Je me réveille en sueur, le soleil est à peine levé. J'ai passé la nuit à faire des cauchemars horribles desquels je n'arrivais pas à me sortir. C'est toujours la même chose, des années après bien qu'ils soient tous les deux très loin de moi et pour longtemps. Mais mon cerveau, lui, ne semble pas vouloir oublier. A chaque fois que je vais bien et que je me dis que je peux enfin passer à autre chose, il y a ce petit rappel au fond de ma tête qui vient la nuit me rafraîchir la mémoire. Comme si je n'en avais pas assez bavé, comme si je n'avais pas le droit d'être heureux. Je suis descendu prendre mon petit déjeuner. Je n'ai plus envie de dormir et je dois bien faire passer le temps. Oliver se lève une grosse demi-heure plus tard.
— Déjà débout ou pas encore couché ? Plaisante-t-il.
J'avale la dernière goutte de jus d'orange de mon verre et me lève pour le poser dans l'évier.
— J'ai mal dormi, me contentais-je de répondre.
Je n'ai pas envie de mentionner mes cauchemars, ça l'inquièterait et il en parlerait à Kate. Ils viendraient ensuite tous les deux me parler à nouveau d'aller consulter. Je ne veux voir personne. Je ne vais plus chez le psy depuis un peu plus d'un an maintenant. Je voyais toujours cette femme à New-York, Stefanie, de mon premier jour chez les Jones jusqu'à mon déménagement. Elle voulait s'assurer que je supporte l'idée de quitter New-York. Depuis mon placement en famille d'accueil je n'avais jamais quitté la ville. J'appréhendais un peu mais c'était une autre façon de partir loin de là-bas et de tous ces souvenirs qui y résidaient encore. Les deux premiers mois après notre emménagement, je pensais que mes cauchemars avaient définitivement disparus. Je mettais ça sur le compte des centaines de kilomètres qui me séparaient de là-bas. Mais ils sont revenus. D'abord une fois par mois, puis deux. Maintenant ça arrive une fois par semaine, si je suis chanceux. C'est toujours très réaliste et je passe le reste de la journée très tourmenté, comme si je retournais dans le passé le temps de quelques heures.
— C'est toujours ok pour garder Roméo cet après-midi ?
Je relève la tête et sors de mes pensées puis hoche la tête. Oliver et Kate passent l'après-midi en ville. Ils veulent redécorer le bureau et passeront dans divers magasins qui n'intéresseront guère mon petit-frère.
— Merci. Je ne sais pas quand les Anderson viendront récupérer June, tu veux qu'on la dépose chez elle en partant ?
Je secoue la tête et assure que je peux très bien m'en sortir avec deux enfants. Et à vrai dire, une partie de moi espère que Nora passera prendre sa sœur. Je suis heureux qu'on ait pu hier. Naveen avait raison, je l'ai laissée parler et elle a ouvert tout un tas de portes que je pensais totalement scellées. Nora sait s'exprimer et placer les mots justes sur les situations. Je l'envie. Elle ne veut pas fermer les yeux ou faire semblant. Je suis sûre qu'elle n'avait jamais peur des désinfectants « qui piquent » petite. Non, elle savait qu'il fallait nettoyer la plaie, que ça ferait mal une seconde ou deux et que ça serait terminé. Aucune raison de faire tout un cinéma autour. Je ne sais pas si je serais capable de faire la même chose. J'ai passé trop de temps à ignorer mes problèmes en espérant qu'ils s'en aillent tout seuls, que je ne saurais peut-être pas faire autrement même si je le voulais. Mais j'aimerais essayer, si ça nous permet, comme hier soir de jouer cartes sur table et nous réconcilier. Je ne sais pas jusqu'où va mener cette relation mais je n'ai pas envie de me poser la question. J'aime passer du temps avec Nora et c'est tout ce qui m'importe pour l'instant.Naveen m'a envoyé un message pour se plaindre du fait qu'il s'ennuie à mourir. Ses mères lui font toujours un peu la tête de s'être battue. Elles ont toujours eu très peur pour lui, il m'expliquait que petit déjà elles passaient leurs temps à trop le couvrir et à trop lui donner à manger par peur qu'il manque. Marie était de ces mamans qui venaient toujours casser les pieds à la maîtresse pour un oui ou pour un non. Il m'expliquait qu'elles avaient peur qu'elles ne fassent pas les choses assez bien et qu'il manque de quelque chose. Il pense que c'est cette idée d'un manque « masculin » qui les a toujours angoissées. Un jour, je lui ai demandé ce que ça faisait de ne pas avoir de père. Il m'a répondu qu'il ne savait pas parce qu'il n'en avait jamais eu. J'ai donc trouvé ma question très stupide. Naveen a deux mères qui l'aiment plus que n'importe qui, je ne vois pas pourquoi il manquerait de quoi que ce soit. Je lui ai aussi demandé s'il se sentait plus proche de sa « vraie » mère. Il m'a répondu que les deux étaient ses vraies mères. Je me suis encore senti stupide. Je me rends compte que je suis toujours maladroit dans mes propos parce que j'ai été éduqué dans une norme familiale absurde. Maintenant je fais toujours attention. Naveen ne se vexe jamais, je pense qu'il a l'habitude de ces remarques, ça dure depuis tout petit. Mais je crois que ça me fatiguerait moi aussi si on parlait de Roméo comme de mon « faux » frère en permanence. Je lui ai donc demandé de tout m'expliquer pour que j'arrête de dire des conneries et il a accepté. Il m'a alors dit que ses mères avaient fait une insémination artificielle pour l'avoir. Ça n'a fonctionné qu'après la deuxième tentative, ce qui est déjà incroyable. C'est Marie qui l'a porté, simplement parce qu'elles en avaient discutés, Claudia et elle, et qu'elles l'avaient décidés comme ça. J'ai été surpris la première fois que j'ai vu les photos de grossesses accrochées sur le mur du salon. Naveen à la peau noire, comme Claudia. J'avais immédiatement présumé qu'elle était celle qui l'avait porté. Mais je me suis à nouveau trompé. Ils ont choisi un donneur noir, pour que leur enfant leur ressemble un peu à toutes les deux. Naveen a précisé que ce n'était pas le critère principal et que s'il était sorti roux aux yeux verts, elles l'auraient toutes les deux aimé de la même façon. Mais cet homme était dans la liste et elles l'ont choisi pour d'autres critères qui n'avaient rien à voir avec le physique. Je lui ai demandé s'il voulait rencontrer cet homme et ce que ça faisait de savoir qu'il avait bien un père mais qu'il ne le connaissait pas. Il m'a répondu que ce n'était pas son père, juste un donneur. Et qu'il se fichait de le rencontrer. Il m'a dit quelque chose qui m'a vraiment marqué ce jour-là « La capacité d'être parent n'est pas de pouvoir faire un enfant mais de pouvoir l'élever ». Ça m'a fait un choc en pensant à Kate et Oliver qui ont mis des années à concevoir un enfant et qui se trouvent être les meilleurs parents que je n'ai jamais eus.
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Fix you
Teen FictionNora revient d'un voyage d'un an en Australie. Elle espère avoir mis derrière elle tout ce qui la tracassait. Ses études, son futur et surtout ce garçon... Malheureusement, en un an, les choses changent... Un divorce, des secrets de familles révélé...