Fix you

5. Nora

Je me réveille aux côtés de Mindy, ses cheveux sont étalés sur la moitié de mon visage et un de ses bras est posé sur mon ventre. Je me redresse et prends mon portable, il est presque dix heures et demie. Je me repasse la soirée en tête en espérant ne pas avoir fait de bêtises que mes amies ne me feraient jamais oublier. J'ai vu Camden, c'était la première fois depuis un an. Et je dois être honnête, ça m'a fait tout drôle. Tous les deux ça a duré neuf mois. On se tournait autour sans trop faire le premier pas. Je pensais que Camden ne s'intéresserait jamais à moi. Il était trop intelligent et il avait l'occasion d'avoir les filles qu'il voulait alors pourquoi se serait-il attardé sur moi ? Mais un soir nous avons fini par nous embrasser dans un coin de la maison de Danna. Elle fêtait le lancement de sa première campagne en tant que mannequin et avait fait un truc immense. On a passé la nuit tous les deux, Camden et moi, mais nous n'avions rien fait d'autre que discuter. C'est ce qui m'a d'autant plus attiré chez lui à ce moment-là, qu'il ne tente rien la première nuit.

Ça nous a aussi servi d'excuse pour se revoir : afin de rattraper ce qu'il ne s'était pas passé.
De là, on a commencé à se fréquenter de temps en temps. Il ne voulait pas de relation officielle et je respectais son choix. Une partie de moi espérait qu'il change d'avis à un moment où un autre en voyant à quel point ce qu'on avait été bien. C'était vraiment cool ce qu'on avait. On discutait toujours de sujets intéressants et il me faisait rire. J'ai mis un temps fou à me rendre compte que je le plaçais sur un piédestal et qu'il était loin de l'image que je m'étais créée de sa personne.
Kiva, Danna et Mindy n'ont jamais compris ce que je lui trouvais. Et je pensais qu'elles voulaient juste être sympas quand elles disaient que je pouvais trouver largement mieux. Alors voilà, j'ai passé neuf mois à rester à sa disposition encore et encore et à bloquer toutes les autres occasions que j'avais avec les garçons. C'est devenu difficile à un certain moment. Je ne comprenais pas ce qu'il lui fallait de plus pour qu'on soit ensemble tous les deux, nous étions pratiquement un couple après tout. J'ai espéré, pleuré et attendu encore et encore.
Et chaque fois que je décidais de tourner la page et d'arrêter de me faire avoir par un garçon qui ne méritait pas la moitié de mon attention, il revenait comme il a toujours su le faire pour me séduire à nouveau. Je devenais toujours plus attrayante quand je ne lui accordais plus mon temps. Et puis un jour, sans raison, j'ai eu un déclic. J'ai réalisé qu'on ne discutait pas vraiment mais qu'il passait son temps à me montrer qu'il était plus intelligent que moi. Il ne me parlait jamais de ce qu'il aimait, ce qu'il faisait de ses journées où de simplement sa famille. Et alors que je pensais qu'il s'intéressait à moi, parce qu'il voulait toujours que je m'exprime et que je parle de moi. Il faisait en fait toujours en sorte de me faire parler de ce que je ressentais pour lui. Il avait besoin d'être flatté, rassuré. Il aimait que je l'aime et c'est tout ce qui comptait pour lui. Quand j'ai réalisé tout ça, le reste a suivi. Il n'était plus aussi drôle, plus aussi beau et surtout (et ca je le savais très bien au fond de moi) très nul au lit.
Je me suis maudite d'avoir mis autant de temps à le voir et d'avoir été aussi aveuglée par mes sentiments. Mais c'est ce qu'on dit toujours, que l'amour rend aveugle et c'est malheureusement bien vrai. Mais j'ai compris que ce que je ressentais pour lui n'était pas de l'amour, c'en était même loin. Malheureusement tout ce pseudo amour a laissé place à un sentiment de dégoût envers lui et de honte envers moi. J'avais besoin de respirer, de clore ce chapitre de ma vie définitivement. Il fallait que je parte loin, pour me recentrer. Et ça a fonctionné. Je dois être honnête, je suis partie par peur de ne jamais réussir à l'oublier. Que malgré le fait que j'ai réalisé mon erreur et que la réalité me soit éclatée en face, je retourne encore et encore dans ce manège. Je ne voulais plus vivre ça.
Hier soir quand je l'ai revu ça m'a fait drôle mais pas parce que mes sentiments envers lui sont remontés à la surface mais parce que pour la première fois de ma vie je n'avais pas envie de le voir. Et quand on a été attaché à quelqu'un à ce point pendant des mois, c'est vraiment une victoire. Il m'a affiché son plus beau sourire et m'a demandé comment j'allais en me prenant la main. Je connais son manège, je sais comment il est. Je l'ai fui, je ne le veux plus. Et donc, dans sa logique malsaine, je deviens plus intéressante que jamais. Et peu importe combien de fois je le rejetterai, il insistera d'autant plus. J'ai appris à mes dépends à plusieurs reprises que Camden ne prenait pas toujours « non » comme une réponse. La seule chose qui pouvait l'arrêter était de blesser son ego. Et comment le vexer plus qu'en lui montrant que j'avais trouvé quelqu'un d'autre.
Je me suis donc détachée de lui et suis montée à l'étage, sachant pertinemment qu'il me suivrait. J'ai eu la chance de tomber sur Scott et surtout la chance qu'il ne me prenne pas pour une folle. Je ne sais pas si ça suffira définitivement à Camden mais ça me laissera une ou deux semaines pour respirer avant qu'il ne m'envoie un message pour me parler du looser que j'ai choisi pour arrêter de penser à lui (ce sont les mots qu'il va utiliser, je le connais.) Mais j'aurais trouvé une autre façon de le repousser d'ici là, mais pour l'instant je veux éviter d'y penser.
Je pense à Scott et à la façon qu'il a eue de naturellement accepter mon baiser. Je mentirais si je disais que ce n'était pas agréable. Il a directement attrapé mes hanches et ça m'a plu. Scott est très charmant et a été compréhensif quant à la situation. Je me suis presque sentie stupide de lui avoir déballé tout mon charabia sur les relations que je ne voulais plus. Mais je crois que je l'ai surtout dit pour moi plus que pour lui. Il ne se souviendra sûrement pas de tout ça de toute façon, il devait être bourré vu l'odeur d'alcool qui émanait de lui. Je suis ensuite redescendue rejoindre Mindy qui discutait avec un jeune homme, elle lui faisait tout un discours sur l'importance du tri des déchets et semblait vraiment l'intéresser. Je lui ai dit que Camden était là, ce qui a suffi à mon amie pour trouver cette fête naze et me proposer d'aller boire un verre dans un bar et danser.

À son réveil, j'ai prévenu Mindy que je devais rentrer et me suis faufilée jusqu'à ma voiture avec mes talons à la main. Arrivée chez moi, Lizzie était dans la cuisine en train de faire des pancakes pour la collecte de vêtements de l'église de l'après-midi.
— Ça sent bon, fis-je remarquer.
Elle me pointe une assiette de son doigt parfaitement manucuré. Ma sœur est toujours parfaite de la tête aux pieds.
— Ceux-ci sont pour vous.
Je prends un pancake et monte jusqu'à la salle de bain de l'étage. Je jette mes vêtements dans la panière de linge sale et me glisse sous la douche où je reste pendant presque trente minutes. J'ai pensé à mes premiers jours ici, quand je suis revenue je me suis demandé si je n'étais pas partie pour rien. Si je n'avais pas fui mon quotidien pour y revenir simplement sans avoir réussi à devenir une meilleure personne. Je ne suis toujours pas sûre que ça soit le cas. Je pense que j'ai évolué d'une certaine manière, la façon dont j'ai refusé les avances de Camden le prouve. J'ai pensé pendant un an, à qui je voulais être et à ce que je voulais faire. J'avais peur de partir d'ici, peur d'explorer ce que l'avenir avait à m'offrir. Maintenant que j'ai traversé l'océan en avion et que j'ai vécu loin de tout ce que je connaissais depuis des années, je ne devrais plus avoir de mal à me projeter et suivre mes rêves. J'y crois, et j'y arriverai.

Je me suis rendormie une petite heure avant que Sacha ne vienne interrompre mon sommeil de ses gros pas bruyants.
— Tu ne veux pas enlever tes plateformes dans l'entrée ? Râlais-je.
Ma sœur ne prend pas la peine de répondre et s'étale sur son lit.
— Ellie me propose d'aller garder les chiens de sa tante pendant deux jours avec elle. Y'a un home cinéma et un super jacuzzi d'intérieur là-bas.
Je baille et lui demande où habite sa tante.
— À une demi-heure d'ici, la mère d'Ellie nous emmène.
Je hausse les épaules et lui lance que ça vaut le coup et qu'elle devrait juste prévenir papa qu'elle y va. Sacha et Ellie sont toujours collés l'une à l'autre, je me demande comment elles ne peuvent encore se supporter.
— Tu pourras aller chercher June à ma place chez les Jones tout à l'heure ?
Je mets une seconde à comprendre de quoi elle parle.
— Les voisins d'en face ?
Sacha hoche la tête et me répond qu'elle prend des vêtements et qu'elle retourne chez Ellie.
— Oui si tu veux.
Elle me remercie et sort un sac à dos dans lequel elle commence à fourrer des vêtements un peu au hasard. Je m'allonge de nouveau dans le lit et me frotte les yeux, un peu désorientée. Sacha me souhaite bonne soirée et sort de la chambre sans prendre la peine de refermer derrière elle.
— LA PORTE ! hurlais-je.
Mais elle est déjà trop loin (ou elle fait semblant de ne pas m'entendre). Je me lève en râlant.
Un an sans mes sœurs ce n'était pas si mal en fait.

Il est bientôt dix-huit heures, je ne vais pas tarder à aller chercher June. Ma mère rentre pour le repas, ça serait bien qu'on mange toutes les trois avec elle (étant donné que Sacha s'est absentée). J'enfile mes baskets et traverse la route pour retrouver la fameuse maison de nos voisins. Au moins June n'a pas eu à chercher très loin pour se trouver des amis. Je frappe à la porte et attend sagement que Madame Jones vienne m'ouvrir. Kate (il me semble que c'est comme ça que Sacha m'a dit qu'elle s'appelait) m'accueille d'un grand sourire. J'ai pu la rencontrer au barbecue de mon retour l'autre jour. On n'a que brièvement parlé mais de tout ce que June nous dit sur elle, ça a l'air d'être une mère très aimante et surtout très présente. Je sais que ma mère est un peu triste quand June énumère tout ce que Kate fait pour elle et Roméo. Mais elle comprendra un jour que ce que ma mère fait est vraiment incroyable aussi.
— Je n'ai pas vu l'heure, ils sont encore en train de jouer dans la piscine, s'excuse-t-elle, ils y passent leurs après-midis en ce moment.
Je lui réponds qu'il n'y a aucun problème et que je suis venue plus tôt de toute façon.
— J'ai les mains dans les plantes, dit-elle en les essuyant sur son jean.
— Ne vous embêtez pas, je vais aller la chercher.
Elle me remercie et retourne à son énorme pot de fleur qu'elle remet en place à côté de la télévision. Je traverse le couloir et me laisse guider aux cris de joie des enfants. Je passe la porte extérieure et les vois tous les deux, bouées autour des bras et des hanches, morts de rire. Il y a une autre personne avec eux, autre personne qui n'est pas Oliver ( le mari de Kate) et qui est dans l'eau aussi à les soulever en l'air et les balancer encore et encore. Les enfants s'étouffent presque de rire.
— Bonjour, dis-je pour attirer leur attention.
Ils tournent tous les trois la tête vers moi et je reconnais avec stupeur Scott. Scott le serveur, Scott le garçon de la soirée d'hier. Qu'est-ce qu'il fiche ici ? Je ne cache pas ma surprise du tout. June se met à geindre en disant que Sacha vient toujours un peu plus tard.
— On doit prendre une douche avant que maman rentre, répondis-je à ma petite sœur.
Elle prend les marches et me rejoint surexcitée.
— Maman est là ce soir ?
Je hoche la tête tandis que June hurle sa joie à son ami. Scott sort à son tour de l'eau. Comme les mannequins dans les publicités de parfum pour homme, j'ai tout d'un coup l'impression qu'il bouge au ralenti. Il repousse ses cheveux en arrière, l'eau dégoulinant sur ses abdos bien dessinés. Il sort entièrement et attrape une serviette avec laquelle il essuie brièvement ses cheveux maintenant ébouriffés. Il me lance un grand sourire tandis que j'essaie toujours de faire les connexions dans ma tête. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Dans la piscine de mes voisins avec ma petite sœur ?
— Tu es la nounou où quelque chose dans le genre ? Réussis-je à bégayer.
Scott fronce les sourcils et regarde autour de lui pour être sûr que je m'adresse bel et bien à lui.
— Moi ? Non, je vis ici.
Je bégaie quelque chose d'incompréhensible avant de reprendre :
— C'est donc toi le deuxième fils ?
Je n'imaginais pas une seconde que le monde puisse être si petit. Sur tous les gens des Etats-Unis et même de cette ville entière mon voisin et frère du meilleur ami de ma petite sœur n'est autre que Scott. Je ne lui laisse pas le temps de répondre.
— Génial, dis-je de façon ironique.
Hier soir, dans la salle de bain. Lorsque j'ai balancé tous ces trucs sur les relations à Scott je me suis rassurée en me disant, qu'avec un peu de chance, je ne le reverrais plus jamais. Mais là, c'est raté. Kate arrive dans le jardin et me demande si tout va bien.
— Oui, oui parfaitement. June enlève tes brassards, il faut qu'on rentre.
Scott me regarde en coin, un sourire moqueur aux lèvres. Quelque chose me dit qu'il savait très bien qui j'étais et où je vivais.
— Est-ce qu'elle peut revenir demain ? Demande Roméo.
Je m'apprête à répondre automatiquement par la négative. Je vais devoir être celle qui l'emmène et je n'ai pas spécialement envie de voir Scott tous les jours. Je repense soudain à notre baiser et sens mes joues s'enflammer. Je pourrais m'occuper de June toute la journée, mais elle finirait par me supplier de la laisser aller jouer chez Roméo.
— D'accord, dis-je un peu contrariée.
Le petit garçon blond saute en l'air et tape dans la main de ma sœur.
— Alors, à demain, lance Scott de façon nonchalante.
Je salue Kate et pousse ma sœur jusqu'à la porte d'entrée. June me demande de ralentir, ses pieds mouillés glissent trop dans ses tongs. Je passe la porte de chez nous et envoie ma petite sœur directement à la douche. Ma mère rentre quelques minutes plus tard, un peu en avance. Elle nous rejoint June et moi, dans la salle de bain. Ma sœur est en pyjama, je suis en train de natter ses cheveux.
— Maman ! Crie-t-elle de joie.
Ma mère nous embrasse chacune notre tour sur la joue. Toutes les trois devant le miroir, la ressemblance est frappante. La même personne à trois âges différents. Je comprends pourquoi les gens nous le répètent sans cesse.
— On pourrait se faire un plateau télé, toutes les trois ce soir, propose ma mère.
Je noue l'élastique autour de la deuxième natte de June et me tourne.
— Lizzie et papa ne mangent pas avec nous ?
Elle secoue la tête.
— Lizzie est au restaurant avec les parents de Sean et papa... Il va passer un ou deux jours chez votre oncle.
Je déglutie et baisse directement les yeux sur June qui a fait semblant de n'avoir rien entendu. Le regard fatigué et triste de ma mère en dit long sur ce qu'elle ressent actuellement.
— C'est très bien un plateau télé, lui dis-je en caressant la pointe de ses cheveux bruns.

Nous avons mangé toutes les trois devant un film. Nous n'avions pas fait ça depuis la naissance de June et ça m'avait beaucoup manqué. J'aurais aimé que Lizzie et Sacha soient là aussi. Et papa aussi. Mais je me contente de profiter de ces rares moments que ma mère peut nous octroyer, c'est toujours mieux que rien. Ma mère est épuisée, elle me dépose un baiser sur le front et emmène ma sœur.
— Tu peux sortir la poubelle avant d'aller dormir ? Demande-t-elle. J'opine et lui souhaite bonne nuit. Lorsque je sors, la poubelle en main pour la déposer au bout de mon allée, je tombe sur Scott, torse nu, une clope à la main. Il me sourit en me regardant poser la poubelle dans le container.
 — Bonne soirée, voisine. Je lui fais un bref signe de la main et fais demi-tour. Drôle de retour à la vie réelle.