StoneFolk

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Milan Lazsco approchait de l'objectif. La température s'était légèrement élevée, des vibrations montaient des parois. De même, le sol du boyau rocheux était usé par de nombreuses traces de passage, et maintes odeurs indiquaient qu'il n'était pas le premier ce soir.

Peu de temps après, son tunnel étroit rejoignit un couloir plus large où avançaient d'autres visiteurs. Humains, excités par la perspective de passer un bon moment, ignorant probablement les dangers qu'ils couraient. Certains venaient ici en connaissance de cause, on les appelait les éveillés. D'autres en revanche étaient parfaitement néophytes ; tandis que d'autres encore ne ressortiraient jamais...

Milan se glissa dans le flux, en effrayant quelques jeunes gens au passage, par l'aspect et la rogne de sa détestable compagne, qui ne lui laissait pas un instant de répit. Les passants, sans être tout à fait certains de la nature de cette créature, ne demandèrent pas leur reste et s'éclipsèrent par un autre conduit.

Le couple mal assorti du vampire placide et de la goule énervée s'engagea dans le corridor principal, où la population s'accroissait. Vint alors le premier obstacle : les grilles d'enregistrement pour l'entrée vers les salles de StoneFolk. 

Des videurs arrêtaient ici la foule et la triaient. Ils subtilisaient systématiquement tout appareil électronique, ciblant prioritairement les outils vidéo comme les smartphones ou caméras. Même si peu de personnes avaient apporté leurs appareils, le bruit ayant couru qu'ils risquaient de les perdre en acceptant d'entrer, quelques uns tentaient l'aventure, sans succès. Leurs téléphones étaient glissés dans des sacs métallisés, numérotés, et stockés dans un grand local froid gardé par des individus très maigres.

De même, les vigiles renvoyaient carrément certains candidats à l'entrée ; ou emmenaient d'autres à l'écart, sous des prétextes inconnus. Ce n'était généralement pas très bon signe pour les individus en question.


La goule nazie tira à nouveau sur la chaîne, réagissant en passant à portée de trois de ses congénères, qui se battaient dans un renfoncement de paroi pour quelques morceaux de chair avariée. Milan la ramena et la présenta aux guichets spécialisés pour le jeu.

  – Nom, poids, catégorie, lui demanda-t-on.
  – Euh... Goering, fit Milan. 66 kilos tout mouillé, mais je le veux en division supérieure.

Le guichetier renifla d'un air méprisant, puis déclara :

  – 2000 dollars.
  – Les tarifs ont augmenté, constata Milan en alignant les billets.

Il ajouta une autre liasse équivalente.

  – Et une bonne place pour la voir gagner, dans les hauteurs. Évidemment, vous auriez pas un plan des salles... Non ? Pas d'audio guide non plus j'imagine.

Le guichetier tendit un billet d'inscription en grommelant un juron, Milan reprit sa goule et pénétra dans StoneFolk par un des axes principaux : le passage du vieil aqueduc.

L'espace d'un instant, à l'approche de l'antique construction de pierre, ce fut comme si le temps se dématérialisait. Milan Lazsco, en souvenir, se crut revenu cent ans plus tôt.


1905 - Voyage dans le passé

Des hommes d'affaire droits et dignes vont et viennent, en costume et chapeau haut de forme, sous l'éclairage des lampadaires souterrains, reliés par des câbles grésillants au réseau électrique en courant continu.

Plus loin, des brasiers alimentent les forges souterraines, où s'éreintent des centaines de travailleurs clandestins : des ouvriers chinois, des esclaves, essentiellement. Crasseux, les yeux hagards, malingres, vêtus de loques, dont les trous exhibent une musculature à la fois fragile et rompue aux travaux pénibles.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant