29. Nora

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Sacha est bien contente que sa punition soit enfin levée, elle était d'ailleurs réveillée avant moi ce matin pour aller chez Ellie. Je me suis fait tirer du lit par June qui me répétait qu'elle était prête pour aller chez les Jones. Elle est vêtue de son maillot de bain et d'une bouée à la main.
— Est-ce que j'ai le droit de petit déjeuner ?
Elle fait la moue et me demande de la suivre en vitesse jusqu'au rez-de-chaussée. Je l'envoie chercher une robe dans sa chambre en attendant que je me serve mon jus d'orange. Je vais probablement devoir passer derrière elle pour ranger les vêtements qu'elle aura éparpillé de tous les côtés en cherchant une robe. Je vois mon verre de jus presque cul sec et remonte enfiler un short en jean taille haute et un crop top. J'ai passé un coup de brosse dans mes cheveux que j'ai attachés en queue de cheval. Je vérifie une dernière fois que je n'ai pas l'air de m'être tout juste réveillée, il y a des chances pour que je croise tout de même Scott. Une partie de moi a envie de l'apercevoir, une autre aimerait l'éviter. Je ne sais pas laquelle a le dessus sur l'autre. June piétine d'impatience devant la porte d'entrée. Je la rejoins et lui assure que je suis prête.

June frappe énergiquement à la porte des Jones, Kate vient nous ouvrir son éternel sourire accroché aux lèvres.
— Roméo était impatient que tu arrives ! S'exclame-t-elle.
Kate nous fait toutes les deux entrer et me propose de boire quelque chose. Je devine qu'elle veut discuter avec moi, en temps normal elle m'aurait simplement demandé à quelle heure je serais revenue chercher ma petite sœur. Je refuse son offre et m'assoit simplement sur l'un des canapés du salon en attendant qu'elle revienne. De là où je suis, j'entends Roméo hurler de joie à l'arrivée de ma petite sœur. Aucune trace d'Oliver, ni de Scott. Peut-être dort-il encore, il n'est que dix heures du matin.
Kate revient dans le salon, une tasse de thé à la main. Les cernes qu'elle a sous les yeux me laissent deviner qu'elle n'a pas très bien dormi ou peu.
— Tu vas bien ? Demande-t-elle.
Je hoche sincèrement la tête et me tâte à lui retourner la question. Il y a visiblement quelque chose qui cloche, est-ce qu'elle est toujours en colère contre Scott à cause de ce qu'il s'est passé avec Camden ? Je pensais que les poursuites abandonnées auraient pu jouer en sa faveur et qu'au moins eux ne lui en voudraient plus.
— Est-ce que tu as repris contact avec Scott depuis l'autre matin ?
La discussion tournera donc autour de Scott comme je me l'étais imaginé.
— Non... non pas vraiment. J'ai essayé de prendre mes distances à vrai dire.
Elle porte sa tasse à ses lèvres sans rien répondre de plus.
— Scott est quelqu'un de profondément gentil et j'adore passer du temps avec lui, mais je crois que je vais avoir du mal à avaler ce qu'il a fait. Si je dois être honnête je ne sais pas quoi vraiment en penser en fait.
Je ne sais pas si je devrais juste passer l'éponge et essayer de comprendre ce qui l'a poussé à aller si loin, l'épauler ? Je ne sais pas si je dois me laisser quelques jours de plus ou si je vais vouloir lui reparler tout court, et si c'est le cas est-ce qu'on pourra reprendre où nous en étions ? Je sais pertinemment que Scott est quelqu'un à qui je suis profondément attachée et que si je m'écoutais vraiment, je monterais immédiatement dans sa chambre pour me glisser dans ses bras. Je revois encore et encore la mine triste qu'il avait quand Kate et Oliver sont venus dans la chambre ce matin-là, et la façon dont son visage s'est décomposé quand je l'ai laissé sur le trottoir en lui disant que je voulais de l'espace.
— Scott est attachant et incroyablement gentil, mais il est d'une complexité sans pareille.
Kate semble être elle aussi arrivée à bout de toute la patience qu'elle avait pu lui accorder.
— Et quand, comme l'autre matin, je suis à deux doigts de craquer, je me rappelle tout ce que j'ai fait pour en arriver là.
Elle m'explique alors les soucis de stérilité qu'elle a eu et les nuits qu'elle passait à pleurer en imaginant qu'elle ne serait jamais maman.
— Quand on a vu le dossier de Scott on a tout de suite décidé qu'il serait notre fils, peu importe à quel point ce serait difficile et tous les obstacles que nous aurions à franchir. Nous étions prêts à tout.
Elle pousse un long soupir et bois une nouvelle gorgée de son thé.
— J'aime me dire que ce sont les points négatifs d'être maman. Je ne peux pas espérer avoir deux garçons gentils, en bonne santé et polis sans avoir aussi leurs mauvais côtés.
Elle explique que Roméo aussi sait avoir un caractère à la noix et qu'elle ne doute pas qu'il faudra resserrer la vis aussi quand il sera adolescent.
— Mais quand je pense à tout ce qu'a vécu Scott, je ne peux qu'imaginer tout ce qu'il a dû endurer et je me demande si je ne suis pas un peu trop dure avec lui.
Elle baisse la tête un instant.
— Je devrais peut-être réaliser qu'apprendre que son père est sorti de prison a dû lui faire un sacré coup. Je n'aurais pas dû le laisser sortir ce soir-là, j'aurais dû prendre un rendez- vous avec un psychologue pour qu'il en parle. Au fond, c'est surtout de ma faute.
Le père de Scott était en prison ? Et il en sort ? Je comprends mieux son comportement étrange de l'autre soir. Mais il ne voulait rien me dire, je n'aurais jamais pu deviner ce qu'il se passait.
— On ne peut pas comprendre ce qu'il se passe dans sa tête quand il ne nous parle pas, assurais-je.
Elle se pince les lèvres et me regarde avec un demi sourire triste.
— Rien de tout ça n'est votre faute, et je suis sûre que si vous lui en parlez il vous dira la même chose.
Kate passe une mèche blonde de ses cheveux derrière son oreille.
— J'aimerais bien pouvoir lui dire.
Je fronce les sourcils, confuse.
— Il est parti à New-York, je l'ai su en allant tracer les achats qu'il avait fait avec sa carte bancaire.
Je ne comprends pas trop ce que Scott irait faire à New-York.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
Kate me raconte alors qu'elle a eu une très mauvaise réaction et a décidé de le laisser se débrouiller pour cette histoire de commissariat. Contre l'avis d'Oliver qui lui a d'ailleurs reproché par la suite. Quand il est rentré il était ravi de leur annoncer que les poursuites étaient abandonnées mais que Kate n'a pas daigné lever les yeux vers lui. Il a quitté la ville le soir même, sans emporter de vêtements.
— Est-ce qu'il l'a quittée définitivement ?
Un élan de panique me prend, s'il est parti et qu'il s'agissait de notre dernière conversation, je m'en voudrais indéfiniment.
— Je ne sais pas, il n'a pas répondu à un seul de nos appels et nous arrivons à court d'excuses quand Roméo nous demande où est son grand-frère.
Le regard vide qu'elle porte me fend le cœur, je comprends mieux maintenant les cernes qu'elle a sous les yeux. Je m'empare de mon portable, certaines applis permettent de voir où sont nos amis en direct. Je fais défiler la liste en espérant que Scott a laissé sa localisation activée : BINGO.
— Je sais où il est.
Je pense à lui envoyer un message et lui demander de rentrer, mais peut-être que je fais partie des raisons qui l'ont poussé à partir et qu'il n'a aucune envie que je revienne sur mes mots. Mais repartir à New-York ?
— Chez qui est-il ?
Si son père est en prison, il ne devait pas avoir beaucoup d'autre famille.
— Sa mère ?
Kate presse ses paupières et grimace.
— Sa mère est décédée quelques mois après qu'il ait été placé en famille d'accueil.
Je réalise alors que je ne connais finalement rien de la vie de Scott. Comment est-ce que je pouvais prétendre vouloir construire quelque chose avec lui ? Je ne sais rien du tout mis à part qu'il est en famille d'accueil chez les Jones. J'ai tellement voulu prendre les choses doucement que je n'ai pas réalisé qu'il en savait beaucoup plus sur moi et ma famille que je n'en savais sur lui. Je me suis arrêtée à ce que je voulais voir en espérant passer outre les côtés négatifs et voilà où j'en suis. Je n'ai pas été capable de voir qu'il allait mal et donc de l'aider et le soutenir au moment où il en avait le plus besoin. Je commence à penser comme Kate et croire qu'une partie de tout est ma faute.
— Je vais aller le chercher, dis-je déterminée.
Je ne sais pas si c'est une idée complètement folle, mais je sais qu'il faut qu'on répare ce qu'il s'est passé. Si Scott et moi voulons vraiment avoir une chance d'être ensemble, je crois qu'il faut pouvoir y mettre chacun du sien et je n'ai pas essayé de comprendre ce qu'il se passait vraiment tandis que de son côté il n'a pas essayé d'aider à comprendre non plus. Je pense qu'il faut discuter de tout ça et qu'il faut qu'il revienne aussi pour Roméo mais aussi pour Kate et Oliver.
— Vraiment ?
Le visage de Kate vient de s'illuminer. Je ne réalise toujours pas ce que je viens vraiment de dire mais je ne peux plus faire marche arrière.
— Tu as besoin de quelque chose ? Demande Kate.
Je réalise qu'il faut que je prévienne ma mère et qu'il faut que Sacha rentre pour s'occuper de June. Il faut aussi que je prépare des affaires et peut-être que je prenne un hôtel.
— Je vais réserver ton avion, dit Kate en se précipitant sur l'ordinateur portable posé sur la table basse.
Je lui réponds que je suis gênée à l'idée qu'elle paye, elle rétorque qu'elle me doit bien ça. Je dois avouer qu'étant donné tout l'argent que j'ai dû donner à Camden pour sa voiture je n'ai plus grand-chose sur mon compte en banque et je ne me vois pas demander à ma mère de m'avancer de l'argent pour aller chercher un garçon, à l'autre bout du pays.

Ma valise est faite, ma mère prévenue, Sacha rentrée. J'ai prétexté devoir aller à un week-end surprise que Kiva m'a organisé (ce qui n'est même pas le genre de Kiva). Sacha ronchonne un peu mais ça lui passera. Kate m'a proposé de me déposer à l'aéroport en voiture, Oliver reste à la maison avec Roméo en attendant qu'elle fasse l'aller-retour. Ils sont tous les deux impatients que j'arrive là-bas pour leur dire que Scott va bien. J'ai noté l'adresse où il logeait, en espérant qu'il y soit toujours demain matin. Je monte aux côtés de Kate qui est aussi stressée que moi pour cette aventure de dernière minute.
— Je t'ai réservé un hôtel, il est à un gros quart d'heure en Uber de l'aéroport. Passe une bonne nuit de sommeil là-bas, tu t'occuperas de retrouver Scott quand tu seras reposée.
Je prends tous ses conseils en compte et essaie de penser à ce que je vais lui dire quand j'arriverai devant sa porte. Est-ce qu'il va trouver que j'ai l'air ridicule d'avoir fait toute cette route pour rien ? Et s'il ne voulait pas me voir ?
Kate me demande de l'appeler au moindre souci, je lui assure que tout va très bien se passer et referme la portière de la voiture. Après tout, je suis bien partie en Australie toute seule, New-York ça ne devrait pas être si terrible.
Cinq heures trente d'avion plus tard, j'arrive sur le sol New-Yorkais, le décalage horaire fait que la nuit n'est pas encore tombée ici, mais je suis tout de même épuisée. Je récupère ma valise et m'arrête dans un fast food prendre quelque chose à emporter et commande un Uber. J'ai besoin d'une bonne nuit de sommeil pour affronter la longue journée que je risque d'avoir demain.

J'ai dormi comme un bébé, le lit de cet hôtel est vraiment un des plus confortables sur lequel j'ai dormi de ma vie. J'ai d'ailleurs eu vraiment beaucoup de mal à en sortir. J'ai vérifié si la localisation de Scott était toujours active, elle l'est. Il n'a pas bougé d'endroit : ce qui m'arrange. Je passe une demi-heure sous la douche à penser encore et encore à ce que je vais bien pouvoir lui dire et à imaginer tous les scénarii possibles. Rien ne se passera comme je vais le prévoir, je le sais, mais j'essaie de me rassurer un maximum.
Après deux bus et un Uber me voilà dans la fameuse rue où est censé se trouver Scott. Les bâtiments sont tous identiques et j'ai beaucoup de mal à m'y retrouver. J'aurais peut-être dû l'appeler ? Pour dire quoi Nora ? « Coucou, c'est moi euh et bien je suis à New-York, oui oui tu as bien entendu, devant ta porte. » Non. Je vais devoir improviser sur le moment, avec un peu de chance la surprise suffira à le déstabiliser assez pour qu'il me laisse entrer et qu'on discute. Il y a deux bâtiments parfaitement identiques, côtes à côtes. Le problème c'est que l'application n'est pas assez précise et je ne sais ni dans lequel des deux il se trouve, ni à quel étage où quel appartement il peut être. Je stoppe un jeune homme qui porte ce qui semble être une guitare sur son dos, il monte les marches et pousse la porte d'entrée du bâtiment. Au point où j'en suis, je peux toujours tenter :
— Excusez-moi, ma question est probablement absurde parce qu'il y a très peu de chance que ça soit le cas. Mais vous auriez vu un jeune homme trainer dans votre immeuble ces derniers jours ? Il est grand, blond aux yeux marrons, il s'appelle Scott.
Le jeune homme sourit et passe une main pour repousser ses cheveux parfaitement laqués en arrière.
— On peut dire que c'est ton jour de chance.
Il me répond qu'il connaît Scott, qu'il ne devrait pas tarder à arriver et que je peux sagement l'attendre chez lui. J'émets évidemment un doute, j'ai vu assez d'épisodes d'Esprits Criminels pour savoir où ce genre d'histoires peut mener. Il me montre alors sa bonne fois en dégainant son portable pour me montrer une photo de lui et Scott qui date d'après lui de l'année dernière, avant qu'il ne déménage en Californie. Plus de doute, il le connaît bel et bien et il a raison, c'est mon jour de chance.
— Au fait, moi c'est Elio, se présente-t-il.
Elio, aujourd'hui tu es ma personne favorite.

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