24. Scott

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Trois paires d'yeux sont rivées sur moi, attendant que je me justifie. Que je dise que c'est une erreur, qu'ils se sont trompés. Que je dise n'importe quoi qui puisse expliquer ce coup de fil. Je les regarde tout à tour, tous les trois. Une émotion différente se lit en chacun d'entre eux. La surprise pour Oliver, l'incompréhension pour Nora, la déception pour Kate. Parce qu'elle sait, elle me lit comme un livre. Elle n'a pas besoin que je dise quoi que ce soit. Alors qu'Oliver et Nora pensent toujours qu'il y a une explication plausible.

— Je... Commençais-je.
Le visage de Kate se ferme complètement, peut-être avait-elle un dernier espoir que je nie mais je savais que ça me retomberait dessus. Depuis hier soir, une putain de bombe à retardement qui avançait au ralentit se trouvait au-dessus de ma tête. Je suis allé chercher Nora parce que j'avais besoin de m'apaiser, j'avais besoin de la voir. Et parce qu'une partie de moi savait qu'elle allait être très en colère après avoir appris ce que j'ai fait. Je voulais qu'on passe une nuit loin de tout ça avant de devoir assumer les conséquences de mes actes. Je regarde mes mains, en me disant que, peu importe la façon dont j'essaierais d'expliquer ce qu'il s'est passé, je passerai pour le monstre et je serais coupable à leurs yeux. Ils vont m'en vouloir et c'est tout ce que je mérite. Rien de plus.
— Scott ?
La voix presque inaudible de Nora me fait réaliser qu'elle est toujours là, dans mon lit à côté de moi. Nora ne connaît pas toute cette merde, elle est loin de savoir l'enfer que je fais subir à Oliver et Kate, elle n'a pas l'habitude. Et je crois que la plus susceptible d'être déçue finalement, c'est elle. Elle me regarde dans l'espoir que je dise quelque chose d'autre, n'importe quoi. Elle pose sa main sur la mienne et répète encore mon prénom.
— Il avait commencé, tentais-je en vain.
Je ne sais pas ce qui est le pire, penser que je peux attirer leur sympathie en me trouvant des excuses ou ignorer le fait que Nora ne voudra plus jamais me parler quand elle saura qui est le garçon qui a porté plainte et surtout ce que je lui ai fait.
— Dans le salon, tout de suite.
Oliver et Kate sortent de la chambre et claquent la porte derrière eux. Je pense immédiatement à Roméo, je ne veux pas qu'il se réveille maintenant. Il va m'en vouloir de les avoir mis tous les deux en colère, je n'ai pas besoin d'une personne de plus pour me détester.
Nora sort du lit et me demande d'une voix toujours aussi douce et attentive ce qu'il s'est passé. Je me lève et me place face à elle, elle prend ma main et caresse mes jointures rougies en comprenant simplement ce qu'il s'est passé.
— Si c'était de la légitime défense tu peux l'expliquer, m'assure-t-elle. Tu veux que je reste avec toi pour parler à Kate et Oliver ?
La culpabilité me ronge et je ne fais que penser au fait que je ne mérite pas quelqu'un comme Nora. Elle est trop innocente, trop stable. Elle mérite un type dont les seuls problèmes seraient de devoir emmener sa voiture hors de prix se faire réparer parce qu'un abruti alcoolisé aurait éclaté le pare-brise.
— Je suis désolé, dis-je simplement, vraiment.
Elle plisse les yeux et amène sa main à mon visage pour me caresser la joue. Je ferme les yeux et profite de ce contact comme s'il était le dernier qu'elle m'offrait.
— Eh, ne t'inquiète pas, je suis là, chuchote-t-elle en voyant à quel point je suis bouleversé.
Elle s'avance pour m'embrasser mais je refuse poliment son baiser. Elle va me détester dans quelques minutes et je ne veux pas profiter de ces derniers instants de paix en sachant pertinemment qu'elle regrettera ce baiser. J'enfile rapidement un jogging et un t-shirt et nous descendons l'un après l'autre dans les escaliers. Je me sens comme un chien qui vient de pisser sur le tapis et qui attend que ses maîtres rentrent pour se faire punir. En fait, je me sens comme ça depuis hier soir mais Nora a eu cette capacité à me faire penser à autre chose pendant au moins quelques heures.
Kate fait les cents pas dans le salon, Oliver est assis sur le canapé, les mains sur la bouche. J'avance à petit pas et reste debout, assez loin d'eux. Je ne sais pas pourquoi je ne m'avance pas plus. Nora est à ma droite, presque collée à mon bras.
— C'est grave ? Demandais-je.
Je sais que j'ai été trop loin, bien trop loin. Mais j'espère avoir été trompé par l'alcool et ne pas y être allé assez fort.
— On le saura en y allant, mais si tu veux savoir s'il est conscient, il l'est.
La voix tranchante de Kate me brise le cœur, je crois que je ne l'ai jamais entendue être si déçue.
— Conscient ? Dit Nora à voix basse pour elle-même.
Je n'ose même pas tourner la tête vers elle, bien trop mal à l'aise. Je crois que je ne me suis jamais autant détesté qu'aujourd'hui.
— Que s'est-il passé Scott ?
La question d'Oliver n'est pas à prendre au premier degré, il ne se demande pas ce qu'il s'est passé hier soir pour que j'en vienne à tabasser quelqu'un, encore. Il se demande ce qu'il s'est passé dans ma tête, ce qui ne tourne pas rond pour que je sois un fils adoptif aussi horrible à supporter.
— Il a commencé à me pousser et...
Kate me hurle presque de me taire.
— Je n'en ai rien à faire de ce qu'il a fait, tu as toujours une bonne raison de toute façon.
Je pensais qu'ils accepteraient au moins de m'écouter, d'entendre ce que j'avais à dire. Mais pas cette fois. Oliver essaie de tempérer les choses comme il le peut.
— Tu es en colère, on le sait. Tu es sûrement bouleversé par la nouvelle au sujet de ton père.
Je presse mes paupières en pensant à Nora qui est témoin de tout ça.
— Mais qu'est-ce qu'on fait de mal nous ? Pour que tu nous fasses subir tout ça ?
Je regarde le sol et déglutis, je n'ai pas de réponse à leur donner. Quand j'ai dit à Nora que j'étais brisé elle m'a répondu qu'il n'y avait rien d'irréparable et pourtant Kate essaie encore et encore, depuis des années. Mais rien ne fonctionne et je me retrouve devant eux à devoir expliquer pourquoi je m'amuse à ruiner la vie qu'ils essaient tant bien que mal de me construire.
— Je suis désolé, dis-je d'une voix étranglée, ne sachant pas quoi dire d'autre.
En temps normal je me serais mis à leur crier que je ne suis qu'un bon à rien, qu'il n'y a rien à faire de plus pour moi et qu'il faut qu'ils se fassent à l'évidence une bonne fois pour toute. Mais le regard que Kate m'a porté était différent, comme si je n'avais pas eu besoin de le dire et qu'elle l'avait compris. Elle le pense, je suis irrécupérable. Nora finit par se manifester pour me défendre.
— Peut-être que c'était simplement de la légitime défense, commence-t-elle.
Kate relève la tête et la regarde avec tristesse, la plaignant de s'être entichée d'un cas perdu comme le mien. Nora s'apprête à continuer, à dire qu'ils sont probablement injustes avec moi. Mais je sais qu'elle aurait tort de le faire, alors j'arrache le pansement maintenant parce qu'elle le saura à un moment où un autre. Même si je sais que c'est irréversible et que je ne pourrais plus revenir en arrière.
— C'est Camden, dis-je en me tournant vers elle.
Elle arbore une mine confuse, se demandant ce que Camden a à voir dans cette histoire.
— C'est Camden que j'ai tabassé hier soir. Devant chez lui, avant de rentrer à pied et te demander de venir dormir avec moi.
Ses sourcils se froncent tandis que l'information la percute. Elle a un mouvement de recul et mon cœur se déchire.
— Quoi ?
Elle cligne des yeux rapidement en essayant de comprendre ce que je viens de dire.
— Je partais de chez Danna et il a commencé à me dire un tas de trucs pas sympa, il me cherchait, il a commencé à me pousser et...
Elle place ses deux mains face à elle pour me faire taire.
— Désolée, je dois rentrer chez moi. Monsieur et Madame Jones, je m'excuse d'avoir passé la nuit ici sans votre autorisation. Au revoir.
Elle se précipite vers la porte d'entrée. Je n'attends pas pour lui courir après et la rattrape sur mon trottoir.
— Nora s'il-te-plaît, laisse-moi t'expliquer !
Elle s'arrête et croise les bras sur sa poitrine, furieuse avant de pointer son doigt sur moi.
— Tu vois, ce soir-là. Quand Camden s'est mis à te chercher comme il l'a fait, c'est à ce moment que j'ai réalisé à quel point tu valais mieux que lui et que je ne voulais plus de personne comme ça dans ma vie.
Peut-être que la réaction de Kate était finalement la moins douloureuse.
— Mais tu es exactement pareil. En fait non, tu veux que je te dise, tu es pire !
Elle gesticule pour essayer de contenir sa colère.
— Parce que tu l'as tabassé avant de venir jeter des cailloux à ma fenêtre pour me demander de passer la nuit avec toi. Tu m'as menti, je crois que c'est ça le pire, et ça je ne sais pas si je serais capable de te le pardonner.
Je m'avance et lui attrape le poignet pour la retenir. Je ne veux pas qu'elle parte.
— Non Scott ! Non. J'en ai assez d'être entourée de menteurs. Je suis fatiguée de tout ça. Je veux juste quelqu'un d'honnête pour une fois dans ma foutue vie est-ce que c'est trop demandé ?
Elle est à bout de nerfs et je ne peux rien faire de plus qu'espérer qu'elle veuille m'écouter. Alors je vais être honnête, entièrement, je vais lui expliquer et lui dire que je suis désolé. Je veux lui expliquer tout, de A à Z. Pas pour lui faire pitié mais parce qu'elle acceptera peut-être de me donner une autre chance.
— On est parti de New-York à cause de moi, commençais-je.
Je tiens son poignet trop fort, je le vois à la grimace qu'elle fait. Je relâche légèrement l'étreinte de mes doigts en espérant qu'elle voudra bien m'écouter.
— Y'avait ce type.
J'essaie d'aller directement au but pour ne pas perdre son attention.
— On s'est disputés et je l'ai frappé, encore et encore. Au point d'avoir mes propres mains en sang.
Je revois les images de cette terrible nuit me revenir.
— C'est seulement quand je l'ai vu être inconscient que j'ai réalisé à quel point j'avais été trop loin.
Le regard de Nora change, elle est moins tendue. Mais je ne sais pas si c'est bon signe.
— Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie, je croyais que je l'avais tué.
Je relâche totalement mon emprise, elle reste, elle veut entendre la fin de l'histoire.
— J'ai appelé Kate et Oliver en pleurant, je crois que j'étais sous le choc parce que la seule chose dont je me souviens après ça c'est l'ambulance l'emmenant à l'hôpital.
Nora ouvre la bouche, probablement trop effrayée de me poser la question qui lui brûle les lèvres.
— Il n'est pas mort, il a juste eu de sacrées blessures, une commotion cérébrale et un séjour de trois jours à l'hôpital.
Je ne sais pas si c'est supposé m'aider à me sortir d'affaires mais je n'ai pas envie de garder tous ces secrets, ça me bouffe de l'intérieur.
— Kate et Oliver ont payé pour tous les frais médicaux et on a réussi à éviter d'aller en justice parce que... Disons qu'on connaissait très bien sa famille.
J'ai dû retourner voir mon psy chaque jour après ça, parce que Kate et Oliver le voulaient et parce que je n'arrivais pas à penser à autre chose. Chaque seconde, chaque minute, chaque jour. Je me voyais le frapper et encore et encore, incapable de me contenir. Je prends une longue inspiration.
— Tout le monde parlait de cette histoire dans mon lycée et dans notre voisinage. J'étais le gamin taré que les Jones avaient adopté.
Je m'en voulais tellement, ils subissaient les messes basses et les moqueries de nos voisins aux côtés de qui ils avaient vécu des années sans aucun souci.
— Ils ont décidé de partir de New-York et de tout ça, pour nous donner un nouveau point de départ à tous les quatre.
Je pense à ce soir-là, quand j'ai passé la nuit à pleurer en pensant que j'avais été trop loin et qu'ils me laisseraient tomber une bonne fois pour toute. Après tout, j'avais enfin dix-huit ans. Je ne pensais qu'au fait que je ne pourrais plus jamais voir Roméo, c'était la pire nuit de ma vie.
— Qu'est-ce que je suis supposée te dire Scott ?
Je ne savais pas trop où allait me mener cette confidence et je ne sais pas quoi lui dire.
— Tu m'as menti, tu as tabassé un type pour la deuxième fois...
Elle n'arrive pas à réfléchir de façon cohérente.
— Danna avait peut-être raison, vous avez toujours quelque chose à cacher. Au moins, je l'ai découvert avant qu'il ne soit trop tard.
Elle secoue la tête lentement comme pour se maudire elle-même de s'être laissé séduire par un mec aussi paumé et instable. Elle ne me regarde pas une seconde de plus et tourne les talons, elle s'éloigne de moi sans tarder et franchit sa porte d'entrée sans aucune hésitation. On est définitivement arrivés à un point de non-retour.
Je retourne dans le salon pour discuter de ce qu'il va se passer avec Kate et Oliver. Ils n'ont pas bougé d'un centimètre et ne daignent pas tourner la tête en m'entendant revenir.
— Qu'est-ce qu'on va faire ? Demandais-je alors.
Kate rit nerveusement.
— Qu'est-ce que tu vas faire ? Précise-t-elle.
Oliver lève la tête vers sa femme en réalisant qu'ils n'avaient pas discutés de ce qui allait se passer.
Elle se dirige vers le couloir et prend la clé qu'elle me jette presque au visage.
— Tu vas prendre ta voiture et aller au commissariat assumer tes conneries.
Je regarde Oliver qui semble aussi déconcerté que moi face à la réaction de sa femme.
— Chérie, on va l'accompagner. S'il doit prendre un avocat, s'il doit payer des frais...
Kate repousse l'étreinte que son mari. Elle ne veut rien entendre.
— Je m'en fiche Oliver, il est assez grand pour se débrouiller. Il a de l'argent. Si on continue de ramasser toutes ses conneries, qu'est-ce qu'il fera la prochaine fois, hein ?
Le fait qu'ils parlent de moi de cette façon, comme si je n'étais pas là me pousse à me demander le nombre de fois où ils se sont disputés comme ça à mon sujet. Je ne fais que tout gâcher et juste espérer que je n'aille pas assez loin pour qu'ils craquent définitivement. Mais comme je l'ai dit, je crois que je suis arrivé à un point de non-retour.

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