22. Scott

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Nora me tire par le bras comme un gamin. Je déteste ça. Elle veut parler. Mais moi je veux boire. J'aime cette façon qu'elle a de communiquer et toujours crever l'abcès, mais pas ce soir. Ce soir je n'ai pas envie de discuter. Elle m'entraîne jusqu'à la première pièce qu'elle trouve, ce qui se trouve être une salle de bain. Elle ferme derrière elle et se plante devant moi, la mine fermée.
— Je t'ai dit que tu étais jolie ? Demandais-je pour détendre l'atmosphère.
Elle ne bouge pas d'un centimètre et répond un simple « oui tu me l'as dit ». Ça va être plus compliqué que prévu. J'essaie de la détendre en la tirant contre moi, je suis content d'être là ce soir, malgré tout. Elle n'a pas idée à quel point sa présence peut me détendre immédiatement. Elle se relâche un peu et se laisse attirer. J'humecte son parfum et l'odeur de son shampooing, peut-être que j'aurais simplement dû la prendre dans mes bras au lieu de boire. Elle relève sa petite tête vers moi, les yeux toujours remplis d'inquiétude. Je n'ai rien fait de mal à part boire un verre ou deux, je ne comprends pas.
— Je veux t'embrasser, dis-je en me mordant les lèvres.
Nora est définitivement mon point faible, je ne peux pas faire marche arrière. Mis à part me mentir à moi-même il n'y a rien que je puisse faire contre ça.
— Tu empestes l'alcool, répond-t-elle d'un air dégoûté.
Un sourire s'étire sur mes lèvres, surpris de sa remarque. Je ne peux pas sentir l'alcool, je déteste l'alcool et je déteste les gens qui en boivent. Je porte mes doigts à mes lèvres et réalise qu'elle a raison. J'ai bu ce soir, et je pue l'alcool à un kilomètre à la ronde. Je ne sais pas quoi dire alors je me contente de rire. Si on m'avait dit que moi, Scott, je serais ivre un jour je n'y aurais pas cru. Et pourtant me voilà. Je ne comprends pas tout cet intérêt autour de ça. Ce n'est pas bon, c'est cher et ça vous fait un peu tourner la tête.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Insiste Nora.
Elle n'est pas en colère contre moi, heureusement. Elle essaie de comprendre ce qui m'arrive et c'est vraiment gentil de sa part. Mais elle ne peut pas comprendre. Elle ne peut pas et n'y arriverait pas même si elle essayait. Même si je lui explique. Parce que ce n'est pas simple d'expliquer ce genre de choses à quelqu'un parce que même si les gens pensent comprendre, ils sont à des années lumières de comprendre. Tu ne peux pas expliquer à travers des mots ce qu'il se passe vraiment. C'est trop abstrait, trop loin de la vérité. Trop loin de toutes ces heures à pleurer, trop loin de toute cette angoisse, de toute cette peur, de tous ces gestes, de toutes ces nuits, de toutes ces années. Personne ne peut comprendre. Pas Kate, pas Oliver, pas Nora, ni même mon psy. Et pourtant, ils sont tous là à me demander de parler, et à me dire que les choses s'arrangent et qu'ils sont là. Ils le sont maintenant mais ils ne l'étaient pas à l'époque, quand j'étais seul et que je souffrais et quoi qu'ils fassent aujourd'hui ça n'effacera jamais tout ça. Peu importe à quel point je le veux, peu importe à quel point j'essaie. Ça fait partie de moi. Et si j'essaie d'oublier, si j'essaie d'être heureux. J'en rêve et si je pense que les rêves ne sont que des manifestations stupides de mon esprit, j'apprends que mon père revient, qu'il sort de prison et que je n'ai définitivement pas le droit d'être heureux.
— Viens on se casse, lui dis-je.
Nora se recule d'un pas et me regarde comme si je venais de dire le truc le plus débile du monde.
— On se barre, on va regarder les étoiles, juste tous les deux.
Elle secoue la tête et me demande d'arrêter de dire n'importe quoi.
— C'est la soirée de Danna, c'est mon amie. Je ne peux pas la planter parce que tu es bourré et que tu as décidé de partir. Si tu veux partir, vas-y tout seul.
Je prends une longue inspiration, déçu. Elle me fait redescendre sur terre, je suis stupide, mes idées sont stupides. Non elles ne le sont pas, je ne suis juste pas cohérent, Nora à raison. Elle ne peut pas partir comme ça, sans rien dire.
— Tu sais Nora...
Je m'arrête instantanément de parler, pris d'une terrible envie de vomir. Nora remarque que quelque chose ne va pas.
— Les toilettes sont là !
Je m'y précipite et m'agenouille devant avant de rendre absolument tout ce que j'ai bu. Ça me brûle tout l'œsophage et j'ai l'impression que ça ne va jamais s'arrêter. Ça me rappelle un terrible souvenir qui m'a conduit à l'hôpital quand j'avais neuf ans. Mon père avait laissé un verre de vin rouge traîner. Et je voulais y goûter, j'en ai donc bu une gorgée et j'ai trouvé ça dégoûtant. Malheureusement ma mère est arrivée au même moment, alors que j'avais le verre encore dans la main. Elle m'a bousculé et ça a fait tomber le verre qui a éclaté par terre. Le bruit a alerté mon père. Quand il est entré dans le salon, il a cru que j'avais cassé le verre de moi-même. Ma mère n'a pas rétabli la vérité, au contraire, elle a précisé que j'étais en train de le boire. Mon père m'a traité de sale petit voleur et m'a assuré qu'il allait me passer l'envie de boire. Alors il m'a servi un autre verre et m'a forcé à le terminer. Quand je l'ai fait, il m'en a servi un autre. Je me suis mis à pleurer, en disant que j'étais désolé mais que je ne voulais plus boire. Il a répondu qu'il ne voulait rien entendre et m'a forcé à le boire à nouveau. Je n'en pouvais plus et je me suis mis à vomir. Ce qui a mis mes parents dans une colère noir. Je pleurais au point de ne plus pouvoir respirer, j'ai commencé à hyperventiler. J'étais désolé et je voulais que ça s'arrête. Je voulais juste que ça s'arrête. Mais il m'a fait encore boire, jusqu'à que j'arrête d'avoir des hauts le cœur et que je ne vomisse plus. Ça a pris beaucoup de temps et je crois qu'il m'a fait terminer la bouteille. J'ai ensuite été pris d'un terrible mal de ventre, je me tortillais dans tous les sens en gémissant. J'essayais d'être silencieux parce que je ne voulais pas être puni. Mon père a fini par m'emmener à l'hôpital. Je ne sais pas trop ce qu'il a raconté pour expliquer ce qu'il s'était passé mais il s'en est sorti avec une bonne excuse. Quand je suis rentré à la maison je n'ai pas eu le droit de manger pendant deux jours et demi, soi-disant sur ordre des médecins. Mais je crois que c'était pour me punir à nouveau.
La tête dans les toilettes, le ventre totalement vide et ma bouche sèche, je me rends compte de l'état pitoyable dans lequel je suis. Nora est à genoux à côté de moi à me demander si je vais bien.
— Je vais aller te chercher de l'eau, chuchote-t-elle en me caressant le dos.
Elle disparaît et les minutes suivantes m'ont paru être une éternité. Je voulais qu'elle revienne et simplement m'excuser d'être un gros naze. Je veux lui dire que ce n'est pas ma faute et que c'est parce que j'ai peur. J'ai peur que mon père sorte et qu'il m'arrache aux Jones, comme il en aurait la possibilité. J'ai peur de devoir partir de chez eux, d'ici. De les quitter, eux, Roméo, elle. J'ai réalisé à quel point je détestais mon père quand j'avais espéré chaque soir de me réveiller et le trouver mort, dans son vomi. Ça ne signifiait qu'une chose : la fin de mon cauchemar. Et même encore aujourd'hui, chaque fois que j'entends le téléphone de la maison, j'espère au fond de moi apprendre qu'il est enfin parti, que Kate et Oliver me demandent de venir dans le salon, qu'ils s'assoient tous les deux. En face et à côté de moi, l'air grave et qu'ils me disent ses mots : « On est désolés, ton père est mort. » Je crois que je ferais semblant d'être un peu triste, pour la forme. Mais je sais que ce jour sera définitivement celui de ma liberté.
Nora est revenue. Je suis assis, les yeux dans le vague. Elle tient un verre d'eau qu'elle me demande de boire. Je le fais et me tourne vers elle. Elle est si attentionnée, si patiente, si parfaite. Je ne mérite pas ce qu'elle fait pour moi. Elle devrait me laisser ici, tout seul à méditer sur le fait qu'il ne faut pas boire autant d'alcool quand on ne boit jamais.
— Merci, dis-je simplement.
Elle me sourit, même après m'être comporté comme un sale con elle accepte de me sourire. La porte de la salle de bain s'ouvre, Mindy entre et lance à Nora que Danna la cherche partout. Nora me regarde, tiraillée entre l'envie de retrouver son amie et de rester avec moi.
— Va rejoindre Danna, je vais rester quelques minutes ici pour me reposer, annonçais-je sûr de moi, ce carrelage est confortable.
Je souris pour lui faire comprendre que tout va bien et qu'elle peut retourner à sa soirée sans se soucier de moi. Elle me laisse le verre d'eau et se relève avant de passer la porte. Je reste là de longues minutes en silence, je crois même que j'y reste presque une heure. Puis quand je sens que l'alcool est enfin redescendu, je me lève et me traîne en dehors de la salle de bain. Je m'avance vers les gens et cherche Naveen du regard. Il est avec Mindy, je crois qu'ils sont à deux doigts de s'embrasser. Puis je regarde la foule et trouve enfin Nora, elle se trouve aux côtés de Danna, un verre à la main. Elles discutent avec une autre fille que je n'ai jamais vue de ma vie. Je ne sais pas de quoi elles parlent mais Nora semble vraiment intéressée par ce qu'elle raconte. Je me complais à simplement la regarder. Je n'ai pas envie de lui gâcher le reste de sa soirée. J'ai encore trop d'alcool dans le sang pour conduire et je ne veux pas casser son coup à Naveen. Je pense que je vais aller un peu marcher, ça ne peut me faire que du bien de prendre l'air frais. J'enverrai un message à Nora pour lui dire que je suis rentré parce que je n'étais pas dans mon assiette, elle comprendra et n'aura pas à se soucier de moi.
Danna vit dans la partie la plus riche de notre quartier, là où il faut un badge pour ne serait que rentrer dans la rue. Je descends donc cette fameuse rue en espérant que les grilles d'entrée soient toujours ouvertes pour que je puisse repartir. Danna a laissé l'accès libre ce soir pour sa fête. Les maisons sont plus luxueuses les unes que les autres, je me demande quel genre de métier font les gens qui vivent ici. Les voitures valent plus cher que n'importe quelle maison du quartier où je vivais gamin. L'une d'elle vient se garer, c'est une Porsche toute neuve. Ou alors très bien nettoyé, je ne saurais pas faire la différence. L'enfoiré qui conduit cette voiture doit vraiment avoir un sacré paquet de fric. En parlant du loup, l'homme sort de la voiture.
— Sympa la caisse, fis-je remarquer.
En temps normal je n'aurais jamais fait cette remarque, et je crois qu'elle se voulait sarcastique mais je n'ai pas réussi à y mettre le bon ton. Il faut vraiment être un putain de snobinard pour avoir ce genre de voiture.
— Tu n'es pas supposé faire la vaisselle toi ?
Son visage est désormais éclairé par les lampadaires. Camden. Évidemment que Camden vit dans cette rue, évidemment qu'il conduit une voiture de connard.
— Non je ne fais pas la vaisselle, j'étais à une soirée.
Je ris pour moi-même.
— Une soirée à laquelle tu n'étais pas invité.
Il ne semble pas trouver ma blague drôle, ce n'est d'ailleurs pas vraiment une blague, je ne sais pas pourquoi je rigole.
— Laisse-moi deviner, maintenant que t'es le mec de Nora elle te traîne aux soirées de ses supers copines ?
Je m'apprête à répondre que je ne suis pas son mec, mais j'aime ce titre et j'aime le fait que Camden puisse le penser et être jaloux de moi.
— Je ne t'envie rien. Ta vie est minable.
Il sourit et fourre ses mains dans ses poches.
— À ton image.
Je hausse les épaules et lui réponds que je n'ai absolument rien à foutre de ce qu'il raconte. Je n'ai rien à lui envier non plus.
— Le seul truc que tu auras réussi c'est te taper une fille facile, ce n'est pas vraiment un exploit.
Je fronce les sourcils.
— Parle pas de Nora comme ça.
Il sait qu'il a touché un point sensible et il compte bien jouer dessus.
— Tu ne veux pas que je dise que c'est une fille facile ? Ok, je peux dire que c'est une salope alors.
Je déteste entendre ces mots sortir de la bouche de quelqu'un en temps normal. Mais d'autant plus quand il s'agit de Nora. Je sais qu'elle s'en ficherait, mais elle n'est pas là pour se défendre.
Je décide d'être plus intelligent et de le laisser parler dans le vide, c'est sa frustration qui lui fait dire tout ça, et j'ai envie de rentrer de toute façon. Je passe devant sa voiture et lui lance d'aller dormir.
— Oh tu n'es pas marrant, tu ne veux pas terminer ce qu'on a commencé l'autre fois ?
Je m'arrête et souffle, agacé. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que les gens soient stupides ? Je suis bourré, Camden me tape sur les nerfs et alors que j'essaie d'être civilisé et réfléchi, il continue.
— À moins que t'aies peur ? Ton petit copain de la dernière fois n'est pas là pour te défendre ?
Il regarde tout autour de lui comme pour prouver que nous sommes entièrement seuls. Je reste planté là, à attendre qu'il réalise à quel point il a l'air ridicule, mais ça semble l'amuser d'autant plus. Il s'approche d'un pas et sort les mains de son jean pour me pousser. Je fais un pas en arrière et lui demande gentiment d'arrêter. Il sourit et voit qu'il va finir par gagner. Il me pousse à nouveau un peu plus fort. Je prends une grande inspiration et serre la mâchoire.
— Je ne ferais pas ça à ta place, insistais-je.
C'est trop tard, j'ai envie qu'il recommence à nouveau, j'ai envie qu'il me pousse encore une fois parce qu'il est déjà allé trop loin et que je suis lancé. Évidemment Camden est prévisible, alors il me pousse à nouveau, ce qui me fait presque perdre l'équilibre.
— Qu'est-ce qu'il va faire le serveur ? Dit-il en se marrant.

Désolé. 

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