16. Scott

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Nora tient ma main et j'aime ça, j'aime cette proximité qu'on a tous les deux et je ne veux pas que ça s'arrête. C'est dommage qu'il faille en arriver à ce genre de situation, Naveen a raison. On devrait discuter tous les deux, je devrais la laisser s'exprimer.

— Je suis désolé de t'avoir si mal parlé l'autre jour, quand tu es venue voir comment j'allais.
Elle ne s'attendait pas à que je lance moi-même le sujet, mais je l'ai fait. Je n'ose pas bouger ma main, elle non plus.
— Je comprends, tu étais en colère après Camden. Et tu pensais que c'était ma faute.
Je me racle la gorge et me gratte la tempe.
— Je n'aurais pas dû te balancer ta relation avec lui au visage, tu n'y es pour rien. Il était simplement jaloux et stupide.
Elle sourit, visiblement d'accord avec ma dernière remarque.
— Je sais que ça n'a plus vraiment d'importance mais... commence-t-elle.
Elle s'humecte les lèvres.
— Il n'y a vraiment rien entre Camden et moi. On discutait pour mettre un terme à cette relation qui n'avait plus de sens. Il m'envoyait des messages depuis quelques jours et je voulais lui faire comprendre en face que je n'avais plus rien à faire de lui.
Je la crois immédiatement, c'est moi qui ai tiré des conclusions hâtives. Et pourquoi ? Nora ne me devait rien après tout, ce n'est pas comme s'il y avait quelque chose de concret entre nous.
— Il était en colère parce qu'il pensait que notre « rupture » était à cause de toi.
Elle a bien formé les guillemets autour du mot « rupture » avec ses doigts.
— Et c'est le cas ?
Je ne sais pas ce que Nora ressent pour moi, peut-être que c'est simplement de l'amitié et que je me fais des idées depuis le début. Il ne suffit pas toujours d'être beau et de promettre à une fille qu'on réussira à la séduire pour le faire. Les sentiments ne se contrôlent pas. Nora sourit et me regarde, le bleu de ses yeux si pur et si doux, comme elle, m'hypnotise.
— Peut-être un peu.
Mon cœur se met à palpiter.
— Camden a longtemps été ma personne de réconfort, celle vers qui je revenais toujours. Mais j'ai réalisé qu'il y avait des personnes qui me traitaient beaucoup mieux et avec qui je préférais passer du temps.
Je m'apprête à ouvrir la bouche mais Nora me coupe.
— Mais...
Évidemment qu'il y a un mais, c'était trop beau pour être vrai.
— Mais je me demande si toi tu veux vraiment de tout ça.
Je la regarde, confus. Je suis celui qui lui court après depuis le début, pourquoi je ne voudrais pas d'elle.
— Tu as commencé à m'aguicher sans même savoir qui j'étais. Et je pense que tu t'es intéressé à moi pour les mauvaises raisons.
Elle retire sa main et je réalise qu'elle parle de son physique.
— J'ai rencontré un tas de garçon qui n'en avaient rien à faire de ce qu'il y avait dans ma tête et qui ne s'intéressait qu'à ça...
Elle montre rapidement son corps de la main.
— Je ne veux pas avoir l'air d'être une princesse qui se plaint qu'on la trouve trop jolie. Il y a clairement pire comme soucis. Je veux juste qu'on réalise que je ne suis pas qu'une jolie fille. Je veux qu'on m'aime pour ce que je suis et pas pour l'idée qu'on se fait de moi.
Elle ajoute qu'elle a trop souvent été réduite à cette image de fille mignonne qui ne doit donc pas être très intelligente, déjà enfant mais aussi après. Qu'on lui répétait sans cesse qu'elle serait sûrement mannequin ou actrice, parce qu'avec un visage pareil, on ne peut que devenir célèbre. Mais qu'elle voulait aussi qu'on lui dise qu'elle pourrait être médecin ou avocate et que son esprit compterait plus que le reste.
— J'ai l'impression d'être ridicule à me plaindre de tout ça, avoue-t-elle.
Je la regarde longuement, je ne sais pas ce qu'elle vit. Je n'ai jamais subi de remarques ennuyantes sur mon physique. Je pense que, quand on est un garçon, les gens pensent simplement qu'on peut tout faire. Peu importe à quoi on ressemble et ce qu'il y a dans notre tête.
— Tu as raison, je me suis intéressé à toi parce que j'ai trouvé que tu étais la fille la plus jolie que j'ai jamais vue de ma vie.
Elle répond un petit sourire en coin peu enthousiaste.
— Mais j'ai découvert une autre facette de toi et ça me plaît encore plus.
Nora n'est pas juste belle, elle est attendrissante, à l'écoute et sensible. Elle semble toujours vouloir faire de son mieux et s'intéresser aux autres, j'ai envie de tout connaître d'elle.
— Si je t'ai promis de ne pas essayer de coucher avec toi, ce n'était pas juste pour te prouver que tu avais tort, mais parce que j'ai envie de te découvrir entièrement avant de te découvrir physiquement.
Elle penche la tête sur le côté et sourit cette fois sincèrement.
— Et si tu penses qu'on ne sera jamais plus qu'amis ça m'irait tout aussi bien.
Nora remonte ses genoux sur le canapé. Ses cils battent plus rapidement mais elle ne parle pas.
— Je pense qu'on pourrait repartir à zéro tous les deux.
Je ne sais pas si j'ai envie de repartir à zéro parce que depuis quelques minutes je ne pense qu'à sa bouche que j'ai envie d'embrasser.
— On pourrait juste apprendre à se découvrir. Sans se donner de but, ni amical, ni rien. Et voir où les choses nous mènent.
Je reprends sa main, incapable de ne pas la toucher, elle me laisse faire.
— Tu veux dire qu'on pourrait tomber amoureux l'un de l'autre alors ?
J'essaie de détendre l'atmosphère en plaisantant. Mais je crois que ma question tient tout de même une part de véritable curiosité. Nora qui fermait la porte à toute possible relation semble finalement changer d'avis. Recommencer à zéro ne nous ramène pas au point de départ. Au contraire, je crois qu'on a beaucoup avancé en fait.
— Peut-être que ça nous mènera là.
Elle sourit encore et caresse la paume de ma main du bout des doigts.
— Je t'apprécie beaucoup Scott et je ne vais pas prétendre que tu me laisses indifférente, c'est faux.
Elle repose un de ses pieds sur le sol et avance plus près de moi.
— Et c'est justement pour ça que je ne veux pas faire n'importe quoi.
Elle retire encore sa main et la ramène autour de son genou, mais elle n'est pas distante au contraire.
— J'ai voulu précipiter les choses pour te faire fuir, parce que j'étais persuadée que c'était ce que tu ferais. Parce que je pensais que tu ne t'intéressais pas vraiment à moi, à ce que j'étais.
Je hoche doucement la tête.
— Mais tu as eu tort.
Elle opine doucement à son tour.
— Je m'en suis rendue compte, le soir où on a pique-niqué tous les deux. Je venais de te demander de m'embrasser pour la seconde fois et tu as refusé. Encore.
Je mourrais d'envie de le faire mais je ne voulais pas lui donner raison, je savais pertinemment qu'elle me testait. Je sais être borné moi aussi.
— C'est là que j'ai compris que tu représentais peut-être plus pour moi que je ne me le laissais croire, parce que sur la plage, quand on était tous les deux, j'en avais vraiment envie.
Je me pince les lèvres simplement.
— Alors on reprend à zéro ? Lançais-je.
Elle me tend la main pour conclure notre accord, je la garde un peu plus longtemps que je ne le devrais mais ça ne la dérange pas.
— Est-ce que notre second rendez-vous sera notre premier alors ?
Elle me regarde, les yeux pétillants.
— Non, le pique-nique sur la plage était bien trop cool pour qu'on l'oublie.
Nora se lève et balaie rapidement le salon des yeux, elle aurait presque oublié le fait que Sacha ait disparu. Elle s'arrête sur la commode et regarde un cadre. C'est une photo prise il y a deux ans, nous étions en vacances : Oliver, Kate, Roméo et moi. Quatre petites têtes blondes en maillot de bain.
— Vous vous ressemblez vraiment beaucoup, fait remarquer Nora.
Je me lève et m'approche d'elle, personne ne se demande jamais si Kate et Oliver sont mes vrais parents. Parce qu'on se ressemble beaucoup eux et moi. Surtout Kate en fait. Elle a les cheveux longs et clairs et les mêmes tâches de rousseurs que moi sur le nez. Alors que Roméo ressemble beaucoup plus à Oliver. Je me suis surpris à apprécier le fait qu'on se ressemble autant, je n'avais pas l'impression qu'il y ait écrit « faux fils » sur mon front.
— Ils ont les yeux bleus, dis-je simplement en pointant la photo.
Nora approche le cadre de son visage.
— Ah oui, en effet ils ont tous les trois les yeux bleus.
Je ne vois que ça, à chaque fois. Sur les photos mais aussi quand je les regarde. J'ai l'impression que c'est le truc qui me rappellera toujours que je ne fais pas vraiment partie de leur famille.
— Mais qu'est-ce que ça peut faire, Sacha aussi est la seule de notre famille à ne pas avoir les yeux bleus.
Je fronce les sourcils et me stoppe net, j'essaie de repasser chaque visage des Anderson en tête. Elizabeth, June, Nora, leur mère, leur père et Sacha. Elle a raison, Sacha à des yeux noisette qui ressortent bien grâce à sa peau claire et ses cheveux roux. Nora attend que je réagisse et je comprends que je vais devoir lui apprendre quelque chose qu'elle ne sait visiblement pas.
