Ma mère est partie très tôt au travail ce matin, c'est le bruit de la porte d'entrée qui a claquée qui m'a réveillée. Je pensais que Sacha rentrait. Je revois sa mine décomposée sur le seuil de la porte du salon hier soir quand elle nous a entendues ma mère et moi parler. J'ai cru que mon cœur allait s'arrêter, j'ai eu l'infime espoir qu'elle n'ait rien entendu de notre conversation mais la façon dont elle a fait volte face pour repartir de la maison m'a prouvé le contraire. Ma mère a appelé la mère d'Ellie pour s'assurer qu'elle était bien là-bas, ce qui était le cas. Ma mère a pris sa tête entre ses mains en se traitant d'idiote, elle pensait que Sacha était sagement dans sa chambre avec son casque sur les oreilles comme d'habitude. Nous sommes restées comme deux imbéciles sur le canapé à nous demander ce que nous allions faire. Puis j'ai simplement répondu qu'on lui dirait la vérité. Sacha mérite plus que n'importe qui de savoir, étant donné la colère qui m'a submergée quand je l'ai appris je n'ose pas imaginer ce qu'elle a ressenti.
Je me suis occupée de June toute la matinée, elle me tanne pour aller chez les Jones mais je ne veux pas y aller et il n'y a personne d'autre que moi à la maison aujourd'hui pour l'emmener. Elle fait un peu la tête mais je pense que c'est toujours bien de la garder de temps en temps pour les laisser souffler. Ma mère a imposé qu'elle reste chez nous au moins deux jours par semaine, sans compter le dimanche évidemment. Ça tombe donc parfaitement pour moi aujourd'hui. Je n'ai pas envie de voir Scott, je crois que je n'ai plus du tout envie de le voir. Enfin si, j'en ai envie. Mais je ne veux pas. J'ai peur d'être faible et de lui pardonner. Je sais l'effet qu'il me fait et je n'arrête pas de penser à lui depuis que je l'ai laissé hier matin sur le pas de sa porte. Il n'a pas non-plus essayé de m'appeler, ni de m'envoyer de message. C'est bête, il sait très bien que je ne veux pas lui parler pourquoi essaierait-il de me joindre en vain ?
La porte de ma chambre s'ouvre soudainement sur ma petite sœur, le casque sur les oreilles. Elle retire ses chaussures et s'allonge sur son lit comme si de rien était. Je saute pratiquement de mon lit pour lui parler. Elle retire son casque et grimace, je l'ennuie visiblement.
— Tu es rentrée !
Elle hoche la tête et se moque de moi en répondant que je suis une très bonne détective.
— Il faut qu'on parle.
Elle soupire légèrement et se redresse pour s'asseoir avant de poser son casque et son portable à côté d'elle.
— De quoi tu veux parler ?
Je commence à me demander si tout ce qu'il s'est passé hier n'était pas qu'un rêve, comment ça de quoi je veux parler ?
— De ce que tu as entendu hier, notre conversation à maman et moi.
Elle se pince les lèvres et hoche la tête à nouveau.
— Tu veux dire que papa n'est pas mon père biologique ?
Le détachement dans sa voix est troublant, elle m'annonce ça comme si elle venait de m'annoncer qu'elle s'était acheté un nouveau jean. Mais je ne devrais pas vraiment être étonnée, Sacha n'est pas comme moi. Elle ne parle pas, elle ne s'exprime pas, elle garde tout en elle, tout au fond.
— C'est tout ce que ça te fait ?
Elle reste silencieuse un temps pour réfléchir.
— Tu préfèrerais que je pleure et que j'en veuille au monde entier ?
Je souffle et m'assieds à côté d'elle. On ne parle pas d'un petit secret, on parle d'un mensonge colossal.
— Non mais tu as le droit d'être en colère et triste. Il faut que tu t'exprimes Sacha, c'est un truc énorme, si tu gardes ça sur le cœur ça va te bouffer.
Je n'imagine pas ce que j'aurais ressenti si j'avais appris que papa n'était pas mon vrai père, je crois que j'aurais remis ma vie entière en question et que j'en aurais voulu à mes parents jusqu'à la fin de ma vie.
— Je crois que je l'ai toujours un peu su en fait...
Elle ramène ses genoux à sa poitrine.
— Je ressemblais à aucun d'entre vous. Toi et June vous étiez le portrait craché de maman et Lizzie est carrément le sosie de papa avec une perruque. J'ai pensé pendant longtemps que j'étais adopté ou qu'on s'était trompé à la naissance.
J'ai envie de rire, même si ce n'est pas drôle. C'est tout Sacha de penser qu'elle a été échangée à la naissance.
— Mais un jour j'ai remarqué que j'avais la même tâche que maman, sur le genou.
Elle relève son short pour me la montrer, la même, au même endroit.
— Mes doutes se sont alors portés sur papa. Et puis un jour, en science on travaillait sur l'ADN et notre prof nous a expliqué ce qu'il se passait avec les gènes qui se passaient de parents à enfants...
Elle s'est mise à parler des yeux bleus et du fait que deux parents aux yeux bleus ne pouvaient pas avoir d'enfants aux yeux marrons. Visiblement je suis la seule qui n'ait pas écouté un mot de mes cours de science.
— Pourquoi tu n'as jamais posé la question à maman ?
Sacha n'est pas aussi direct que moi, elle préfère toujours garder les choses dans un coin de sa tête plutôt que de s'exprimer.
— J'avais toujours un petit espoir que ça ne soit pas vrai.
Sa voix s'est éteinte puis elle a relevé la tête l'air de rien.
— Alors hier ce n'était pas vraiment une surprise quand je vous ai entendu en parler, reprends-t-elle.
J'ai beau aimer Sacha de tout mon cœur, je ne comprends pas toujours sa façon de réfléchir.
— Alors pourquoi tu es partie sans rien dire ?
Elle hausse les épaules.
— Pour éviter tout ça, dit-elle en me montrant de la tête, les discussions à rallonge et ton regard de pitié.
Je m'apprête à lui répondre que je n'ai pas de regard de pitié mais elle a probablement raison.
— Je me fiche de savoir qui est l'homme avec qui je partage mes gènes, c'est papa mon père. C'est lui qui a changé mes couches, qui était là à tous mes anniversaires et qui m'accompagnera probablement à l'autel le jour de mon mariage.
Un petit sourire vient de glisser sur le coin de mon visage en imaginant ma sœur en robe de marié
— Je n'ai pas envie qu'on en fasse une affaire d'état Nora, j'ai pas envie de penser à papa comme autre chose que comme mon père et je n'ai pas envie que vous y pensiez aussi.
Je réalise alors que ça ne voudrait pas uniquement dire que son père n'est pas son vrai père mais que Lizzie, June et moi nous retrouvons être ses demi-sœurs. Je comprends un peu mieux sa vision des choses.
— Tu as raison, papa est ton père. Maman est ta mère et nous sommes toutes les trois tes sœurs. On s'en fiche de tout ça.
Je passe mon bras autour de ses épaules et la serre contre moi, elle me repousse en me répondant que je la serre trop fort.
— Est-ce que tout ça a quand même un rapport avec ta fugue ?
Je n'arrête pas de penser à ce soir depuis que c'est arrivé.
— Peut-être un peu, je déteste toute cette pression que cette famille subit depuis l'annonce du divorce de papa et maman.
Je ne peux qu'être d'accord avec toi, plus rien ne va depuis ce jour-là.
— J'espérais que ça irait un peu mieux quand tu rentrerais d'Australie et qu'ils décideraient de ne plus faire semblant.
Papa ne vit plus du tout à la maison maintenant, ça évite les disputes éclatantes au milieu de la nuit. Mais il nous manque beaucoup.
— Mais au lieu de ça, maman semble encore plus triste qu'avant et toi et Lizzie passer votre temps à vous hurler dessus.
Je presse mes paupières, j'aurais dû réaliser que créer plus de tensions n'arrangeait rien. J'ai tellement voulu que Lizzie s'implique autant que moi que j'ai sûrement empiré les choses.
— T'inquiète pas pour maman, c'est un peu dur mais elle s'en remettra. Elle est forte.
Je crois que c'est la première fois que j'avais une pensée positive envers ma mère depuis la nuit où j'ai appris qu'elle avait trompé papa. Je passe trop de temps à jeter la faute sur tout le monde, je devrais simplement accepter la situation et arrêter d'envenimer les choses.
— Et Lizzie et moi on s'est toujours disputés, ça ne veut pas dire qu'on s'aime moins.
Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà passé vingt-quatre heures avec ma sœur aînée sans que nous finissions par nous crêper le chignon.
— Je pense qu'il faudrait que tu prennes les choses moins à cœur en ce qui concerne notre famille Nora.
J'ai un petit rire nerveux, plus facile à dire qu'à faire.
— C'est le travail de papa et de maman de s'inquiéter pour nous et pour tout ça, t'as pas à tout prendre sur tes épaules. Tu devrais plutôt t'occuper de toi.
Je me demande pendant un instant si ce n'est pas elle la grande sœur après tout.
— Et je te dis ça parce que je t'aime et que je tiens à toi.
Elle a utilisé le même ton que j'ai toujours avec elle, ce qui m'amuse. Je la serre à nouveau contre moi, même si je sais qu'elle déteste ça.Ma mère est rentrée un peu avant le repas ce soir, ce qui m'a permis de discuter un peu avec elle en cuisinant. Elle a d'abord été aussi surprise que moi quant à la réaction de Sacha. Puis après lui avoir expliqué plus en détail elle a compris. Elle a tout de même insisté pour aller lui parler et lui dire que si elle avait des questions elle serait toujours là pour y répondre. Ça a duré une petite demi-heure, juste le temps qu'il me fallait pour terminer de faire à manger. Nous nous sommes ensuite assises toutes les quatre à table, Sacha était de bonne humeur, ma mère a levé sa punition. Peut-être par culpabilité, mais Sacha s'en fiche. Tout ce qu'elle sait c'est qu'elle peut à nouveau sortir comme elle le souhaite. June a demandé à aller chez les Jones demain, j'ai tout de suite répondu que Sacha l'amènera sans soucis ce qui a fait tiquer ma sœur. Elle n'a rien dit devant ma mère mais je suis certaine qu'elle meurt d'envie de me demander si quelque chose s'est passé entre Scott et moi. La vérité c'est que je n'ai pas envie d'en parler et que j'espère qu'elle ne voudra pas entamer le sujet quand nous nous retrouverons seules.
