20. Scott

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Le bruit d'un verre éclatant sur le sol me réveille, je ne sais pas quelle heure il est. Peut-être vingt-trois heures, peut-être quatre heures du matin, je n'en ai aucune idée. Des cris résonnent depuis le rez-de-chaussée. Je me tire de mon lit tout doucement pour aller aux toilettes. Mon ventre gargouille, je n'ai pas mangé avant de dormir. Je descends les marches sur la pointe des pieds. La musique retentit, plus bas que d'habitude. Ma mère hurle sur mon père, il lui répond sur le même ton. Je trottine jusqu'aux toilettes de peur qu'ils m'aperçoivent. Des insultes fusent à travers le salon, je ferme les yeux et pris pour être le plus silencieux possible. Je ne tire pas la chasse d'eau et appuie sur la poignée de la porte des toilettes, elle craque. Mon cœur accélère, je ne bouge plus d'un centimètre et attend de voir si quelqu'un m'a entendu. La musique retentit toujours et mes parents ne parlent plus. Je me glisse hors des toilettes et fonce jusqu'aux escaliers. Arrivé à ma chambre je referme délicatement la porte derrière moi et me glisse dans mon lit. Des pas lourds résonnent dans les marches, je remonte la couverture jusqu'au-dessus de ma tête et retiens mon souffle. La porte de ma chambre s'ouvre, la lumière du couloir apparaît à travers le tissu de ma couette. Je presse mes paupières et tente tant bien que mal de calmer ma respiration pour qu'il pense que je dors. Il me laissera tranquille comme ça.
— Tu dors ? Lance-t-il d'une grosse voix roque et alcoolisée.
Je ne réponds pas, il est assez bête pour croire que faire autant de bruit ne me réveille pas. Il reste quelques secondes sans bouger sur le pas de la porte pour voir si je réagis et finit par quitter ma chambre.
— Le gamin dort ! Hurle-t-il à ma mère derrière ma porte.
Je déglutis, soulagé. La lumière du couloir est éteinte, je suis plongé dans le noir. La musique bourdonne en fond mais je réussis à m'endormir doucement.

Je me réveille en sursaut, troublé. Je prends mon portable et allume mon flash pour regarder tout autour de moi. Je ne suis pas là-bas à New-York, je suis ici, chez Kate et Oliver, dans ma chambre. Je passe ma main sur mon front, trempé. Je déteste cette sensation, celle de ne pas vraiment être sorti de mon rêve. Pourquoi ai-je besoin de toujours me souvenir de tout ça ? Pourquoi est-ce que mon inconscient ne veut pas me laisser l'oublier ? Ce cauchemar est loin d'être le pire. Au contraire. Mais j'ai ressenti cette même ambiance lourde et angoissante qu'à l'époque, comme une vieille amie qui vient me rappeler qu'elle est toujours là.

Roméo est allé chez June aujourd'hui, pour changer. La mère de June est en repos et elle voulait rendre la pareille à Kate pour toujours s'occuper de sa fille. Kate en profite pour s'occuper de ses plantes et prendre soin d'elle. Elle est partie chez le coiffeur, s'est fait les ongles et s'est baladé avec un masque vert hideux sur le visage durant toute la matinée. Quant à moi, je suis allé courir très tôt ce matin, avant que le soleil ne m'en empêche. Puis Naveen m'a envoyé un message, ses mères sont toutes les deux retournées travailler aujourd'hui. Il n'a pas le droit de sortir et elles s'assureront qu'il est bien cloitré dans sa chambre en appelant sur le téléphone fixe de la maison toutes les heures. Mais je peux venir, ce qui est une très bonne nouvelle. J'ai enfilé un short et un débardeur avant de prendre les clés de la voiture et conduire jusqu'à chez mon ami.

