28. Scott

72 10 0
                                    


— T'es prêt ? Demande Elio.
Il est assis sur son lit à gratter les cordes de sa guitare depuis une dizaine de minutes.
— Je ne suis vraiment pas sûr que ce look m'aille...
Dûe à ma stupide impulsivité de partir de chez moi sans prendre de vêtements de rechange, je dois me contenter des vêtements d'Elio. Il m'a dégoté un jean noir slim. En temps normal, j'aurais enfilé un t-shirt un peu coloré pour contraster avec le pantalon ou peut-être une chemise pour ce soir. Mais Elio m'a filé un t-shirt noir, à manche courte tout simple. Il m'a dit que c'était ce qu'il avait de plus sobre. Je lui ai demandé de me filer un sweat et il m'a jeté une veste en cuir.
— Je sais très bien que t'as d'autres vêtements, tu ne t'habilles pas tous les jours comme ça, me plains-je.
Il se mord la lèvre inférieure sans quitter ses cordes des yeux.
— Oui mais je rêvais de te voir fringué comme ça au moins une fois.
Il se lève et range sa guitare dans son étui.
— Ca y est, t'es assez beau pour partir ? Demande-t-il.
Culotté venant de quelqu'un qui a passé quarante-cinq minutes dans la salle de bain.
— On va où déjà ?
Elio prend sa guitare et avance jusqu'au salon.
— À « Vertigo », c'est un bar sympa où on joue ce soir avec Heroes.
Heroes c'est le nom du groupe dont Elio fait partie, il est y est guitariste et parfois quand il est d'humeur il pousse la chansonnette. Mais ce n'est arrivé que très rarement. Il fait partie de ce groupe depuis deux ans maintenant. Ils font uniquement des reprises mais ils sont très bons, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu jouer, cette soirée peut être sympa.

Les trois autres membres du groupe sont déjà là. Elio les salue rapidement et commence à installer le matériel avec eux. Je propose à plusieurs reprises de les aider mais Elio refuse mon aide en disant que je n'y connais rien et que je vais plus mettre le bazar qu'autre chose. Tout est prêt et les clients commencent à débarquer de tous les côtés. Heroes prend le temps de se désaltérer et finit de s'accorder avant de monter sur scène. Je m'assieds au bar et commande un cocktail sans alcool : je me suis promis de ne plus boire un seul verre de toute ma vie. Le goût acide de mon vomi me revient chaque fois que j'y pense. Le leader dû groupe s'approche du micro et présente les membres et souhaite une bonne soirée à tout le monde. Je siffle le plus fort possible quand le nom d'Elio est prononcé, je jurerais qu'il rougit. La musique se lance.C'est une reprise de U2, je reconnais immédiatement la chanson « Exit ». La chanteuse lance les premières notes. Je regarde les gens tout autour, ils sont tous attentifs et magnétisés par le groupe. La musique bourdonne de plus en plus fort dans mes oreilles, je ne la connais que trop bien. Elle me rappelle ces nuits entières où mes parents mettaient la musique au volume maximal. Les basses faisant presque trembler les murs (c'est l'effet que ça me faisait quand j'avais sept ans). J'essayais tant bien que mal de dormir, mais la musique était trop forte. Parfois je descendais pour leur dire, mais tout ce que je voyais c'était mes parents entourés de leurs amis tout aussi défoncés qu'eux. Certains étaient sympas et conscients, ils me renvoyaient me coucher pour être sûr que je ne vois pas les traces de cocaïne et d'héroïne traîner sur la table à laquelle je prendrais mon petit déjeuner dans quelques heures. D'autres me traitaient de merdeux et m'envoyaient me coucher, comme s'ils avaient le droit de me donner des ordres. Mes parents me criaient dessus quand je descendais comme ça, ils me reprochaient de ne pas dormir. Et quand je disais que c'était à cause de la musique ma mère descendait d'un cran ou deux, je ne voyais pas la différence. Une fois, je me suis mis à pleurer, en disant que j'étais trop fatigué et que j'en avais marre qu'il y ait toujours des gens à la maison. Je pensais vraiment qu'ils allaient m'écouter, j'étais encore trop jeune pour réaliser que mon avis importait peu pour mes parents. Mon père avait honte que je lui ai fait une scène pareille devant tout le monde et m'a enfermé dans ma chambre, il a retiré l'ampoule pour être sûr que je sois dans le noir et a fermé la porte à clé. J'ai d'abord pleuré, pendant un moment. Parce qu'à l'époque j'avais peur du noir. Puis après une heure ou deux, mes yeux se sont un peu accommodés et j'ai réalisé qu'au moins là, j'étais tranquille. Mon père ne m'a rouvert la porte que le lendemain midi, je mourrais de faim et j'avais dû faire pipi par la fenêtre (ça il ne l'a jamais su). Il m'a fait promettre de ne plus jamais parler comme ça devant ses amis. J'ai simplement hoché la tête, j'étais un gamin et je voulais juste avoir le droit de descendre manger un bout. Je ne lui ai jamais refait de scène, mon père m'effrayait trop de toute façon
— Tu es tout seul ?
Je regarde la fille assise à mes côtés et reste silencieux un temps pour être sûr qu'elle me parle bien à moi. Elle rit et me passe la main devant les yeux pour vérifier que je suis bien réveillé.
— Oh désolé, euh oui je suis tout seul. Enfin non, mon pote est sur scène.
Je pointe Elio du doigt, trois chansons sont déjà passées.
— Leur musique est plutôt cool.
La jeune femme est de taille moyenne, de corpulence moyenne. Sa peau est claire, ses cheveux sont brunes et raides lui arrivent juste en dessous des épaules. Les traits de son visage me laissent deviner qu'elle, ou un de ses parents, doit être d'origine asiatique. Sa bouche pulpeuse est recouverte d'un rouge à lèvres marron clair et ses yeux d'un fard doré pailleté. Elle porte une jupe en cuir assez courte et un t-shirt lacé sur le décolleté. Je détourne les yeux d'elle.
— Ils sont bons, affirmais-je.
Je m'empare de mon verre et en bois deux gorgées.
— Je t'en commande un autre ? Propose la fille.
J'accepte volontiers, elle appelle le serveur qui, contrairement à moi tout à l'heure, s'approche directement d'elle. Elle se penche au-dessus du bar pour qu'il l'entende par-dessus la musique.
— Tu veux un truc précis ?
Je réponds que je ne veux pas d'alcool, elle acquiesce et se penche à nouveau près du serveur.
— Cass, me dit-elle en me tendant la main.
Je lui serre et réponds mon propre prénom.
— Tu es d'ici Scott ?
Le serveur pose nos deux verres, Cass le remercie et pose un billet sur le comptoir. Je m'approche un peu plus près d'elle pour lui expliquer que je vivais ici mais que j'ai déménagé il y a un an.
— Je suis venu voir Elio en fait, conclus-je.
Ce n'est pas uniquement vrai mais ce n'est pas un mensonge. Même si je dois dormir dans son lit et qu'il ne cesse de passer son bras autour de moi (habitude qu'il a depuis toujours) c'est toujours mieux que son canapé hors de prix inconfortable.
Cass et moi discutons tous les deux de choses et d'autres, je la sens beaucoup plus intéressée que moi, je réponds à tout et lui retourne les questions par politesse mais je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'elle s'en aille non plus.
— Et tu as quelqu'un dans ta vie ?
Je ne peux pas lui reprocher d'être direct, si elle s'est décidée à parler à un inconnu dans un bar en premier lieux c'est pour une bonne raison et le fait qu'elle ait continué de s'intéresser à moi après lui avoir dit que je n'étais là que pour une courte durée confirme qu'elle n'a pas tellement le temps de tourner autour du pot. Le silence qui suit sa question en dit long.
— Je n'ai personne à proprement parler, lui dis-je.
Elle rit, c'est vraiment la pire réponse qu'on puisse donner.
— Je vais me contenter de ça alors.
Cass me lance un clin d'œil et se concentre à nouveau sur Heroes qui joue maintenant « New Years day »

La chanson vient de finir et je n'ai pas dit un seul mot à Cass. Lorsqu'elle se tourne une énième fois vers moi, je prends mon verre et le garde au bord des lèvres un long moment.
— Ecoute, je ne suis pas sûre que t'aies vraiment compris mes appels de fars qui étaient pourtant évidents, mais tu m'intéresses.
Je m'étouffe presque et retire le verre que je pose sur le bar. Je crois que tout le bar l'avait compris Cass.
— Ou peut-être que tu l'as vu et que je suis pas du tout ton type de fille, mais là je serais ridicule.
Je soupire et me gratte l'arrière de la nuque.
— Tu es superbe, y'a aucun problème à ce niveau.
Elle sourit immédiatement, flattée par mon compliment. Elle s'approche d'un peu plus près et pose une main sur ma cuisse. Je dois avouer que je suis déconcerté, je ne suis pas habitué à me faire draguer de cette façon. Je suis plutôt du genre à faire le premier pas mais ça ne me déplaît pas pour autant. Cass sait ce qu'elle veut et ça la rend vraiment sexy. Elle s'approche de moi et me chuchote ce qu'elle veut me faire à l'oreille, je déglutis bruyamment, vraiment déstabilisé. Une partie de moi a envie de descendre de ce tabouret et l'emmener jusqu'à chez Elio, ou même jusqu'à la voiture pour mettre en pratique ce qu'elle vient de me glisser à l'oreille. J'avoue que je n'ai pas eu de relation depuis un moment et le fait d'attendre avec Nora pour... Nora. Je reviens directement à la réalité. Je suis à New-York dans un bar à écouter des reprises de U2 prêt à coucher avec la fille la plus sexy de cette ville. Mais chez moi, il y a Kate et Oliver qui m'en veulent toujours. Roméo qui doit être inquiet de ne pas me voir à la maison quand il se réveille le matin, Naveen qui n'a même pas pu me raconter sa nuit avec Mindy et surtout Nora qui me déteste profondément. Elle est à mille lieux d'imaginer que j'ai la main d'une fille collée si près de mon entre-jambe que je regrette que ce jean soit si moulant. Si elle me voyait maintenant, elle ne serait même pas déçue, je crois qu'elle arborerait une mine mi-déçue mi triste et se rendrait à l'évidence en se disant qu'elle avait bien raison à mon sujet sans même me laisser le temps de m'expliquer. Je secoue la tête et essaie de chasser ces pensées de mon esprit, pourquoi est-ce que j'imagine ce scénario improbable ? Nora n'est pas là, elle ne sait pas ce que je fais, ni avec qui je suis. Et je crois que maintenant ça lui est égal. Mais je n'arrive quand même pas à penser à autre chose qu'elle. Les yeux noirs de Cass croisent les miens, elle attend ma réponse. Elle attend que je lui donne mon accord pour approcher sa main plus près. Elle attend que je prenne son poignet et que je l'attire vers l'extérieur, elle attend que je l'embrasse langoureusement pour lui montrer mon intérêt réciproque. Mais je ne bouge pas, comme bloqué. La musique s'arrête et Achille ( le leader) prend le micro, ce qui nous fait Cass et moi tourner la tête en direction de la scène.
— Heroes va prendre une petite pause bien méritée, on revient dans quinze minutes !
Cass retourne la tête vers moi et sourit, elle a compris que je ne donnerai pas suite à sa requête. Elle appelle le serveur et lui glisse quelque chose à l'oreille, Elio arrive à notre hauteur et jauge Cass de haut en bas. Le serveur tend un stylo à cette dernière, elle prend mon bras et remonte la manche de la veste que je n'ai même pas pensé à enlever. Elle y écrit son numéro en très gros.
— Si tu te décides d'ici demain soir.
Elle baisse ma manche et dépose un petit baiser sur ma joue avant de prendre sa veste et s'éclipser. Elio éclate de rire et prend sa place sur le tabouret.
— Wow, t'as la cote.
Il essuie la sueur de son front d'un revers de la main et me prend mon verre dans lequel il recrache en réalisant qu'il n'y a pas d'alcool.
— Eh t'es dégueulasse ! Lui dis-je.
Il regarde dans la direction qu'a pris Cass.
— Tu sais je ne t'en voudrais pas si tu me fausses compagnie pour une nuit.
Je m'accoude au bar et lève les yeux.
— Je ne suis pas intéressé, répondis-je immédiatement.
Elio me regarde offensé, je crois qu'il aurait mieux réagi si j'avais insulté sa sœur.
— Connard va.
Je grimace et lui répond qu'il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez lui.
— C'est toi qui viens de laisser partir la fille la plus chaude et sexy de la ville et c'est moi qui ai un truc qui ne tourne pas rond ?
Je m'apprête à boire dans mon verre et me rappelle qu'Elio a craché dedans. Je le repousse simplement du bout des doigts.
— Tu l'as vraiment dans la peau hein...
Je le regarde, l'air de rien.
— Mais elle n'est pas là Scott et tu ne le serais pas non plus si votre histoire voulait vraiment dire quelque chose.
Je remonte à nouveau la manche de ma veste en cuir et regarde les chiffres écrits en gros. Elio me tape gentiment dans le dos.
— Profite, tu es à New-York ce soir.
Il se relève et retourne sur scène, je ne lâche pas les chiffres des yeux en repensant aux derniers mots de Cass « Si tu te décides d'ici demain soir » demain soir... 

Fix youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant