34. Scott

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La tête de Nora est posée sur mon épaule, encore épuisée d'avoir dû se lever si tôt. Naveen est gentiment venu nous récupérer à l'aéroport ce matin, je ne voulais pas ennuyer Kate et Oliver. Et puis Naveen avait hâte de me revoir. Il m'a demandé comment s'était passé New-York. J'ai simplement parlé d'Elio en expliquant que j'étais heureux de le revoir. Quand j'y pense Naveen et lui n'ont absolument rien en commun, je dirais même plus : ils sont parfaitement opposés. Mais ils ont su m'apporter leur amitié chacun à leur façon.
Je ne mentionne pas ma visite à la prison, je préfère attendre que tout soit fait et que les papiers d'adoptions soient signés, je pourrais même peut-être faire une petite soirée pour fêter ça.
— Alors, toi et Mindy au fait ?
Naveen regarde dans son rétroviseur intérieur, Nora sourit connaissant déjà la réponse.
— On est ensemble, dit-il un sourire gêné aux coins des lèvres.
Je lui tape sur l'épaule, fou de joie.
— Elle est extraordinaire ! Commence-t-il, elle parle beaucoup d'accord, mais elle est aussi très optimiste et très intelligente.
Il nous a bassinés avec toutes les qualités de sa nouvelle copine durant le reste du voyage. Et je n'ai jamais été aussi content qu'il soit aussi bavard.
— Et vous deux alors, vous êtes officiellement ensemble ?
Je me tourne vers Nora et l'embrasse du bout des lèvres en guise de réponse. Je crois qu'on est tellement niais qu'Elio vomirait sur place s'il était là.
— Est-ce qu'on pourra se faire des sorties à quatre ? Demande Naveen impatient.
Nora répond par la positive, certaine que ça plaira à Mindy. Je remarque qu'il ne porte plus son attelle et lui demande s'il a pu reprendre le skate. Il m'informe qu'il a enfin pu reprendre l'entraînement et que ça lui avait terriblement manqué. Ses mères l'ennuient pour qu'il ralentisse la cadence, le temps que son poignet se remette entièrement mais il est certain qu'il ne risque rien.
Nous arrivons sur le trottoir en face de chez moi. Je remercie Naveen et descend la valise de Nora de sa voiture.
— Tu veux passer chez moi avant de rentrer ? Je veux que tu sois là pour voir leur tête quand je leur annoncerais la bonne nouvelle.
Elle semble touchée par ma proposition et me prend la main en avançant jusqu'à ma porte d'entrée. Je ne prends pas la peine de frapper et je pénètre à l'intérieur. Nora pose sa valise à côté du porte-manteaux et se déchausse. J'entends la voix d'Oliver depuis le salon, ils sont déjà levés. Ils parlent tous les deux à voix basses, probablement pour ne pas réveiller Roméo qui doit encore dormir profondément. Je suis content qu'il dorme encore, je vais pouvoir monter lui faire la surprise pour le réveiller. J'espère lui avoir manqué comme il m'a manqué. Nora et moi arrivons dans le salon, main dans la main. J'ai dû mal à me retenir de sourire, d'une part à cause de la nouvelle mais aussi parce que je suis vraiment content d'être rentré. Ils sont tous les deux plantés au milieu du salon, encore en pyjama. Ils semblent avoir été tirés du lit. Je ne les avais pas prévenus de l'heure à laquelle je rentrais et je pensais sincèrement qu'ils seraient encore endormis.
— Bonjour, dis-je d'une voix douce.
Je ne m'attendais pas à une parade avec des musiciens pour mon retour mais je dois avouer être déçu par le manque d'enthousiasme sur leur visage. Kate s'efforce à sourire et tourne immédiatement la tête vers son mari qui me lance un regard grave.
— Il y a un problème ? Dis-je mal à l'aise.
Kate était surexcitée la dernière fois que je l'ai eue au téléphone, je ne comprends pas ce qui a pu changer entre temps. Elle s'avance vers moi et me prend dans ses bras pendant une longue minute. Je n'arrive pas à profiter de ce câlin à cause de la sensation lourde qui plane dans la pièce. Kate se détache de moi et regarde à nouveau Oliver. Je commence légèrement à me sentir nerveux et à m'impatienter.
— Scott, c'est ton père... Commence Oliver.
Mon sourire revient immédiatement, l'assistante sociale a dû être plus rapide que moi et leur annoncer la nouvelle.
— Oui je sais. J'aurais dû vous le dire, je suis allé le voir hier. On a beaucoup discuté et il a accepté d'abandonner ses droits parentaux !
Pourquoi Oliver et Kate font cette tête ? Pourquoi ils ne sautent pas de joie ? Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que quelque chose ne va vraiment pas ?
— Il est mort. Ton père est mort, termine Oliver.
Kate guette ma réaction. Je mets quelques secondes à analyser ce qu'il vient de me dire. Je me mets à bégayer en disant que ce n'est pas possible, que je l'ai vu hier après-midi, qu'il doit y avoir une erreur.
— Il est mort très tôt ce matin, sur les coups de deux heures d'après le gardien.
Je jette un œil à Nora dont la mine est complètement décomposée. Et je ressens le sentiment le plus confus qui existe : je me sens soulagé. Mon cerveau commence à réaliser ce que ça signifie réellement, s'il est mort, tout est définitivement derrière moi. Je n'ai plus à penser à cette sortie de prison qui aurait dû avoir lieu dans six mois. Une pression se relâche entièrement dans mon corps et je me sens plus ou moins coupable de ne pas ressentir une seule once de tristesse. Puis, une seconde passe et je fronce les sourcils. Les quelques secondes de paix intérieure disparaissent instantanément pour laisser place à une énorme inquiétude.
— De quoi il est mort ?
Appelons ça le sixième sens où une simple impression mais je suis déjà sûr et certain de la réponse. Kate s'approche de moi et prends ma main, ses yeux sont vides et ternes.
— Il s'est suicidé mon chéri.
Ces mots résonnent très fort dans mon crâne et mon estomac se retourne. Je retire ma main de celle de Kate.
— Qu...quoi ?
Je recule d'un pas, la main de Nora passe dans mon dos en me demandant de m'asseoir. Un millier de choses passent à toute vitesse dans ma tête, je sens mes membres se mettre à trembler et ma bouche devenir totalement sèche. Oliver tente de me prendre la main aussi mais je resserre mes bras contre moi. J'essaie tant bien que mal de réaliser ce que ça signifie : J'ai vu mon père hier, il allait sortir dans six mois et il s'est suicidé. Il s'est suicidé à cause de moi. J'entends mon propre discours de la veille résonner dans mes oreilles. Je lui ai dit que je le détestais, qu'il avait gâché ma vie, que j'aurais aimé qu'il meure avec maman. Ma cage thoracique commence à me faire mal et c'est uniquement quand je pose ma main sur celle-ci que je me rends compte que j'hyperventile. Les voix de Nora, Kate et Oliver se mélangent, ils essaient de m'asseoir sur le canapé mais je n'entends que des bourdonnements. Il a mis fin à ses jours à cause de moi, je l'ai poussé à le faire. Mes muscles se contractent, je n'arrive plus à avaler ma salive. Kate se précipite pour trouver ma Ventoline et me l'apporte. Je la rejette d'un geste de la main. Ma mère avait raison, je suis devenue un monstre comme lui. Oliver récupère ma Ventoline qu'il m'oblige à prendre dans ma bouche. Il maintient l'arrière de mon crâne pour que j'aspire profondément, comme il devait le faire durant mes premières crises de nerfs quand je suis arrivée ici. Je me mets alors à m'effondrer en larmes. Kate s'approche et me répète que tout va bien. Je repousse Oliver et la Ventoline et me met à hurler de colère sur Kate.
— Non tout ne va pas bien putain ! Mon père est mort !
Je prends une grande inspiration.
— Il est mort à cause de moi !
Je regarde les trois visages sidérés qui m'observent à la fois tristes et impuissants. Nora tente de s'approcher de moi mais je recule d'un pas en lui demandant de ne pas me toucher. Oliver lui fait signe qu'il faut me laisser me calmer. Je ne suis plus du tout maître de ce que je dis et ressens et j'en suis conscient.
— Nora, rentre chez toi, dis-je de la façon la plus douce possible.
J'essuie mes joues humides en tremblant, elle s'approche à nouveau alors je lui ordonne à nouveau d'un ton plus dur. Elle hésite une seconde, puis elle me tient tête.
— Non Scott, je ne partirais pas.
Elle a dit ces mots en prenant soin de ne pas être trop sèche mais en restant ferme. J'essaie de contenir ma respiration mais toutes ces pensées m'assaillent et ne font qu'empirer les choses. Je ne revois que son visage rempli de colère et de déception. J'aurais dû me taire, je n'aurais jamais dû aller le voir, jamais lui dire tout ça. Je regrette, je me déteste, je me déteste. Je passe les mains sur mon visage encore et encore en me répétant que tout est ma faute. Kate avance vers moi, les bras tendus et la voix rassurante :
— Rien de tout ça n'est de ta f...
Je ne la laisse même pas terminer et recommence à lui hurler dessus.
— Qu'est-ce que tu en sais putain ? Qu'est-ce que tu sais de moi Kate ? Tu n'es pas ma mère !
Malgré tout ce que j'ai pu lui dire et faire, je n'avais jamais vu le visage de Kate se déchirer si rapidement et je suis certain que si l'on pouvait entendre notre cœur se briser, le bruit du sien aurait rempli la pièce entière à l'instant même. Ma mâchoire tremble en les regardant à nouveau tous les trois. Oliver ouvre la bouche mais Kate le coupe en lui assurant que tout va bien. Mais pas cette fois, Oliver ne supporte plus le mal que je fais à cette famille et surtout à sa femme et il ne compte pas se taire à nouveau.
— J'en ai assez Scott. Oui ton père est mort et je suis certain que tu es entrain de ressentir une peine que nous ne pourrions pas comprendre.
Il essaie tant bien que mal de contenir sa colère mais je vois ses mâchoires se contracter entre chaque mot qu'il me crache.
— Mais Kate n'a rien à voir là-dedans. Elle a passé des années à s'occuper de toi mieux que n'importe quelle mère l'aurait fait : elle a pris soin de repasser tous tes vêtements chaque matin d'hiver pour que tu n'aies pas froid, d'enlever chaque grain de maïs de tes assiettes chaque fois que j'oubliais que tu n'aimais pas ça, elle a passé des heures à ton chevet chaque fois que tu étais malade, des nuits entières à dormir que sur une oreille pour être sûre de t'entendre si tu faisais des cauchemars.
D'autres larmes chaudes font leurs apparitions, sur mon visage comme celui de Kate. Je la regarde, tenter de garder la face.
— Si tu dois être en colère contre quelqu'un aujourd'hui ce n'est pas elle Scott, continue Oliver d'une voix plus douce, n'importe qui mais pas elle.
En temps normal je serais probablement monté dans ma chambre avant de claquer la porte et maudire la terre entière. Je serais resté dans mon lit, sans un bruit, sans bouger à attendre que les heures passent, que ma colère se calme et que Kate oublie un peu ce que je venais de dire. Mais une chose a changé, je ne sais pas si c'est parce que je réalise que je peux enfin faire une différence ou si je comprends enfin, après tout ce temps que les méchants de mon histoire sont enfin derrière moi. Mais je m'avance d'un pas assuré vers Kate que je prends dans mes bras. Elle me rend immédiatement mon étreinte, je me mets à sangloter dans le creux de sa nuque en lui disant que je suis désolé et que je ne pensais pas un mot de ce que j'ai dit. D'une force que je ne lui soupçonnais pas, elle me sert un peu plus fort contre elle et m'assure que tout va bien.
— Je sais que tu as mal, et je voudrais faire n'importe quoi pour prendre un peu de la douleur que tu ressens là maintenant.
Je recule ma tête et renifle en me frottant le nez.
— Tu le fais, chaque jour depuis que je suis arrivé ici.
Elle me regarde, les yeux à nouveau embués d'émotions. Oliver essaie discrètement d'essuyer la larme qui est apparue au coin de son œil pour qu'on ne le voit pas faire.
— Je suis désolé pour tout ce que j'ai pu vous faire subir, dis-je sincèrement. Vous n'avez jamais mérité d'être la cible de toute ma colère.
Je me tourne vers Nora qui est restée à l'écart et lui fais signe de venir dans mes bras dans lesquels elle se précipite.
— Je vous promets que je peux changer, que je vais changer et que vous vous rendrez compte que vous n'avez pas fait tout ça pour rien.
Kate me sourit et approche sa main à mon visage qu'elle caresse.
— J'ai besoin d'avaler tout ça, dis-je en déglutissant, j'ai besoin de réaliser que mon père est mort, qu'il s'est suicidé et que...
— Que ce n'est pas ta faute, termine Nora en me regardant droit dans les yeux.
Que je suis libre de tout ça et qu'il n'a pas le droit de me causer d'autres maux, d'autres cauchemars et d'autres années entières à penser à ce que j'ai fait de mal ou non à cause de lui. J'embrasse le front de ma petite amie et informe Kate et Oliver que j'ai besoin de dormir et que je suis à nouveau désolé. Nora me dit de l'appeler dès que je serais réveillé. Je lui promets et disparaît dans les escaliers et monte jusqu'à ma chambre, j'ai besoin d'être seul, j'ai besoin de me calmer, de réaliser tout ce qu'il vient de se passer et de contrôler ce que je ressens. Juste avant que je ne pousse la porte de ma chambre, le bruit de pas sur le parquet craque. Je me tourne et vois Roméo, son doudou dans les bras debout devant sa chambre.
— Eh bonhomme je suis rentré ! Dis-je en m'approchant de lui.
J'espère qu'on ne voit pas trop que j'ai pleuré.
— Je sais, je t'ai entendu crier sur maman.
Je sens mon cœur se vider complètement.
— C'est la dernière fois que je crie sur maman, promis-je.
Je ne suis pas du genre à promettre des choses, mais je n'ai plus envie de vivre dans ce cercle chaotique permanent.
— Pour de vrai ?
Je hoche la tête.
— Pour de vrai.

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