Mission suicide

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  – Une goule néo-nazie... déglutit Werther.

Le fonctionnaire des renseignements observait le manège de la goule avec dégoût, fasciné en même temps, incapable de se détacher de cette vision. La créature se lançait avec fureur contre les parois en verre incassable d'une des cellules souterraines du Manoir. Elle avait vaguement l'allure masculine sous sa peau craquelée, et possédait des cheveux blonds, presque blancs, rasés, ainsi qu'une boucle d'oreille en forme de croix gammée incrustée dans le nez - sans parler des crocs proéminents entre ses lèvres décharnées.

  – C'est étonnant de se dire qu'il y a finalement des types que ça dérange moins de voir transformés en goules, ajouta-t-il.

Milan ne répondait pas. Il observait la créature livrée par l'initié Huga Alsttor dans la soirée, les pupilles de ses yeux figés dans un regard sans teint.

Werther se rapprocha de lui. Il avait encore quelques appréhensions à l'idée de côtoyer une créature aussi dangereuse qu'un vampire, et ne se sentirait probablement jamais totalement à l'aise en sa compagnie, mais il était désormais capable de passer outre cette sensation pour collaborer. La relative sociabilité dont avait fait preuve Lazsco ces derniers jours atténuait quelque peu ses craintes. Et puis il était tout bonnement trop curieux pour s'empêcher de revenir, sans cesse, à la charge...

  – Ce n'est pas très clair pour moi, fit-il. Cette créature... c'est ce qu'on appelle un mort-vivant, n'est-ce pas ?

  – Le terme de mort-vivant n'a pas de sens, dit Milan. On est soit mort, soit vivant. L'individu hôte a été en quelque sorte effacé par la dégradation de son cerveau. Mais la goule, elle, est vivante, à sa manière.

  – Vous voulez dire que l'humain est mort, puis il a ressuscité en goule, c'est ça ?

  – Oublie ce que tu crois savoir, Werther. Avant d'être une goule, ce type était comme toi et moi - enfin, plutôt comme toi. Il a été mordu, son corps a été empoisonné, la plupart de ses organes se sont atrophiés, mais une partie de ce qui le constituait a survécu : certains éléments de son cerveau reptilien, de son système nerveux, ses muscles, ses sens... Plutôt que de mourir, après l'action du poison, il s'est transformé en quelque chose d'autre.

  – Mais alors... je suis désolé, vous allez me prendre pour un idiot, mais les vampires, eux, sont des morts-vivants ?

  – Non plus ! Nous sommes une espèce résultant de la métamorphose d'humains au contact de substances dont j'ignore tout autant la nature que l'origine, si ce n'est qu'elle est ancestrale et aussi mystérieuse que l'apparition de la vie elle-même.

  – Alors la différence entre les goules et vous, c'est la "substance" utilisée ? Reconnaissez tout de même qu'il y a de nombreuses similarités... la dentition, l'appétit pour le sang, le côté prédateur, la crainte de la lumière...

  – Seulement, les différences sont plus importantes que les ressemblances. Chez les goules, la contamination se transmet par la morsure, et fait effet rapidement, comme un poison. Il en résulte une créature primitive qui pourrait être associé aux fameux zombies de la pop culture. Tandis que chez les vampires, seul le sang porte les germes d'une possible métamorphose. Le processus est long et coûteux.

  – Une possible métamorphose ? répéta Werther, semblant n'avoir entendu que cette partie de la réponse. Vous voulez dire qu'elle n'est pas systématique ? 

  – En effet. La plupart des humains qui subissent cette contagion le paient de leur vie, sans passer par la case transformation.

  – Seuls ceux qui supportent la métamorphose survivent... fit Werther en ouvrant de grands yeux. Vous êtes un peuple d'élus.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant