9. Nora

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June hurle depuis le salon, elle n'a toujours pas appris que dans cette maison il faut être silencieux le matin. Le soleil traverse les rideaux ce qui m'indique qu'il n'est peut-être pas aussi tôt que ça. Sacha a encore oublié de fermer les volets hier soir. Si je n'y pense pas, elle ne le fait jamais.
Lorsque je me tourne elle est là, allongée dans son lit sans faire de bruit.
— Tu as oublié de fermer les volets, grognais-je.
Elle jette un œil vers la fenêtre, comme si elle n'avait pas remarqué la lumière.
— Ah, oui.
Je m'étends lentement et baille avant d'attacher mes cheveux avec un élastique qui traîne sur ma table de chevet. Je disparais deux minutes à la salle de bain et reviens m'étaler à nouveau dans mon lit, beaucoup trop fatiguée de ma courte nuit.
— Vous êtes devenus amis Scott et toi ? Demande-t-elle soudainement.
Je suis surprise qu'elle n'ait pas posé la question hier soir, quand il est parti.
— J'imagine oui.
Je ne sais pas si on peut se considérer amis. Scott a juste cette idée absurde de me séduire. Quand il se rendra compte que ça ne marche pas, il laissera tomber.
— Il est vraiment gentil tu sais.
Je n'aime pas le ton que ma sœur vient de prendre.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Elle ne va quand même pas insinuer que c'est moi qui risquerais de lui faire du mal ?
— Rien.
Elle se lève de son lit et disparaît dans le couloir. Super, Scott a déjà ma sœur dans sa poche. Hors de question qu'il réussisse à m'avoir. Oui il est gentil, charmant et oui il a refusé de m'embrasser parce que j'étais saoule. Mais j'ai besoin d'élever la barre plus haut. J'ai l'impression qu'on est tellement habitués aux abrutis qu'on se fourvoie au premier garçon décent.


Lorsque je rejoins enfin le rez-de-chaussée, ma mère est là. En pleine forme. Aujourd'hui elle est en congé. June reste donc exceptionnellement à la maison, tout comme Sacha et moi. Je ne sais pas où est Lizzie, j'ai l'impression de seulement la croiser depuis que je suis revenue. Il faudrait qu'elle aussi essaie un peu de profiter de la présence de maman. Elle voit Sean en permanence, elle peut le lâcher au moins une journée. Mon père est allé pêcher avec mon oncle chez qui il passe la nuit. Ma mère voulait que cette journée ne soit qu'entre nous et je me sens soulagée à l'idée de savoir qu'il n'y aura pas de dispute ce soir quand nous partirons nous coucher.


La journée était géniale, on a mangé des glaces, on s'est fait mutuellement les ongles, on a raconté tous les potins qu'on avait à se dire (j'ai évité de mentionner Scott, je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit à dire sur lui). On a fait une tarte aux pommes maison, Sacha m'a laissée lui couper les cheveux pour qu'ils soient droits et June a eu le droit de se maquiller (exceptionnellement). Ma mère a si peu de jours de congé qu'on a essayé de caser tout ce qu'on pouvait sur la journée. Nous sommes maintenant toutes les quatre allongées sur le canapé, un énorme saladier de popcorn sur le ventre de ma mère. Je pioche une dernière poignée, rassasiée. June s'est endormie, la tête sur les genoux de Sacha. Le générique apparaît enfin.
— Allez les filles, au lit ! Lance ma mère.
Elle porte June jusqu'à sa chambre pendant que je débarrasse ce qui traîne sur la table basse. Sacha m'aide et me suis jusqu'à la cuisine.
— C'était une super journée, ça fait longtemps qu'on n'avait pas passé autant de temps ensemble.
Je lui souris et réponds que je suis entièrement d'accord avec elle, je n'avais pas réalisé à quel point ça m'avait manqué je crois.
— Dommage que Lizzie ne soit plus là comme avant.
Je pose nos verres dans l'évier et me tourne vers ma sœur, curieuse.
— Est-ce que c'était pareil quand j'étais en Australie ?
Elle hoche la tête et m'explique que Lizzie passe le plus clair de son temps chez Sean depuis la dernière rentrée. Je serre le bord du lavabo et relaxe mes doigts. Je déteste voir à quel point ma sœur aînée peut être égoïste parfois. Sacha me souhaite bonne nuit et file à l'étage. Je décide d'attendre ma mère pour discuter un peu avec elle. Elle revient et me sourit en me remerciant d'avoir tout rangé.
— C'est normal, répondis-je.
Je m'assois autour de la table de la cuisine et lui demande de s'asseoir en face de moi, pour discuter.
Elle s'exécute et prend directement ma main.
— Maman, papa et toi vous...
Je ne sais pas comment formuler ce que j'ai à dire. Je n'arrive pas à avoir les idées en place par rapport à tout ça.
— Vous aviez l'air heureux, que s'est-il passé ?
Elle inspire longuement et choisit ses mots. Je n'ai jamais eu à avoir de discussions si sérieuses avec ma mère, je ne sais pas vraiment aborder ce genre de choses.
— La vie de couple c'est compliqué, même après vingt-quatre ans de vie commune. Si on n'y met pas du sien chacun de notre côté ça ne fonctionne plus. Et c'est ce qu'il s'est passé.
J'ai envie de lui dire que rien n'est jamais terminé tant qu'on ne le décide pas et qu'ils peuvent peut-être recoller les morceaux. Que ce n'est pas terminé.
— Et si vous preniez des vacances rien que tous les deux ? June est grande maintenant, et je suis là, je peux m'occuper de la maison.
Ma mère arbore désormais un sourire triste. Elle sait très bien que ça ne sert à rien. Mais je m'accroche à cet espoir, je n'ai pas envie que notre famille se brise. Je sais que j'arrive probablement trop tard et que j'aurais dû avoir cette discussion avec elle il y a des mois déjà, peut-être que ça aurait changé les choses. Peut-être...
— C'est fini Nora, depuis un moment déjà.
Je n'arrive pas à concevoir la vie sans voir mes deux parents ensemble chaque jour. Je n'arrive pas à m'imaginer devoir choisir entre eux et ça me brise le cœur. Comment est-ce qu'on peut juste renoncer à tant d'années d'amour ?
— Mais maman vous pouvez peut-être...
Elle me coupe, voyant pertinemment que je ne compte pas lâcher l'affaire.
— Il a rencontré quelqu'un.
Et comme si je venais moi-même d'être trahie, j'ai l'impression que mon cœur se brise en mille morceaux.
— Quoi ?
Il ne peut pas avoir fait ça. Il ne peut pas s'être trouvé quelqu'un d'autre, pas si vite.
— Ce n'est pas chez votre oncle qu'il va, c'est chez sa petite amie.
Ma gorge se noue et je n'arrive plus à en sortir un seul son.
— Mais comment tu peux le laisser...
Elle fait de son mieux pour ne pas fondre en larmes je le vois, mais je n'arrive pas à me contenir. Il faut que je sache.
— Ça fait un moment que c'est terminé Nora, je te l'ai dit.
Je n'imagine pas ce que ma mère doit ressentir à l'instant présent et c'est ça qui me fait le plus mal dans tout ça. Mais au vu de ce que je ressens moi, là tout de suite, j'imagine très bien qu'elle doit être anéantie. Je me lève alors de ma chaise et vais la rejoindre de l'autre côté de la table pour la serrer dans mes bras. Je lui murmure que je suis désolée et elle me répond que je n'y suis pour rien.

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