Je tourne dans mon lit pour la troisième fois depuis dix minutes. Elle ne décroche pas son portable et la nuit est maintenant tombée. J'essaie à nouveau d'appeler Ellie mais elle ne donne aucune réponse non plus. Kiva essaie de me rassurer par message en m'expliquant que Sacha a peut-être oublié de prévenir qu'elle dormait chez Ellie. Mais je n'y crois pas. Sacha n'oublie jamais ce genre de chose. J'harcèle encore Ellie qui finit par enfin décrocher.
— Oui ?
Je me retiens de lui hurler dessus de ne pas avoir décroché plus tôt.
— Sacha est avec toi ?
La réaction d'Ellie ne me dit rien de bon, elle réfléchit et me répond par la négative.
— Non, on s'est vu une petite demi-heure cet après-midi mais elle n'était pas dans son assiette, je dirais même que quelque chose n'allait pas du tout. Elle est partie de chez moi vers seize heures.
Ellie n'a même pas pris la peine d'essayer de savoir ce qui n'allait pas avec Sacha. Elle se proclame meilleure amie mais elle n'a toujours pensé qu'à elle. Je sais que ce sont les nerfs qui parlent et c'est pour ça que je me contente de raccrocher plutôt que de répondre. Je n'ai pas envie de dire des choses qui dépasseraient ma pensée. Malheureusement, ma mère n'est pas là ce soir. Elle avait une importante chirurgie et lorsque je descends, je réalise que mon père n'est pas là non plus. Probablement chez sa nouvelle petite amie, encore. Je me mets instantanément à paniquer et n'ai plus les idées claires. Je décide d'appeler Kiva, elle saura me calmer et me dire ce que je dois faire. Je cherche son nom en tremblant et l'appelle, paniquée. Je parle si vite qu'elle n'arrive pas à comprendre la moitié de ce que je dis. Elle me répond qu'elle est avec son père à une exposition nocturne à une heure d'ici, j'essaie de reprendre mon souffle et lui explique la situation. Elle m'ordonne d'appeler immédiatement mon père et de ne pas arrêter de la chercher. Elle ajoute qu'elle est probablement dans un endroit où elle a l'habitude d'aller et qu'elle n'est pas perdue. Et elle ajoute finalement que ça ne sert à rien d'appeler les flics car ils ne réagiront pas si la disparition a eu lieu il y a moins de vingt-quatre heures et que, de toute façon, ils n'auraient pas été très utiles. À peine ai-je raccroché que j'ai mon père au téléphone. Il ne me laisse pas le temps de finir qu'il me répond qu'il sera là dans une quinzaine de minutes et raccroche. Je fais les cents pas dans le salon en essayant encore et encore d'appeler ma petite sœur. Je n'arrive pas à contrôler mon inquiétude et fonds en larmes quand mon père passe la porte d'entrée. Il me prend dans ses bras et me pose tout un tas de questions auxquelles je ne sais pas répondre. Je tremble en imaginant tous les scenarii possibles. Et si elle s'était faite enlever ? Pourquoi je n'ai pas réagi plus tôt ?
— Va chercher June, on va la déposer chez les Jones et partir chercher ta sœur.
Je monte dans la chambre, June est assise au milieu de ses jouets. Sa mine change à l'instant où elle m'aperçoit.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Demande-t-elle.
Je m'efforce de sourire comme je peux pour ne pas lui faire peur.
— Tu vas faire une petite soirée pyjama chez Roméo, ça te dit ?
Elle saute de joie et prend immédiatement son petit sac à roulettes rempli de jouets. J'attrape un pull et lui enfile au-dessus de son pyjama. Arrivées en bas, mon père nous attend, les clés de voiture en main, la porte d'entrée ouverte. Nous traversons tous les trois la rue. Mon père frappe énergiquement à la porte. Il n'est que vingt et une heures trente, les Jones ne dorment certainement pas. Oliver ouvre la porte et écarquille les yeux en nous voyant tous les trois.
— Est-ce que vous pouvez nous la prendre pour la nuit ?
Kate le rejoint, curieuse de savoir qui vient frapper chez eux à cette heure-ci. June ne se fait pas prier et fonce à l'étage retrouver Roméo.
— Bien sûr, qu'est-ce qui ne va pas ?
Je regarde mon père pour qu'il réponde à ma place. Il explique brièvement la situation. Oliver n'attend pas une minute de plus et enfile son manteau.
— Je vais vous aider, dit-il.
Je serre mes bras tremblant contre moi, espérant cacher mon stress. Mais Kate le remarque immédiatement.
— Et si tu gardais les petits ici pendant que je vais chercher aussi ?
Je ne veux pas rester ici pendant que ma petite sœur est portée disparue. Mais je suis incapable de conduire dans cet état et à trois voitures il feront plus de surface.
— Oui, oui je peux.
Kate m'informe que Scott ne devrait pas tarder à rentrer de son jogging et que je peux coucher les enfants et repartir quand il arrivera. Je hoche la tête et la laisse passer.
— Je m'occupe de tout ça Nora, assure mon père comme pour me rappeler que c'est son rôle de s'inquiéter pour ses enfants et pas le mien.
La porte se referme et je me contiens pour ne pas pleurer à nouveau. À la place, je monte dans la chambre retrouver les deux amis qui sont plus qu'heureux de dormir ensemble. Je tire l'extension du lit de Roméo et demande à ma sœur de se coucher avec lui. Ces lits sont révolutionnaires, il suffit de tirer un tiroir encastré dans le lit pour en avoir un second. J'embrasse les deux enfants sur le front et leur souhaite bonne nuit.
— Je t'aime, me lance June.
Je lui réponds que je l'aime encore plus et referme la porte derrière moi.
Je n'ai pas eu le temps d'atteindre la dernière marche d'escalier que Scott passe la porte d'entrée. Il me regarde visiblement confus.
— Je garde les enfants, dis-je comme simple réponse.
Je m'assois sur la dernière marche et passe mes mains sur mon visage. Scott est trempé de sueur, il retire son casque et essaie de comprendre ce qu'il se passe.
— Où sont Kate et Oliver ?
Je déglutis et essaie de paraître le plus normal possible.
— Avec mon père, ils sont partis chercher Sacha.
Il s'arrête net et me demande ce que je veux dire par « chercher Sacha ». Je n'arrive pas longtemps à garder mon calme.
— On ne sait pas où elle est, elle ne répond pas au téléphone. Ellie ne l'a pas vue depuis cet après-midi...
Ma voix se brise instantanément en réalisant que tout ça n'annonce rien de bon. Scott soupire et balance sa tête en arrière. Il cherche immédiatement la clé de la voiture de Kate.
— Je vais aller la chercher, commence-t-il.
Je l'arrête en lui expliquant qu'ils ont pris trois voitures séparées. Il ne reste que la mienne. Je lui tends mes clés, la main tremblante, au point de les faire tomber. Scott s'agenouille et me regarde droit dans les yeux. Il se pince les lèvres et relève un peu mon menton.
— Ça va aller, ils vont la retrouver, dit-il de la voix la plus douce possible.
Je baisse à nouveau la tête et ne dit pas un mot de plus.
— Va t'asseoir sur le canapé, je vais prendre une douche et je te rejoins. Essaie de te détendre, tu ne peux rien faire de plus qu'attendre...
Je me lève et m'assois sur le canapé, j'essaie d'appeler ma sœur encore une dizaine de fois sans résultat. Scott revient, vêtu d'un jogging vert foncé et d'un pull assorti.
— Je vais te faire du café, lance-t-il en entrant dans la cuisine.
Il apparaît deux minutes plus tard, une tasse dans chaque main. Ses cheveux encore mouillés sont repoussés en arrière, ce qui me laisse pleinement voir ses yeux pleins d'inquiétude. Pour Sacha mais aussi pour moi. Nous sommes assis sur le côté, face à face, sans dire un mot. Nos deux genoux se touchent et c'est seulement à ce moment-là que je me rends compte de notre proximité.
— Oliver et Kate y passeront la nuit s'il le faut, je te promets qu'on la retrouvera.
Le son de sa voix me rassure et je suis contente qu'il ait mis de côté nos différends pour ce soir. Quand je relève la tête, ses yeux sombres me transpercent comme ils le font toujours. Loin de cette colère et de cette haine qu'il ressentait l'autre soir en me regardant.
— J'ai tout un tas de trucs sordides qui me passent par la tête, avouais-je.
Je bois une gorgée de café et passe une mèche de cheveux derrière mon oreille. Je ne sais pas comment je vivrais s'il arrivait quelque chose à Sacha.
— Je ne peux pas imaginer ce que tu ressens, mais l'idée même qu'il arrive quelque chose à Roméo me donne la nausée.
Je ne réalise que maintenant que si Scott n'est pas le fils biologique des Jones, il n'est pas non plus le frère biologique de Roméo. Et il semble pourtant l'aimer tout autant que si c'était le cas.
— Est-ce que je peux te poser une question ?
Je ne sais pas si c'est le moment opportun pour parler de tout ça, mais peut-être qu'il me détestera à nouveau demain.
— Tout ce qui peut te faire penser à autre chose.
Je m'éclaircis la gorge et le regarde à nouveau avant d'ouvrir la bouche.
