vient se glisser sous la couverture. La lampe de chevet éclaire la chambre et nous restons l'un à côté de l'autre dans le lit à nous regarder. Une mèche de cheveux mouillés tombe dans les yeux de Scott et peu importe le nombre de fois qu'il la repousse en arrière, elle revient à nouveau, ce qui l'amuse. Il décide alors d'abandonner.
— Merci d'être là.
Il repousse mes cheveux dans ma nuque pour mieux voir mon visage, le contact de sa main me relaxe. Je n'arrive pas à me défaire de son contact que j'aime tant.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ce soir Scott ? Demandais-je à nouveau.
Ce n'est pas que de la curiosité, je m'inquiète vraiment, il n'a jamais ce genre de comportement et je tiens assez à lui pour vouloir comprendre ce qui ne va pas.
— J'ai un peu perdu les pédales.
Il sourit et caresse le bord de ma mâchoire du bout des doigts.
— Tu te souviens, cette nuit-là quand tu m'as demandé si j'avais déjà eu l'impression que le monde s'écroulait autour de moi ?
Je hoche la tête et regarde ses yeux foncés se perdre dans ses pensées.
— La vérité c'est que ça m'arrive tout le temps et que je ne sais toujours pas comment le gérer.
Il prend une longue inspiration.
— Mon monde s'écroule encore et encore et je crois que j'ai plus trop la force de le reconstruire.
Je déglutis et m'avance un peu vers lui. Il recentre son regard vers moi.
— Un homme sage m'a dit un jour qu'un guerrier ne se soucie pas de ce qu'il ne peut pas contrôler.
Il laisse échapper un sourire en réalisant que je me souviens de cette phrase, la vérité c'est que j'y pense tout le temps depuis ce soir-là.
— Peut-être que j'avais tort et qu'on n'est pas tous des guerriers alors.
Je m'approche un peu plus de lui sans le lâcher des yeux. Sa main passe de ma mâchoire à mon cou.
— On n'est pas des guerriers, on est humains Scott. Et on a le droit de tomber encore et encore parce que c'est comme ça la vie, mais ce qui compte c'est de se relever.
Je ne sais pas si je crois moi-même à ce que je dis, ce n'est pas comme si j'avais eu à vivre un tas de choses traumatisantes. À part une relation compliquée, le divorce de mes parents et la révélation d'un secret de famille bien enfoui, ma vie a toujours été facile à vivre, j'ai pu jouir de mes privilèges toute mon enfance et je continuerais à le faire tout le reste de ma vie. J'ai conscience du fait que je suis ce qu'on peut considérer comme chanceuse mais j'ai réalisé que j'avais le droit, comme tout le monde d'être triste, en colère ou insatisfaite. Ça ne fait pas de moi quelqu'un de faible ou de stupide.
Scott glisse ses doigts entre les miens, sans me lâcher du regard.
— J'ai très longtemps été triste et seul et parfois j'oublie que je peux être heureux et aimé je crois.
Il resserre un peu plus ses doigts.
— Je suis désolé d'être un peu instable parfois. J'ai l'impression que je vais être bousillé toute ma vie.
Je secoue la tête et caresse sa main avec mon pouce.
— Rien n'est irréparable tu sais, soufflais-je en souriant.
On ne sait jamais de quoi demain est fait, c'est vrai. Il y a un an j'étais en Australie, je ne savais pas qui j'étais et qui je voulais être. Je mettais en pause tous mes rêves parce que je doutais de moi. Est-ce que journaliste était vraiment un métier qui me correspondrait ? Est-ce que je peux survivre loin de mon cocon familial si parfait ? Est-ce que je serais capable de trouver quelqu'un d'autre que Camden ? Et me voilà maintenant. Mes parents sont divorcés, ma petite sœur est le fruit d'une relation extra-conjugale, je n'adresse plus un mot à ma mère depuis des jours et Lizzie n'a pas donné signe de vie depuis la fugue de Sacha. Je passe des heures à tourner dans mon lit en pensant à tout ça et à me demander si je n'étais pas mieux, en Australie à rester loin et ne me préoccuper de rien. Mais ce n'est pas moi, la Nora qui évite les problèmes. Non je suis confrontée à la réalité. J'ai besoin de ça, je ne veux pas laisser les tensions subsister encore et encore. Demain j'irais parler à ma mère, ça ne pourra que me soulager. Peut-être a-t-elle une bonne excuse pour tout ça, peut-être pas. Mais ce n'est pas en refusant de lui parler que ça va aller mieux. Je n'ai pas envie de vivre avec cette constante peur de tout gâcher, de ne pas réussir. En vouloir à tout le monde n'arrangera rien de toute façon. Je veux que ma famille aille mieux, je veux être journaliste, je veux être heureuse, je veux que mes amis s'épanouissent et je veux être avec Scott.
— Tu sens encore un peu l'alcool mais...
Mon cœur bat de plus en plus vite, je regarde chaque trait de son visage en essayant de graver ces secondes dans ma tête. Son nez rond, ses lèvres charnues, sa petite barbe de trois jours, ses tâches de rousseurs et ses yeux sombres.
— Est-ce que tu crois que tu pourrais m'embrasser ?
Un sourire apparaît au coin de ses lèvres, sûrement surpris par ma demande.
— Tout ce que tu voudras, souffle-t-il.
Nos visages s'approchent l'un de l'autre. C'est toujours le moment que je préfère, celui qui précède le moment où on s'embrasse. Le roulement de tambours. Le moment où tu réalises que les secondes semblent être des heures, que chaque centimètre nous rapprochant l'un de l'autre risque de faire éclater mon  cœur. Les battements rapides de ses cils, la chaleur de l'haleine, les muscles tendus. Puis enfin, sa bouche contre la mienne. Chaque baiser semble avoir été un premier baiser tant ils ont été différents. Cette nuit-là dans la salle de bain, il était rapide et fougueux. L'autre soir sous les étoiles il était doux et sensuel. Celui-ci est sincère et passionné. La bouche de Scott semble avoir été sculptée pour la mienne, sa main se détache et viens doucement caresser ma mâchoire avec tendresse. Nos corps se collent l'un à l'autre mais je n'ai pas envie d'aller plus loin, je n'ai pas besoin de plus. Nous ouvrons les yeux et nous regardons en détachant nos bouches.
— Tu sais que je pourrais faire ça toute la nuit, souffle-t-il.
Il caresse doucement ma joue.
— Je sais, mais tu es épuisé, tu devrais dormir.
Il ne me lâche pas des yeux et répond par la négative.
— Je suis bien là, je n'ai pas envie de dormir.
Je souris et me love dans ses bras qu'il referme automatiquement autour de moi.
— Mais je serai toujours là quand tu te réveilleras, promis-je.
Je lève une dernière fois la tête pour lui souhaiter bonne nuit avant de me laisser tomber de sommeil.
— Alors tant que tu es là, murmure-t-il.
Je dépose un dernier baiser sur ses lèvres et lui souhaite bonne nuit. Je pose ma tête contre son torse, ses bras autour de moi sont rassurants. Il pose son menton sur le sommet de mon crâne.
— Bonne nuit Nora, dit-il avant de tomber de sommeil.
Il ne me faut qu'une minute pour le suivre, bercer par le rythme de sa respiration.

Je ne comprends pas tout de suite ce qu'il se passe, je ne sais plus très bien où je suis. Scott n'est plus contre moi, il est à l'autre bout du lit. Il respire très fort, comme lorsqu'il a fait une crise d'asthme l'autre soir. Il fronce les sourcils et grimace, il doit être en train de faire un cauchemar. J'essaie de le tirer contre moi mais il est trop lourd et ne se laisse pas faire, au contraire il me repousse assez violemment. Je finis par le secouer pour le réveiller, son front est trempé de sueur. Il ouvre les yeux instantanément et me regarde, perdu.
— Nora ? Dit-il paniqué.
Je lui caresse le front et repousse ses cheveux blonds en arrière en lui assurant que tout va bien.
— Tu faisais un cauchemar, lui dis-je.
Il se redresse et attrape la bouteille d'eau qui se trouve à côté de lui pour en boire une gorgée ou deux.
— Je suis désolé de t'avoir réveillée, dit-il.
Le soleil est levé, je ne saurais pas dire l'heure exacte mais il doit être aux alentours de sept heures du matin, peut-être un peu plus. Je rassure Scott et lui dit qu'on peut se rendormir et que tout va bien. Mais un bruit dans le couloir nous alerte, quelqu'un se dirige vers la chambre. Je panique en réalisant que Kate et Oliver ne savent pas que je suis là et que même si Scott est un grand garçon, j'imagine qu'ils veulent être prévenus de qui dort sous leur toit. La porte s'ouvre d'un coup, Scott commence à râler et à dire qu'il aimerait avoir de l'intimité. Kate et Oliver viennent d'entrer dans la chambre, je suis rouge de honte.
— On parlera d'intimité un autre jour jeune homme, lance Oliver furieux.
Je veux me lever mais je suis incapable de bouger, je n'ai jamais vu les Jones aussi en colère, je ne savais pas que ça serait si grave que je vienne dormir ici.
— Je suis désolée de ne pas vous avoir demandé la permission de dormir ici, commençais-je.
Kate me coupe instantanément.
— Je suis désolée Nora mais tu es le cadet de nos soucis.
Madame Jones se tourne vers Scott, les bras croisés, le visage tendu.
— Le commissariat vient d'appeler Scott, tu es attendu dans une heure. Un jeune homme vient de porter plainte pour coups et blessures aggravés contre toi.
Je tourne la tête vers Scott qui me regarde, coupable.

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