J'ai tout fait pour rester loin de ma chambre en espérant que ma sœur s'endorme avant que je ne rejoigne mon lit. J'ai donc pris une très longue douche, je me suis ensuite séché les cheveux et puis je les ai lissés même s'ils le sont naturellement. Ça faisait un moment que je ne m'en étais pas occupé. Je me suis fait un masque, puis un soin. J'ai brossé mes dents et je n'avais plus rien à faire. Alors je suis descendue dans le salon regarder un film avec ma mère, lorsque quelqu'un a frappé à la porte. Ma mère s'est instantanément levée pour aller voir qui venait frapper chez nous à presque vingt et une heure. Mon cœur s'est mis à palpiter un peu plus vite, je me suis redressée dans l'espoir que ma mère m'appelle.
— Nora, il y a un jeune homme à la porte pour toi.
Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire avant de me reprendre : je suis supposée être en colère contre lui, je ne dois pas être heureuse qu'il soit tout de même venu me voir. Comment je suis supposée être froide alors que j'ai envie de lui sauter dans les bras ? Je me regarde une demi seconde dans le miroir du salon et arrange mon t-shirt. Ma mère m'embrasse la tempe et me signale qu'elle va se coucher. Je lui souhaite bonne nuit et me dirige vers la porte d'entrée. Je m'avance jusqu'à celle-ci, que ma mère a laissée entrouverte et me retrouve face à ... Camden. La déception doit se lire sur mon visage, je croise immédiatement les bras et lui lance le regard le plus blasé que je puisse avoir.
— Tu sembles ravie de me voir, dit-il en souriant.
Il a l'œil gauche et la pommette gonflés et la moitié du visage recouverts de bleu. Sa lèvre inférieure est ouverte et il porte un genre de minerve (qu'il doit avoir mis pour en rajouter, je connais Camden au moindre rhume il s'inventait des symptômes irréalistes pour se faire plaindre.)
— Tu as l'air en forme, piquais-je.
Ça ne l'amuse pas, mais je suis fière de moi. Une partie de moi pense sincèrement que Camden a mérité cette leçon même si je trouve que Scott n'aurait pas dû aller si loin, peut-être qu'un petit coup bien placé aurait suffi. Non je ne dois pas penser comme ça, la violence est inutile. La preuve.
— Je ne viens pas pour une visite de courtoisie, finit-il par dire.
Je lève les yeux et soupire en regardant derrière moi m'assurant que ma mère soit bien partie.
— Tu ne veux pas faire ça à un autre moment ? Demandais-je.
Il me répond par la négative.
— C'est toi qui as insisté pour que je laisse tomber toutes poursuites envers ton super copain, maintenant tu dois remplir ta part.
Il me tend un papier.
— Tu n'imagines même pas à quel point j'ai eu du mal à convaincre ma mère de ne pas faire envoyer ce crétin en prison.
Je lui réponds que Scott ne serait jamais allé en prison pour si peu, puis je lis la feuille. C'est la facture pour les réparations de sa Porsche. Je ne peux pas retenir un petit cri de surprise.
— Il aurait carrément pu aller en prison Nora, ne te voile pas la face.
Les numéros affichés devant mes yeux me laissent bouche bée, pourquoi acheter une voiture dont les pièces sont si chères ?
— Je vais devoir vider mon compte en banque, réalisais-je.
Mes parents ont mis de côté pour mes sœurs et moi depuis notre naissance, on a toutes un sacré paquet sur notre compte. Mais c'était supposé payer nos études pas les erreurs d'un voisin mignon qui a su prendre notre cœur.
— Tu dois beaucoup l'aimer, lance Camden d'un ton aigre.
Je relève les yeux vers lui, je n'ai pas envie de lui répondre. Je replie le papier et tiens la porte pour lui faire comprendre que je veux désormais qu'il parte.
— Merci Camden, dis-je en le pensant sincèrement.
Il serre la mâchoire, réalisant que c'est enfin fini pour de bon. Et qu'il ne peut plus rien y faire.
— Rentre bien, ajoutais-je même si je voulais plutôt lui souhaiter bon vent.
Il fait demi-tour et disparaît rapidement, je referme la porte à la fois soulagée que cette histoire avec lui soit terminée. Je reste un instant sur le pas de ma porte à regarder la maison d'en face dont les lumières sont éteintes. Il est si loin et si près à la fois.
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Fix you
Teen FictionNora revient d'un voyage d'un an en Australie. Elle espère avoir mis derrière elle tout ce qui la tracassait. Ses études, son futur et surtout ce garçon... Malheureusement, en un an, les choses changent... Un divorce, des secrets de familles révélé...