— Comment tu t'es retrouvé ici ? Je veux dire, chez Oliver et Kate.
Il ne s'attendait certainement pas à ce genre de question.
— Je comprendrais si tu ne veux pas en parler c'est juste que...
Je ne sais pas comment terminer ma phrase à vrai dire. Scott pose sa tasse de café et regarde ailleurs en réfléchissant.
— J'ai été retiré de la garde de mes parents il y a sept ans. Je suis passé par plusieurs familles d'accueil. Ça a duré des mois et j'ai atterri chez les Jones.
Si mes calculs sont bons, il n'avait que douze ans. Un petit garçon, un simple enfant.
— Kate essayait d'avoir un enfant depuis plus d'un an. Son médecin lui avait appris quelques semaines plus tôt que son utérus était hostile, où un truc dans le genre.
Il fronce les sourcils, essayant de se rappeler le plus fidèlement possible des détails.
— Ils ont alors discuté, elle et Oliver, et ont pensé à adopter. Je ne sais pas vraiment comment ils en sont arrivés à vouloir prendre un adolescent, je crois que c'est Oliver qui l'a proposé.
Je n'ai jamais pensé à toutes ces choses, je ne crois pas vraiment vouloir d'enfants. Mais j'imagine que pour quelqu'un comme Kate qui le voulait vraiment ça devait être une période vraiment difficile.
— Elle est tombée enceinte de Roméo deux mois après que je sois arrivé chez eux.
Kate et Oliver devaient être vraiment fous de joie d'apprendre qu'ils allaient avoir un bébé.
— Ils étaient la quatrième famille où j'étais placé en un an. Quand j'ai appris la nouvelle je connaissais la chanson, je suis monté faire ma valise pour repartir.
Il précise que les familles où il était allé avaient toujours de bonnes raisons de ne pas le garder. Personne ne voulait d'un pré-ado, c'était moins mignon qu'un bébé, moins malléable qu'un enfant. Il n'y avait aucun intérêt. Il s'arrête une seconde où deux et déglutis.
— Quand Kate m'a vu, à côté de la porte, la valise bouclée, elle a fondu en larmes.
Je vois ses yeux s'embuer légèrement.
— Elle m'a demandé pourquoi je voulais partir, j'ai expliqué que maintenant qu'ils allaient avoir un vrai enfant, ils n'avaient plus besoin de moi. Oliver a posé un genou à terre pour être à ma hauteur. Je ne comprenais pas pourquoi ils n'étaient pas contents que je le prenne si bien. Je crois que je m'y étais fait, ça ne me rendait même pas triste. Alors qu'ils étaient la meilleure famille que j'ai eue.
Il sourit en regardant à nouveau ailleurs.
— Kate avait tellement peur que je ne l'aime pas qu'elle s'efforçait de me faire le meilleur petit déjeuner possible chaque matin et elle n'était pas douée en cuisine.
Je souris à mon tour en imaginant une Kate plus jeune et plus maladroite qu'aujourd'hui.
— Oliver avait peint les murs de ma chambre en vert la veille de mon arrivée. Il disait que c'était écrit que c'était ma couleur préférée dans mon dossier et il voulait me faire plaisir. Il n'avait presque pas dormi pour être sûr de finir à temps.
Ses yeux se posent enfin sur moi, plein de nostalgie et d'heureux souvenirs.
— Et c'est là que Kate a pris ma main, elle l'a posée sur son ventre qui devenait légèrement rond. Pas assez pour que ça se voit mais assez pour qu'on le remarque si on le savait.
Il repose ses yeux sur moi et sourit encore plus.
— Et là, elle a dit « tu vas être grand-frère et ce bébé va t'aimer plus que n'importe qui sur cette planète entière. Tu seras son modèle et il te préfèrera même probablement à nous parfois. Je ne sais pas de quoi est fait le futur Scott, mais je sais déjà que tu seras merveilleux dans ce rôle. »
Il essuie une larme qui vient d'apparaître au coin de son œil. Je passe discrètement le dos de ma main contre ma joue pour en essuyer une qui s'est échappée aussi.
— Je ne l'avais même pas encore rencontré mais Roméo était déjà la personne la plus importante de ma vie et je n'ai jamais cessé de l'aimer depuis.
Je viens de poser ma main sur la sienne, le cœur débordant d'amour. Et alors que je m'attendais à ce qu'il la rejette, ses doigts se resserrent autours des miens.
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Fix you
Fiksi RemajaNora revient d'un voyage d'un an en Australie. Elle espère avoir mis derrière elle tout ce qui la tracassait. Ses études, son futur et surtout ce garçon... Malheureusement, en un an, les choses changent... Un divorce, des secrets de familles révélé...