26. Scott

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Il est neuf heures du matin, je me réveille excité comme jamais. Aujourd'hui ce n'est pas un jour comme les autres, c'est mon anniversaire. On est samedi, ce qui veut dire que je n'ai pas école et que je vais pouvoir en profiter toute la journée. Je descends les marches deux à deux, pressé de voir mes parents et me demandant s'ils m'ont préparé mon repas préféré pour ce midi. Je les appelle mais aucun ne répond, je cherche alors dans le reste de la maison mais il n'y a personne. Je regarde l'heure à nouveau, neuf heures seize. Je prends le téléphone et compose le numéro de ma mère, elle répond à la deuxième sonnerie. Je lui demande où ils sont, ma mère me répond qu'ils sont allés faire des courses et qu'ils ont croisé des amis. Ils seront là d'ici une petite heure.

L'heure passe et il n'y a toujours personne, j'appelle à nouveau mais ça ne répond pas.
J'ai passé mon repas de ce midi seul, il restait un peu de jambon dans le réfrigérateur, ça m'a suffi. Peut-être qu'ils sont allés me chercher mon cadeau et qu'ils rentreront un peu plus tard.
Je m'assoupis une petite heure dans le canapé en les attendant, toujours personne.
Il est presque seize heures, j'appelle à nouveau ma mère, inquiet. Peut-être qu'il leur est arrivé quelque chose. Elle décroche à la cinquième sonnerie, sa voix est drôle. Elle me répond que les pneus de la voiture sont crevés et qu'ils rentreront ce soir, elle me dit de mettre un hamburger de la veille au micro-onde et de me débrouiller, elle souligne que j'ai dix ans maintenant et que je suis grand. Quand elle raccroche je me mets à pleurer, je suis seul chaque week-end. Mais ce week-end était plus important que les autres, parce que c'était mon anniversaire et que j'espérais vraiment de tout mon cœur qu'ils fassent l'effort d'être là pour moi. Je connais la voix de maman, je sais qu'elle est comme ça parce qu'elle a bu et je sais que les pneus de la voiture vont probablement très bien et qu'elle me ment. C'est comme ça tout le temps. Ils partent chez leurs amis où traîner dans des bars. Et quand ils sont à la maison je dois rester dans ma chambre et ne pas faire trop de bruit pour éviter qu'on me crie dessus. Je ne sais pas ce que je préfère. Mais quand je suis seul, au moins, je peux regarder la télé. Il y a tout un tas de films qui passent toute la journée et j'adore regarder les films. Alors, aujourd'hui j'ai dix ans et je regarde un film parce que je suis tout seul pour mon anniversaire.

— Réveille toi !
J'ouvre grand les yeux, le cœur battant à la chamade. Au-dessus de ma tête, des yeux bruns que je connais bien et un sourire en coin que je n'avais pas vu depuis longtemps. Je regarde autour de moi, je suis sur un canapé avec comme seule couverture : un plaid gris très épais. J'ai gardé mon jean et mes chaussettes par peur d'avoir froid, j'ai terriblement mal dormi.
— Tu faisais un cauchemar je crois, dit-il en s'asseyant sur le fauteuil en face de moi.
Ce n'était pas un cauchemar, enfin pas vraiment. C'était un souvenir, quelque chose qui s'est vraiment passé. Mon subconscient a simplement décidé de me le faire vivre à nouveau, pour je ne sais quelle raison.
— Un café ?
Je me redresse et me frotte l'arrière de la nuque, ce canapé est vraiment à chier.
— Non merci, répondis-je en m'étendant.
J'essaie de rassembler les morceaux de puzzles qui me semblent flous pendant quelques secondes.
— Il est quelle heure ?
Le soleil semble à peine s'être levé et j'aurais eu besoin de quelques heures de sommeil de plus, la journée d'hier a été vraiment longue.
— Six heures cinquante.
J'écarquille les yeux et regarde mon ami dans l'espoir qu'il me dise que c'est une blague.
— Putain Elio, il n'est même pas sept heures pourquoi tu me réveilles ?
Il éclate de rire et porte sa tasse de café à ses lèvres.
— Je m'ennuyais.
Elio a toujours eu cette manie de se réveiller aux aurores, peu importe à quelle heure il se couchait et dans quel état, c'est insupportable. Je passe dans la salle de bain et regarde ma mine fatiguée, hors de question que je repasse une nuit aussi merdique ici.
— Pourquoi tu ne vis plus chez tes parents ?
Je me souviens de l'immense maison qu'il avait à l'époque, je le qualifiais aussi de petit fils de bourgeois insupportable. Quand je vois la taille de l'appartement où il vit aujourd'hui je me demande vraiment ce qui lui a pris de partir de là-bas. D'accord il est décent, moderne et pas mal pour le quartier. Mais je connais le montant de la fortune de ses parents, il peut avoir le triple s'il le souhaite.
— Je voulais m'émanciper, commence-t-il, et tu crois sincèrement que mes parents auraient accepté que tu passes la porte de chez eux ?
Il marque un point.
— Par t'émanciper, tu veux dire pouvoir jouer de la guitare autre part que dans le garage et ramener tes coups d'un soir ?
Il me lance un regard blasé et finit sa tasse de café d'une traite. Elio n'a pas tellement changé en un an, il est peut-être un peu plus musclé et un peu plus grand, d'un ou deux centimètres. La cicatrice sur sa pommette et toujours très voyante : un trait droit de la taille de mon index, parallèle à son œil. Elle s'est un peu fondue dans sa peau et n'est plus aussi rouge qu'avant.
— Tu vas m'expliquer ce que tu fiches ici maintenant ?
Il est assis en face de moi, torse nu et en jogging. Une partie de son tatouage déborde sur ses abdos. Il l'a fait l'an dernier, juste avant son anniversaire, quelques jours avant que je parte.
— Je voulais rendre visite à mon meilleur ami.
Le look d'Elio est singulier, il porte toujours tout un tas de bagues et quelques colliers de tailles différentes autour du cou. Je suis d'ailleurs surpris qu'il porte tout ça alors qu'il est encore en pyjama, j'en viens à me demander s'il n'oublie pas de les enlever pour dormir.
— Ancien meilleur ami, corrige-t-il, tu as perdu ce titre en déménageant à l'autre bout du pays avec ta super famille.
Ses cheveux sont bouclés, signe qu'il n'y a pas touché. Elio déteste ses cheveux au naturel, il peut passer une heure devant le miroir à les repousser en arrière et les aplatir avec du gel, ce qui lui donne un petit air de Danny Zuko hispanique.
— Je pensais l'avoir perdu bien avant.
Il sourit et passe brièvement la main sur sa joue.
— J'ai merdé, je me suis pris la tête avec Kate et Oliver.
Elio repousse ses cheveux en arrière, par habitude.
— Merdé à quel point ?
Je soupire et pense à toute la journée d'hier, un cauchemar sans fin.
— Ils ne veulent plus m'adresser la parole.
J'ai passé une partie de la journée au commissariat à attendre. Aucun agent ne voulait m'en dire plus, je suis simplement resté assis. Sur les coups de quatorze heures, les parents de Camden sont arrivés. Il était là aussi. Ils avaient l'air vachement en colère, je m'attendais à devoir payer une amende terrible. En voyant les marques que j'avais fait sur le visage de Camden, j'ai réalisé à quel point j'avais été loin, encore plus que je ne le pensais. Et je ne parle même pas de sa voiture que j'ai fracassée avec la première pierre que j'ai trouvée. Il doit y avoir des milliers d'euros de réparations. Malgré tout, la mère de Camden a amèrement lancé qu'il n'y aurait aucune poursuite. Elle ne semblait pas vraiment ravie et n'arrêtait pas de lancer des regards à son fils, c'est visiblement lui qui avait décidé de retirer la plainte. Je ne sais pas si un ange gardien veillait au-dessus de moi ce jour-là, mais je crois que je ne me suis jamais senti aussi soulagé de toute ma vie. Pas de plainte, pas d'amende, pas de poursuite et pas de traces dans mon casier. J'avais décidé de prendre cette histoire comme une ultime chance de me rattraper : plus jamais ça n'arriverait. Je voulais même montrer ma bonne foi en prenant rendez-vous avec un nouveau psy. Quand je suis rentré, j'étais presque excité d'annoncer à Kate et Oliver que tout se finissait bien, espérant tirer un trait sur cette histoire. Mais Kate a refusé de me regarder, et quand je leur ai dit ils ont tous les deux simplement hoché la tête. Ils n'en avaient rien à faire de ce qu'il m'arrivait désormais, j'étais allé trop loin. Je n'ai même pas pris le temps de faire une valise. J'ai fourré mon portable et ma carte bleue dans ma poche et je me suis tiré. J'ai d'abord pensé à aller voir Nora, mais je me suis souvenu qu'elle non plus ne voulait plus rien à voir à faire avec moi. Alors je suis allé frapper chez Naveen mais ses mères m'ont dit qu'il n'était pas rentré et qu'il avait dormi chez un ami (sûrement Mindy). J'ai donc passé le reste de ma journée à marcher sans vraiment savoir quoi faire ni où aller. Alors j'ai pris la décision de rejoindre l'aéroport et d'aller à New-York, là où j'ai toujours vécu. Je n'avais pas vraiment d'endroit où aller, j'ai simplement appelé Elio et il est venu me chercher quand mon avion a atterri. Il m'a ramené chez lui et je me suis couché sur le canapé.