Les miettes de chips sur le coin de la bouche et ses cheveux emmêlés prouvent qu'il ne semble pas très bien vivre sa punition.
— Tu ne ressembles plus à rien, fis-je remarquer.
Il me montre son majeur de sa main blessée et me désigne le canapé.
— Ça va mieux ? Demandais-je.
Il hoche la tête et m'informe qu'il ne devrait en avoir que pour une semaine encore si tout va bien.
— Est-ce que tu crois que ta punition sera levée d'ici ce week-end ? Demandais-je.
Naveen hausse les épaules et sort deux verres du placard.
— S'il y a une bonne raison je peux peut-être les supplier de me laisser sortir.
Il me demande si je veux boire quelque chose, j'opte pour de l'eau.
— Et si cette raison c'est aller à une soirée où il y aura très certainement Mindy ?
Quand Nora m'a proposé de l'accompagner j'ai très vite pensé à Mindy et Naveen. Il doit mourir d'envie de la revoir.
— T'es sérieux ?
Il me regarde comme si je venais de lui proposer de rencontrer le vrai père-noël.
— Seulement si tu fais quelque chose de ça, dis-je en pointant ses cheveux.
Je lui parle de l'invitation de Nora et lui dit qu'étant donné que c'est la fête de Danna, Mindy sera très certainement là-bas elle aussi.
— On n'a pas arrêté de parler par messages, dit-il excité, je lui ai proposé de lui faire découvrir un restau végan dès que ma punition serait levée.
Naveen n'a jamais été aussi impatient de revoir une fille. C'en serait presque adorable.
— Et bien tu as intérêt de mettre ta plus belle chemise en tissu biodégradable car tu auras la chance de la revoir ce week-end.
Il me répond qu'il doit très vite commencer à écrire son discours pour convaincre ses mères qu'il n'est pas un terrible criminel et que, l'empêcher de vivre ses années de jeune adulte en le contraignant à rester à la maison, peut avoir un effet néfaste sur sa vie future.
— Tu sais quoi dire pour arriver à tes fins, applaudis-je.
Il me fait un clin d'œil et me propose une partie de console.
— Je ne suis pas sûre que tu sois capable de me battre avec une main immobilisée, dis-je.
— Tu as peur de te faire à nouveau ratatiner malgré le fait que j'ai un handicap.
Je n'attends pas plus et attrape la manette.
— Moi qui comptais te laisser une chance...
J'ai laissé Naveen après deux heures de jeu, il m'a battu à trois reprises et je n'avais plus d'excuses à donner pour excuser mes défaites. Je lui ai promis de lui envoyer l'adresse de Danna quand Nora me l'aura elle-même envoyée. Elle compte y aller en avance pour l'aider à tout mettre en place, je dois la rejoindre directement là-bas. Je suis vraiment détendu depuis l'autre soir, j'avais peur d'avoir l'air niais avec mon histoire d'étoiles au bord de la falaise. Mais je me suis souvenu que Nora m'avait proposé un pique-nique sur la plage et qu'on ne pouvait pas faire plus cliché.
Je crois que j'ai tapé dans le mille, elle avait l'air vraiment subjuguée. Je dois avouer que ça m'a plu aussi, je n'avais jamais pris le temps de simplement m'allonger et regarder les étoiles en respirant l'air frais. Quand Nora m'a pris la main, je me suis peut-être un peu laisser aller et je me suis vu avoir envie de l'embrasser. Je sais que j'aurais pu me retenir mais ce qu'il s'est passé dans la piscine la veille m'avait vraiment poussé à bout, je ne pouvais pas résister à nouveau à la tentation. Ce baiser était exactement comme je le voulais, mieux que le premier qui n'a pas tellement compté au vu des circonstances. C'est à ce moment que j'ai compris que je voulais Nora. Pas comme avant, pas pour le principe, pas parce que c'est une fille géniale. Mais parce que je crois que je n'arrivais plus à simplement continuer ma vie sans pouvoir l'embrasser à nouveau. J'ai tout de même décidé de m'arrêter là quand elle a voulu aller plus loin. Je n'ai pas envie d'aller trop vite et de casser ce qu'il pourrait se passer entre nous, c'est hors de question. Tout est toujours si fragile au début, il suffirait de pas grand-chose pour tout ruiner. Je lis de mieux en mieux en elle et je n'ai plus besoin de me torturer l'esprit pour savoir ce qu'elle pense de moi, de nous. Elle a aimé ce baiser autant que moi. Et sa frustration à mon refus de lui faire l'amour m'a un peu flatté je l'avoue. On va simplement continuer comme ça un temps, jusqu'à que l'un de nous finisse par admettre qu'il ne peut pas se passer de l'autre. Je crois que je pourrais honnêtement parier sur moi, après tout je suis celui qui a introduit cette relation en la draguant lourdement ce soir-là au restaurant. Mais je crois toujours un peu sous-estimer les sentiments de Nora à mon égard. Quoi qu'il en soit je ne suis que plus excité de voir la suite de tout ça et de la voir à nouveau ce week-end.

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