— Deux personnes qui ont les yeux bleus ne peuvent qu'avoir des enfants avec des yeux bleus Nora. Ou du moins, c'est extrêment rare. C'est pour ça que je t'ai dit ça.
Elle reste figée, pensant à son tour à chaque membre de sa famille elle aussi.
— Non, c'est faux. Parce que ma mère et mon père ont tous les deux les yeux bleus et...
Je lui lance un regard compatissant tandis qu'elle comprend enfin ce qu'il se passe.
— Non, non parce que ça voudrait dire que...
Elle se tait à nouveau puis regarde la photo de famille qu'elle tenait il y a quelques secondes. Elle secoue à nouveau la tête en riant de nervosité et répétant que ce n'est pas possible. Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire. Puis ses yeux s'écarquillent à nouveau.
— Et si elle l'avait découvert ? Et que c'était pour ça qu'elle était partie ?
Je la vois se remettre à paniquer, quelqu'un frappe énergiquement à la porte. Je cours ouvrir et retrouve Elizabeth, vêtue d'un gros pull et d'un pantalon rose léger.
— Nora est là ?
Elle entre en trombe et la retrouve dans le salon, Nora me regarde paniquée, ne sachant pas quoi dire.
— Papa m'a appelé, il m'a dit que Sacha a disparu.
J'ai tout d'un coup une illumination. Un soir, elle m'a demandé pourquoi j'étais triste. Je lui ai dit que j'avais besoin d'être seul et que j'avais l'impression de ne jamais l'être assez. Elle m'a répondu qu'au moins moi je n'avais pas trois sœurs. Ça m'a fait rire. Puis elle a ajouté que quand elle avait besoin d'être seule, elle allait toujours au même endroit, un endroit que personne ne connaissait. Comme ça elle pouvait être tranquille.
— Je sais où elle est.
J'ordonne à Elizabeth de rester ici pour garder June et Roméo. Elle ne dit rien mais je ne lui laisse pas le choix non plus. Je prends Nora par la main et lui dis de me suivre jusqu'à sa voiture. Elle trottine derrière moi en me demandant où je vais.
— Fais-moi confiance.
Je suis quasiment sûr qu'elle y est. Si les parents l'avaient retrouvée, on l'aurait su. Je n'ai plus qu'à espérer qu'elle s'y trouve vraiment et que je n'ai pas fait de faux espoirs à Nora. Sur la route, elle tapote ses doigts sur ses genoux. Je roule à toute vitesse. Je me rappelle y être allé un jour, après qu'elle m'en a parlé. Parce que j'avais besoin d'être seul à nouveau et que ma chambre ne me suffisait plus. Elle m'a dit que c'était son endroit secret et qu'il ne fallait que je n'en parle à personne. Je suis désolé de briser cette promesse Sacha, mais c'est pour la bonne cause. Je me gare en trombe et je sors de la voiture. Nous nous retrouvons devant une grande étendue d'herbe.
— Tu es sûr que c'est ici ?
Je tiens toujours Nora par la main en essayant de lui faire tenir mon rythme. Nous marchons sur une cinquantaine de mètres. Au loin, une vieille maisonnette apparaît enfin.
— Il faut se baisser, lui dis-je en lui montrant un passage un peu étroit.
Elle s'agenouille et passe à quatre pattes sous la porte en bois cassée. Je la suis de près et lui fais signe de ne pas faire de bruit. Une petite lueur au fond d'un couloir me conforte dans l'idée qu'elle est bien là. Il s'agit d'une ancienne cabane de chasse abandonnée, elle est très spacieuse et éloignée de tout. Les meubles entièrement en bois sont toujours en bon état et la vue depuis la petite pièce du fond est vraiment paisible. Je fais signe à Nora de poursuivre jusqu'à la porte du fond. Elle s'y précipite. Je pense un instant au fait qu'il peut s'agir de n'importe qui d'autre que Sacha et que j'aurais probablement dû passer en premier. Nous entrons tous les deux dans cette pièce où une jeune fille se tient assise, le regard perdu. Elle sursaute en nous voyant tous les deux. Nora se jette sur elle et la serre dans ses bras en remerciant encore et encore qu'elle soit bel et bien là, en vie. Sacha serre sa sœur à son tour, plus fort encore et s'excuse en voyant la frayeur qu'elle lui a fait subir.
— On va rentrer, papa est mort d'inquiétude. Il fait le tour de la ville depuis presque deux heures !
Sacha s'étonne et se relève.
— Vraiment ?
Nora hoche la tête, assurant qu'on était tous terriblement inquiets et qu'il faut maintenant rentrer. Nora passe en premier, Sacha la suit et me lance un petit regard, l'air de dire « Merci ». Je lui caresse rapidement l'épaule et la suit à mon tour. Cette soirée était vraiment pleine d'émotions.

Fix youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant