32. Scott

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Elio est arrivé ce matin, à l'aube comme je l'avais prédit. Il nous a traités de gros dégueu en nous voyant tous les deux collés dans son lit. Je lui ai assuré que nous n'avions rien fait de plus qu'être l'un contre l'autre et s'embrasser. Il a mimé une envie de vomir et a dit que c'était encore pire que si nous avions couché ensemble. Il est directement parti prendre une douche et nous a laissés nous réveiller tranquillement. Je crois que Nora aurait bien voulu dormir quelques heures de plus, elle ne fait que bailler et replonger sa tête dans l'oreiller.
— Tu veux un café ?
Elle secoue la tête et répond qu'elle déteste le café. Je lui souffle que je vais lui servir du jus de fruit. Elle me tire contre elle et enfouit son visage dans ma nuque.
— On peut rester ici, Elio ne compte pas se coucher de toute façon.
Je souris et l'entoure de mes bras avant de chasser les mèches de cheveux de son visage.
— Tu sais que tu es adorable quand tu es fatiguée.
Je lui embrasse le bout du nez et me tire du lit, j'enfile un t-shirt et informe Nora que je l'attendrai dans le salon.
Elle arrive une dizaine de minutes plus tard et vient se lover dans le canapé, encore un peu endormie. Elio sort de la salle de bain au même moment et passe dans sa chambre chercher des vêtements propres. J'apporte un verre de jus de fruit à Nora et lui demande si elle veut manger quoi que ce soit.
— Non, pas tout de suite, merci.
Elle boit une gorgée et place sa tête sur mon épaule. Elio nous rejoint et fais bien en sorte de me bousculer pour se mettre entre Nora et moi.
— Vous êtes répugnants.
Il passe un bras de derrière la tête de chacun d'entre nous.
— Alors vous êtes réconciliés ?
Nora hoche timidement la tête, Elio lui signale qu'il peut alors récupérer ses cent dollars. Nora se lève pour lui rendre.
— Je plaisante, garde-le. Ça servira à l'hôtel que vous pairez ce soir.
Je lève les yeux, évidemment qu'il ne supportera pas de voir deux personnes tendres l'une envers l'autre chez lui trop longtemps.
— Tu sais, je me demande parfois si tu n'es pas vraiment un sociopathe, affirmais-je.
Elio repousse ses cheveux en arrière, ils sont humides et commencent à boucler ce qui signifie qu'il ne va pas tarder à les plaquer en arrière.
— C'est toi qui m'as envoyé à l'hôpital, rappelle-t-il, alors le sociopathe entre nous...
Les yeux Nora s'écarquillent, elle nous regarde chacun notre tour en réalisant qu'il est le garçon dont je lui ai parlé.
— Mais...
Elio ouvre la bouche avant qu'elle n'ait le temps de quoi que ce soit.
— Pour sa défense, je l'avais bien cherché.
Il rit et me décoiffe.
— Ca n'a fait que renforcer notre amitié.
Il pointe son doigt sur la cicatrice qui se trouve sous son œil.
— Et me rendre encore plus sexy.
Il grimace et réfléchit.
— Peut-être que Scott a raison, je suis sûrement un sociopathe, conclue-t-il.
Il rit et se dirige dans la cuisine pour se servir une tasse de café noir. J'en profite pour venir me coller contre Nora.
Elle pose une de ses mains sur ma cuisse, je lui souris gentiment.
— Tu devrais appeler pour savoir si tu peux aller aujourd'hui pour la visite.
Je repense à ce cauchemar, celui d'hier soir. Je ne sais pas si aller voir mon père est l'idéal, peut-être que ça n'atténuera en rien tout ce qui me tourmente mais ça sera déjà une bonne chose. Je veux le voir et lui dire qu'il est responsable de tout ce qui ne tourne pas rond chez moi, lui et maman, mais il est trop tard pour que j'en parle avec elle. Je veux lui dire que malgré tout, j'arrive chaque jour à me remettre un peu de tout ça et qu'un jour tout ce qu'il me restera de lui ne sera que le prénom qu'il m'a donné à la naissance.

Nora a tenu à m'accompagner en bus, je lui ai dit que je ne voulais pas qu'elle approche cette prison. Alors elle est allée s'asseoir dans un café à quelques rues de là, je lui ai promis de l'appeler quand je sortirais. Je n'ai pas dit à Kate et Oliver que j'allais voir mon père, je crois que ça les aurait faits un peu paniquer, je ne vois pas l'intérêt de se faire un sang d'encre alors qu'ils sont chez eux et qu'ils n'auraient rien pu faire de plus. Je préfère qu'ils l'apprennent quand tout sera fini, entièrement fini.
