Le Repaire

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La fortification aperçue depuis le lac s'appuyait sur une falaise escarpée en affichant une architecture composite. Ses fondations se prolongeaient par de hauts remparts, à la manière d'une citadelle médiévale, de grands murs lézardés par le froid, en pierre brute. Mais sa tour principale, loin de ressembler à un donjon antique, s'érigeait à l'oblique, en s'élançant par dessus le vide dans une sorte de grand balcon moderne, soutenu par des arches blanches et vitrées.

C'est à l'intérieur de cet endroit pétri de contradictions que le cavalier et sa monture venaient de pénétrer, tandis que l'astre du jour se préparait à percer à l'Est.

Quelques instants plus tard, le cavalier sortit des écuries pour gagner d'un pas empressé la grande cour centrale de la citadelle. Sa combinaison noire était entrouverte au niveau du col. Débarrassé de son masque, son visage ne manifestait aucun signe de l'effort matinal qu'il venait d'accomplir. Pas la moindre goutte de sueur sur son front, nulle impression de fatigue. Ses traits étaient anguleux mais sereins. Sous des cheveux courts et sombres, ses yeux noirs manifestaient une forme d'insouciance.

Le cavalier noir escalada une double série de marches qui l'amenèrent sur le premier rempart extérieur. Le vide s'étendait à ses pieds, avec ses pans de falaise à pic. En bas se trouvait le lac partiellement gelé, et plus loin, les montagnes hérissées.

A cet endroit, la clarté du soleil levant le cueillit de plein fouet, décuplée par la blancheur des sommets voisins. Pris de court, il dut porter un bras devant son visage pour s'en protéger.

   – Vos lunettes, M. Lazsco...


Le cavalier saisit une paire de lunettes aux verres épais, aux reflets bleus irisés, tendues par une main venue de nulle part, et les enfila pour se défendre des lueurs célestes.

Celle qui venait de le secourir lui apparut au travers de l'ardente clarté : il s'agissait d'un grand personnage, très maigre. Une femme, japonaise, austère, vêtue d'un complet gris strict et fonctionnel.

  – Letsu... réagit l'homme en noir en distinguant la silhouette maigre dans le contre-jour. Merci, vous me sauvez la vie !

La grande femme japonaise avait un visage asexué, sans âge. Derrière le fond de ses yeux ternes se nichait une espèce de dureté impénétrable, héritée d'une existence aride. De celles dont héritent les montagnes.

  – Un oubli sans doute, dit-elle froidement en indiquant la paire de lunettes.
  – J'ai été retenu plus longtemps que prévu... par cette petite affaire, près du lac.

L'homme en noir ignora la moue réprobatrice de la majordome et préféra s'intéresser au plateau argenté qu'elle lui tendait, comportant une enveloppe impeccablement pliée, adressée au nom de "Milan Lazsco".

  – Du courrier... s'exclama-t-il sur un ton un peu forcé, ça faisait longtemps !

Milan Lazsco, puisque donc c'était son nom, saisit l'enveloppe. La majordome s'inclina poliment, mais ne partit pas, comme son hôte aurait pu s'y attendre. Si bien qu'il consulta le message en sa présence, sous son regard à la fois fermé et insistant.

Comme il laissait échapper un froncement de sourcils à cette lecture, l'austère japonaise s'enquit d'une voix policée :

   – Un problème ?
   – Une mauvaise nouvelle... oui... triste nouvelle... répondit l'individu avec un trouble qui effaçait l'insouciance de son regard. Je crains devoir écourter mon séjour.

Milan Lazsco rangea la lettre dans sa combinaison et retrouva le sens des priorités. Il demanda :

  – Est-ce que Célia... ?
  – Mademoiselle attend sur la terrasse du donjon, répondit la majordome en devançant sa question. Elle a fait demander son petit-déjeuner.
  – Vraiment. Elle est matinale aujourd'hui.
  – Plus que ça.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant