Je suis assis sur mon lit et je regarde dans le vide. Je n'ai pas envie de regarder de série, ni de sortir de ma chambre. Je n'arrive pas vraiment à me réveiller de ma sieste, je savais que je n'aurais pas dû dormir. J'ai besoin d'aller courir un peu, ça me fera du bien.
J'enfile un short et un t-shirt propre et je rejoins ma chambre pour récupérer mon casque. La porte de ma chambre s'ouvre à nouveau derrière moi. Kate apparaît.
— Ça va mieux ? Dit-elle d'une voix douce.
Je hoche la tête et attrape mon casque. Je la connais elle va vouloir parler. Parler de ce qu'il s'est passé hier, parler de Nora. Mais je n'en ai absolument pas envie.
— Je t'ai dit que je ne savais pas qui était le garçon qui m'avait fait ça.
Kate s'approche de moi et replie la couverture de mon lit avant de s'asseoir dessus. Je ne vais donc pas partir courir maintenant. Je m'assois à côté d'elle, exprimant mon mécontentement par un soupir lourd et bruyant.
— Et je sais que tu mens, mais ce n'est pas le sujet.
Je déteste que Kate me connaisse autant. Elle sait quand j'ai mal quelque part, quand je n'aime pas quelque chose qu'elle a cuisiné, quand je mens. J'ai longtemps pensé que j'étais trop nul pour cacher mes émotions et que tout devait se lire sur mon visage. Mais Oliver assure ne pas comprendre comment elle réussit à me lire comme elle le fait.
— Alors c'est quoi le sujet ?
Elle toussote pour réfléchir à la meilleure façon de discuter avec moi sans que je ne me renferme.
— Je sais que les choses ne sont pas toujours faciles pour toi. Et je ne sais pas ce qui a poussé ce garçon à te faire du mal Scott mais...
Elle pose une main sur la mienne. Je ressens une irrépressible envie de la retirer mais je ne veux pas blesser Kate alors je ne bouge pas.
— Si Naveen n'avait pas été là, qu'est-ce qu'il se serait passé ?
Je presse mes paupières à la simple entente de ces mots. Je n'ai pas envie d'en parler, je n'ai pas envie de l'imaginer. Naveen était là et c'est terminé. Je veux changer de sujet.
— Je vais bien, assurais-je sans vraiment en être certain moi-même.
Kate se mordille la lèvre et comprend que je ne compte pas parler de ça plus longtemps, alors elle tente de sortir sa dernière carte.
— Nora semble vraiment tenir à toi, dit-elle de façon presque inaudible.
Je crois que l'entendre de la bouche de Kate me rassure un peu. Peut-être qu'elle a vu quelque chose que moi je ne vois pas. Peut-être que Nora lui a dit quelque chose qu'elle ne m'aurait pas dite. Je chasse immédiatement ces pensées en réalisant que Kate ne cherche qu'à me faire plaisir et se fait elle aussi des films. Nora se fiche éperdument de moi et j'aurais dû le voir avant. C'est moi qui lui fais des avances depuis le début. Elle n'a jamais montré de signes d'intérêt à mon égard et lorsqu'elle m'a prévenu en expliquant encore et encore que je finirais par me désintéresser d'elle, peut-être qu'elle voulait me repousser poliment. Mais je n'ai rien voulu entendre et voir. Et hier, ça m'est revenu en plein visage, littéralement. Elle était avec Camden parce que c'est lui qu'elle aime et je ne sais pas à quoi je jouais en imaginant qu'elle m'appréciait. Elle m'a embrassé pour le rendre jaloux, cette nuit-là dans la salle de bain. C'était le drapeau rouge qui aurait dû me faire fuir plutôt que de m'attirer. Mais je suis visiblement trop bête pour voir les choses évidentes. Maintenant c'est fini et j'espère qu'elle l'a compris, elle n'a plus besoin de faire semblant, au moins c'est clair. Pour l'un comme pour l'autre.
— Je vais aller chez Naveen, lançais-je en me relevant du lit.
Kate m'interpelle une dernière fois.
— Est-ce que tu veux retourner voir un psychiatre ?
Le ton qu'elle prend en disant ça me donne envie de vomir, j'ai l'impression de ne pas avoir évolué d'être toujours ce petit garçon cassé qu'elle a recueilli il y a presque six ans, celui qu'elle n'a pas réussi à réparer et qui est une cause perdue. Je ne prends même pas la peine de répondre et sort de ma chambre. À peine le pas de la porte passé je me mets à courir, très vite. Ce qui est bête, je vais m'épuiser et ne plus avoir d'énergie. Mais j'ai besoin de courir et de ne plus penser à rien. Ni à hier soir, ni à Nora, ni au psy, ni à rien du tout. J'ai mal à l'intérieur, ce n'est pas physique c'est plus profond que ça. J'ai besoin que tout sorte et j'ai l'impression que courir m'aide. Je ne sais pas vraiment en fait. Je cours tellement vite que l'air me pique les yeux et que les larmes finissent par couler. Elles dévalent mes joues et ma respiration se saccade. Je n'ai bientôt plus la force de respirer. Je m'arrête alors et laisse encore les larmes couler, peut-être que ce n'était pas juste l'air finalement. Je joins mes mains et essaie de me reprendre, la marque rouge autour de mon poignet s'estompe et laisse place à un bracelet violet qui finira par partir, comme toujours. Là, tout de suite, j'aimerais être au fond de mon lit, tout seul. Loin de tout ça, loin de tout et de tout le monde. Je me reprends enfin et réussis à nouveau à courir jusqu'à chez Naveen. Quand j'arrive, Marie m'ouvre. Elle s'apprête probablement à me dire que Naveen n'a le droit de voir personne mais l'air sur mon visage lui fait changer d'avis. Je dois avoir les yeux un peu rouges et le fait que je sois essoufflé rend probablement la vision de sa mère encore plus pitoyable, ça suffit en tout cas à me laisser voir son fils. Je fonce directement jusqu'à sa chambre. Il est assis dans son lit et bouquine sagement. Naveen me lance un sourire puis fronce les yeux en comprenant que ce n'est pas normal que je sois là.
— Comment tu as fait pour convaincre ma mère de te laisser me voir ?
J'essaie d'avoir l'air le plus naturel possible, comme si je ne venais pas de chouiner à quelques pas de chez lui.
— Tu sais très bien que tes mères ne peuvent pas me résister, plaisantais-je.
Il prend un stylo qui était posé sur sa table de chevet et me le balance. Je remarque que son poignet droit est entouré d'une attelle. Je m'approche de lui et viens prendre place sur le lit à ses côtés.
— Ça va ? Demandais-je en regardant sa main.
Il referme son livre et regarde lui-même son bras.
— En dehors de l'heure d'attente aux urgences, du fait que je sois privé de sortie pour bagarre et que je ne puisse plus faire de skate avant d'être rétabli, oui.
Il rit, prenant ça avec légèreté. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser au fait que tout est de ma faute. Un sentiment de culpabilité m'englobe et je ne sais pas quoi dire d'autre que :
— Désolé.
Je sais à quel point le skate est quelque chose d'important pour Naveen et le fait qu'il en soit privé à cause de moi me rend malade.
— Vois le bon côté des choses, je suis passé pour un héros et Mindy m'a envoyé un message sur Instagram après que sa copine brune lui a tout raconté.
Il sort son portable et me montre les messages de la jolie rousse inquiète.
— Quel charmeur, dis-je en le poussant gentiment.
Nous nous retrouvons tous les deux, l'un à côté de l'autre, silencieux. Je ne peux pas m'empêcher de penser à cette nuit et à ce que m'a dit Kate : et si Naveen n'avait pas été là ? Il a raison, il a joué le héros et est arrivé au bon moment.
— Tu vas m'expliquer ce truc avec cette fille au fait ?
Il cherche longuement son prénom et je ne compte pas l'aider.
— Enola ?
— Nora, corrigeais-je.
Il hoche la tête et le répète à nouveau.
— Oui, Nora. Alors, qu'est-ce qu'il se passe avec elle ?
Je me relève de son lit et répond qu'il ne se passe rien, ce qui est la stricte vérité.
— Oh arrête, tu passes une soirée entière à la dévorer des yeux, tu te retrouves à te battre avec le mec qui se trouve être avec elle et j'apprends qu'il s'agit de ta voisine ?
Il cherche des réponses dans mon regard.
— J'ai l'impression d'être face à un puzzle dont je n'ai qu'un quart des pièces, c'est frustrant.
Il n'y a rien à dire. Nora est ma voisine et elle m'a plu, elle a un petit ami qui s'avère être un profond connard. C'est tout, rien de passionnant.
— J'ai juste été au mauvais endroit au mauvais moment, rien de plus.
Ça ne suffit bien évidemment pas à Naveen qui insiste à nouveau pour savoir comment j'ai connu Nora.
— C'est ma voisine, elle te l'a dit elle-même.
Naveen n'est pas aussi têtu que Kate, heureusement et c'est ce que j'aime chez lui. Mais il me connaît aussi malheureusement très bien.
— Tu ne resterais pas aussi vague s'il n'y avait pas quelque chose.
Face à mon silence, il reprend :
— Mais tu ne veux rien dire, c'est ok. Je comprends.
Maintenant je me sens encore plus coupable, justement parce qu'il laisse tomber. Je ne veux pas qu'il ait l'impression que je lui cache quelque chose ou que je ne lui fais pas confiance, c'est l'inverse total.
— C'est plus important de toute façon. Elle se fiche de moi, je me suis fait des idées.
Je m'assois à nouveau sur son lit et regarde les poutres de son plafond.
Il se lève, s'approche de sa planche posée sur son bureau. Je l'entends jouer avec les roues.
—T'en es sûr ?
Je hoche la tête et me rappelle qu'il ne me regarde pas.
— Elle est attachée à ce pauvre débile de Camden, celui que tu as frappé.
Je ne comprends d'ailleurs pas vraiment ce qu'il a de plus que moi. Il n'est pas si beau et ne semble pas la traiter comme il le devrait. Si on ajoute à ça la violence, il perd carrément des points.
— C'est pourtant après toi qu'elle a couru après que j'ai donné la correction qu'il méritait à ce débile de Camden.
Il se vante mais il a raison, je n'aurais jamais cru voir Naveen avoir autant de force.
— Parce qu'elle...
Je n'ai pas d'explications, il a raison. Elle aurait dû rester avec lui et se soucier de ce qu'il venait de se prendre au visage, mais à la place elle est venue voir si j'allais bien et m'a ramené chez moi.
— Elle se sentait coupable.
Je me rappelle le pique-nique qu'elle m'a préparé pour se faire pardonner de la remarque qu'elle a faite au sujet de « mes parents » et parce qu'elle se sentait mal de m'avoir simplement vexé. Elle est rongée par la culpabilité. Elle fait probablement partie de ces personnes empathiques qui se sentent toujours super mal pour les autres. Ou elle ne supporte simplement pas que quelqu'un lui en veuille.
— Tu ne peux pas juste imaginer une seconde qu'elle t'apprécie peut-être vraiment ? J'ai l'impression que t'essaies surtout de te convaincre toi.
Je me redresse, me tenant sur les coudes.
— Qu'est-ce que t'en sais d'abord ? Rétorquais-je.
Ce n'est pas comme si Naveen avait vraiment beaucoup de succès auprès des filles ou avec les relations amicales tout court d'ailleurs.
— T'as raison, je n'en sais rien. Mais toi non plus d'ailleurs, parce que j'imagine que tu ne lui as pas vraiment laissé l'opportunité de discuter avec toi.
Il marque encore un point mais je ne lui dis pas, il va finir par prendre la grosse tête à force.
— Je crois que je préfère quand tu ne parles pas et que tu skates.
Il me montre son poignet.
— Mais je ne peux pas parce que je suis un super ami.
Il rigole et moi aussi, je le regarde et réalise vraiment son geste. Sa réaction d'hier soir. Si je sais une chose sur Naveen c'est qu'il n'est pas violent. Et le fait qu'il n'ait pas hésité une seconde à s'interposer entre Camden et moi hier soir prouve qu'il tient vraiment à moi et qu'il fait partie de ces personnes qu'on peut appeler « vrai ami ». Même si je n'avais pas besoin de ça pour le savoir. Je me lève alors du lit et m'approche de lui, je m'avance et le prend dans mes bras. Il est surpris par mon geste et m'entoure de ses bras, hésitant.
— Merci, lui dis-je simplement.
Je ne crois pas avoir déjà été si tactile avec Naveen. Et je comprends qu'il soit désorienté face à un tel élan d'affection de ma part. Mais je ne crois pas que ça le dérange spécialement. Je veux qu'il comprenne qu'il n'y a que très peu de personne sur cette planète que j'aime et à qui je ferais confiance avec ma propre vie mais il en fait partie. Et peut-être que ça ne veut pas dire grand-chose comme ça mais pour moi c'est vraiment important. Je suis incapable de l'exprimer avec des mots et je crois que c'est ce que je peux faire de mieux pour l'instant et j'espère qu'il peut s'en contenter.
— Si je dois me fracturer quelque chose pour avoir un câlin de ta part, ça risque de me faire très mal.
Je le repousse et éclate de rire.
— Merci à toi, répond-t-il à son tour.
Je ne lui demande pas de quoi il parle, je crois que je l'ai deviné. Naveen et moi nous complétons tous les deux. Je suis cet ami qui ne lui demande pas d'être quelqu'un d'autre et qui l'aime sans concession, celui qui peut le regarder des heures skate et ne jamais lui reprocher d'être ennuyeux ou de ne pas assez parler. Celui qui le soutient toujours dans ce qui l'aime et qui jamais n'oserait le rabaisser. Je crois qu'il ne lui en faut pas plus et c'est tout ce que je peux lui offrir de toute façon.
— Tu as intérêt à demander à Mindy de sortir avec toi un soir maintenant.
Mon ami grimace.
— Maintenant que tu as frappé un type en plein visage, tu n'as plus aucune excuse pour avoir peur de proposer un rendez-vous à une fille.
Il lève les yeux et me promet de le faire dès que je serai parti.
— Et bien arme toi de ton téléphone, parce que je rentre chez moi !
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Fix you
Roman pour AdolescentsNora revient d'un voyage d'un an en Australie. Elle espère avoir mis derrière elle tout ce qui la tracassait. Ses études, son futur et surtout ce garçon... Malheureusement, en un an, les choses changent... Un divorce, des secrets de familles révélé...