Cet endroit fait froid dans le dos, mais pas autant que dans les films qu'on voit au cinéma. Il y a un tas de gens qui viennent pour les visites. J'ai donné un coup de fil ce matin et j'ai pu accéder aux visites de 14H. Une boule s'est immédiatement formée dans mon ventre, à tel point que j'ai pensé renoncer à y aller. Mais Nora m'a assuré que tout irait pour le mieux et qu'elle serait là quand j'en sortirais. Elle a raison, si je ne le fais pas maintenant je ne sais pas quand je serais capable de revenir ici, d'autant plus maintenant que je sais qu'il sort dans six mois. Nous sommes amenés dans une salle dans laquelle se trouvent des tables rondes en fer. Le gardien nous explique les règles strictes, si nous dérogeons à une seule d'entre elles, nous sommes immédiatement expulsés. Les prisonniers sont amenés quelques minutes après, je fixe un point invisible sur la table, trop angoissé pour lever la tête. J'entends quelqu'un s'asseoir en face de moi.
— Je ne m'attendais pas à te voir ici.
Je reconnaîtrais sa voix rocailleuse entre mille, il est là. Après six ans, si près de moi à nouveau. Je m'éclaircis la gorge et lève la tête, je ne veux pas qu'il voit que je suis effrayé, je n'ai plus douze ans, je n'ai plus peur. Ses cheveux sont totalement blancs et il a perdu beaucoup de poids, les années ici ne lui ont pas fait de cadeau. Il semble avoir pris quinze ans. Je bombe un peu plus le torse pour me donner confiance en moi. Sous la table, je serre mes mains l'une contre l'autre.
— Tu es un homme maintenant, dit-il en riant.
Je déteste son rire gras et ses dents rongées par toute la drogue qu'il a prise. Je ne supporte pas l'idée d'être en présence de lui, hors de question qu'il récupère ses droits sur moi quand il sortira.
— Je ne suis pas venu faire une visite de courtoisie.
J'essaie d'avoir l'air le plus froid possible.
— Oh, et bien, pourquoi tu es venu ?
Je ne sais pas tellement par où commencer, il y a tant de choses que j'aimerais lui dire et pourtant je ne crois pas qu'il s'intéresse à la moitié.
— J'ai appris que tu sortais dans six mois, commençais-je, je veux que tu saches que je ferais comme si tu n'avais jamais existé, libéré ou pas.
Il joint ses mains, intrigué par mon discours.
— Je ne veux plus rien avoir avec toi, jamais.
Il plisse les yeux, ce qui lui donne un air sévère.
— T'as... T'as gâché ma vie. Et maman aussi.
Je le vois contracter ses muscles.
— Ne parle pas de ta mère comme ça, elle est morte, tu n'as donc pas de respect !
Il réalise qu'il a trop levé la voix, le gardien nous lance un regard d'avertissement.
— Je n'ai aucun respect pour vous. Vous avez fait de ma vie un enfer, vous avez ruiné mon enfance. Et si tu veux que je sois vraiment honnête, je crois que j'aurais aimé que tu meurs avec elle.
Je sens mon estomac se retourner, surpris d'avoir moi-même osé dire ça. Le regard de mon père devient noir, si ça ne tenait qu'à lui, il me donnerait une sacrée correction. Mais il ne peut pas et c'est mon moment à moi.
— Je te déteste, profondément. Et je voulais juste te dire que tu as été le pire père qui ait pu exister sur cette planète.
Je ne sais plus vraiment si je lui dis ça pour lui faire du mal ou si j'ai seulement besoin de l'entendre à haute voix, je pense que c'est un peu des deux.
— Mais maman avait tort, je ne suis pas un raté comme toi, au contraire. Je fais des études, je travaille, j'ai des amis qui m'acceptent comme je suis.
Je déglutis, essayant difficilement de ne pas montrer mes émotions.
— J'ai une super copine.
Que j'ai terriblement hâte de retrouver en sortant d'ici, je crois qu'elle est ma seule motivation pour ne pas m'enfuir en courant.
— Et une vraie famille, qui m'aime.
Il me lance un regard de dégoût profond et me crache une réponse :
— Ils ne sont pas ta famille Scott, ce ne sont que des gens qui s'occupent de toi parce que l'état les paye pour.
J'aurais eu tendance à croire ce qu'il dit, mais une petite voix à l'intérieur me répète que je vaux le coup, que Kate et Oliver m'aiment sincèrement et que Roméo pense vraiment que je suis le meilleur grand-frère de l'univers.
— Ils m'aiment, plus que toi et maman ne m'avez jamais aimé. Et je suis heureux avec eux, et ils font tout ce que vous n'avez pas été capable de faire pour moi. Ils m'ont appris que je n'étais pas qu'un idiot inutile, que je n'étais pas qu'une bouche à nourrir. Grâce à eux je sais que tout n'est pas fichu et que je peux être réparé, je ne suis pas destiné à être un raté comme toi.
Ma voix s'est cassée sur les derniers mots. Je dois en finir avant de craquer définitivement.
— Je veux que tu renonces à tes droits parentaux, affirmais-je plus sûr que jamais, pour qu'ils m'adoptent définitivement et que je n'ai plus jamais à entendre parler de toi.
Je sais qu'il est terriblement en colère contre moi et que tout ce dont il rêve, là maintenant c'est me traiter de tous les noms. Mais il ne peut pas se permettre un scandale si près de sa sortie. Il prend une longue inspiration et même après toutes ces années, j'espère qu'au fond de lui il y a une part de lui qui veut que je sois heureux et qui m'accordera cette seule et unique demande.
— Tu peux bien faire ça.
Il mord l'intérieur de sa joue creuse, résigné.
— C'est d'accord.
Je crois avoir mal entendu et m'apprête à lui demander de répéter, mais j'ai peur qu'il change d'avis. Je veux sauter de joie, mais je me contente de rester impassible.
— Mon assistante sociale te contactera dans la semaine.
Je ne daigne même pas le remercier et me contente de me lever sans lui adresser un dernier regard, il reste assis à digérer toute la haine que je viens de lui balancer au visage sans dire un mot. Je ne sais pas si je suis sincèrement soulagé et si mes cauchemars s'arrêteront mais l'idée même de pouvoir annoncer à Oliver et Kate qu'ils pourront m'adopter me donne envie de pleurer de joie.

Quand j'arrive, Nora est déjà à l'arrêt de bus à faire les cents pas en m'attendant. Je me précipite vers elle et la prend dans mes bras. J'inspire longuement son parfum pour me détendre et essayer de me sortir de cette sensation d'angoisse qui me reste encore.
— Ca s'est bien passé ? Demande-t-elle.
Je ne réponds pas immédiatement, j'essaie de réaliser ce qu'il s'est passé et le fait que je sois maintenant libre et en sécurité. Mes mains tremblent encore un peu. Je la serre encore quelques secondes contre moi et soupire.
— Il va abandonner ses droits parentaux, dis-je ému, il va laisser Kate et Oliver m'adopter.
J'aurais pu émettre des doutes quant à la véracité de ses propos mais je sais que mon père aurait pris un malin plaisir à voir mon visage s'effondrer en refusant ma requête s'il avait voulu me dire non. Nora sourit, folle de joie et m'embrasse tendrement en me répétant que tout s'arrange toujours. Je n'y croyais pas vraiment avant mais je commence à réaliser qu'elle a raison.
J'ai voulu profiter de cette dernière soirée à New-York comme il se doit. Je suis allé chercher les affaires chez Elio et l'ai remercié de m'avoir accueilli (et d'avoir arrangé les choses entre moi et Nora même s'il était en grande partie responsable de notre dispute.) Il m'a répondu qu'il avait vraiment apprécié ma visite et qu'il espérait que je n'ai pas besoin d'attendre à nouveau de faire une crise existentielle pour revenir à New-York. J'ai ensuite trouvé un hôtel, à quelques rues de chez lui où passer la nuit. Puis j'ai invité Nora au restaurant. Je me suis excusé de ne pas lui avoir fait visiter la ville comme je lui ai promis mais j'ai considéré que ma visite à la prison était nécessaire et Kate et Oliver n'arrêtent pas d'harceler Nora pour savoir quand nous allons enfin rentrer. Et je dois avouer que j'ai hâte de rentrer chez moi, auprès d'eux et de leur annoncer la nouvelle pour l'adoption. Je suis assis en face de Nora, les lumières tamisées du restaurant se reflètent dans ses yeux clairs. Je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie à cet instant même et je lui dois en grande partie.

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