— Qu'est-ce que t'as branlé Harvey ?
Je serre la mâchoire, ce qui fait sourire Elio. Il sait que je déteste quand il m'appelle par mon nom de famille.
— J'ai éclaté la gueule d'un type.
Elio se pince les lèvres pour ne pas sourire à nouveau, il se frotte les yeux et joint ses mains l'une à l'autre.
— Encore ? Dit-il en essayant de garder son sérieux.
Je tire mon paquet de cigarettes de ma poche, je n'ai pas fumé depuis hier matin. Elio me fait signe d'aller à la fenêtre, il ne supporte pas la fumée de cigarette.
— C'était différent cette fois.
Est-ce que ça l'était vraiment ? J'ai été provoqué et je n'ai pas su me contenir, il n'y a rien eu de plus.
— Parce que cette fois tu l'as tué ?
J'ouvre la fenêtre et lui montre mon majeur.
— Ça ne me fait pas rire, répondis-je, j'ai merdé.
Elio se tourne un peu plus vers moi et insiste pour savoir ce qu'il s'est passé.
— C'était un enfoiré qui m'avait déjà cherché à une soirée, c'est arrivé de nouveau et je n'ai pas su me contrôler.
Mon ami fronce les sourcils, peu convaincue.
— Allez Harvey, un peu plus de détails. Kate et Oliver ne t'auraient pas renié pour si peu, je les connais.
Je revois l'indifférence qu'a eu Kate quand je lui ai dit que j'étais sorti d'affaire.
— Je lui ai éclaté la gueule et j'ai bousillé sa Porsche.
C'est exactement le genre de réponse qu'Elio attendait, parce qu'il me connaît.
— Mais Kate et Oliver ne savent même pas pour la voiture, ils m'en veulent parce qu'ils ont réalisé qu'il n'y avait plus rien à faire de moi.
Je jette mon mégot et retourne m'asseoir sur le canapé.
— Ils s'en remettront va.
Cette fois je me pose vraiment la question, il suffit parfois de pas grand-chose pour que le vase déborde et je crois qu'il a déjà débordé trop de fois malheureusement.
— Et c'était quoi le sujet de votre dispute avec ce type ? Tu n'es pas du genre à réagir d'habitude.
Je tourne immédiatement la tête et fais semblant de réfléchir, Elio ne va jamais me laisser tranquille si je lui dis la vérité.
— Rien de vraiment...
Je ne termine même pas ma phrase qu'il me lance ce regard qui veut dire « arrête de te foutre de moi. »
— Une fille, entre autre.
Il se laisse tomber dans le siège et hoche la tête lentement.
— Je savais que tu pouvais être un sentimental, mais à ce point ?
Je me suis laissé emporter et peu importe la raison je n'aurais pas dû aller aussi loin. Maintenant je vais devoir subir les moqueries d'Elio mais ce n'est vraiment pas la pire des conséquences.
— Je veux rencontrer cette fille.
Je lui réponds de la fermer. Même si je le voulais, Nora ne veut plus entendre parler de moi et je le mérite.
— Non mais vraiment, pour que tu tabasses un mec c'est qu'elle doit avoir quelque chose de spécial.
Elle l'est, elle est unique. Mais ce n'est pas tant le principe que Camden ait parlé mal de Nora ou qu'il soit sorti avec elle et qu'il l'a fait souffrir. En vérité, c'est grâce à lui qu'on s'est embrassés la première fois. Le problème c'est la personne qu'il représente entièrement, en tant que connard fini. Le fait qu'il ait poussé Naveen à le frapper, le fait qu'il ait continué à me chercher alors que je ne voulais pas me battre avec lui. Je regrette mon geste, terriblement et si c'était à refaire, je ne le referais pas. Mais une partie de moi ne peut pas s'empêcher de penser qu'il le méritait quand même un peu et que ça a dû lui remettre les idées en place.
— Tu dois beaucoup l'aimer, reprend-t-il, tu ne te mets pas dans des états pareils pour rien je te connais.
Il me regarde avec sincérité et pour la première fois depuis hier je me retrouve face à quelqu'un qui excuse mon geste. Je ne devrais pas, mais je me sens automatiquement un peu mieux, surtout venant d'Elio.
— J'ai frappé un mec pour une fille qui ne veut plus entendre parler de moi, ça n'a rien de glorieux.
Il se penche un peu et hausse les épaules.
— Toujours plus glorieux que tabasser son meilleur ami, dit-il amusé.
Il sourit ce qui fait remonter la cicatrice au coin de son œil.
— Ancien meilleur ami, corrigeais-je sur le même ton.


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