Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021

La Reine et le Fou

Majestueuse tour de verre et de béton, bardée de métal doré, la Golden Tower Bank culminait à trois cent deux mètres d'altitude, au cœur même de Manhattan. C'est dans ce temple de la modernité, aux deux-tiers de sa hauteur, que la Ruche avait élu résidence.

Lorsque l'unique ascenseur s'arrêta à l'étage du Sanctuaire, et que les portes de métal s'ouvrirent sur la silhouette isolée de Milan Lazsco, celui-ci se retrouva face à une horde de vampires armés de sabres-baïonnettes qu'il reconnut aussitôt comme les hussards de Salem.

Au milieu de ces troupes se dressait la silhouette à la fois spectrale et volcanique de Soura Baïa, dans une robe d'un blanc immaculé, sa coiffure surmontée de cheveux hérissés. Ses yeux remplis de cristaux brillaient d'une lueur vaguement violacée, intense. Face à elle, la silhouette de Milan paraissait minuscule et fragile, frêle esquif face à l'ouragan...

  – Quel Démon vous amène en ce lieu, Milan Lazsco ? gronda la puissante créature.

  – Je suis sûr que vous allez rire... je passais dans le voisinage et je me suis dit... tiens ! Si j'allais me faire offrir une tasse de thé !

  – Il y a une folie en vous, que j'ai perçue dès le premier regard, dit la Reine d'une voix sourde. Il me suffit d'un geste pour vous écraser comme un insecte.

Milan mit fin aussitôt à son attitude provocante pour s'agenouiller avec humilité devant la maîtresse de la Ruche.

  – Je le sais, dit-il en s'inclinant. Ne prenez pas ombrage de cette folie, ma Reine, je suis votre serviteur. Si je me présente devant vous sans craindre pour ma vie, c'est seulement parce qu'à présent, j'ai compris pourquoi vous m'avez accueilli, dans la Ruche, avec tant d'égards.

  – Vraiment !

  – Vous n'avez pas été surprise de me voir, en réalité. Vous m'attendiez, parce que vous avez dès le départ repéré en moi un allié potentiel. Chandrasekhar, bien que trop tard, a compris que vous luttiez en réalité contre un ennemi commun. Vous ne l'avez pas contaminé, il a rejoint volontairement vos rangs, jusqu'à sa perte. Ce n'était pas vous, l'ennemi, c'était l'autre Ruche... C'est pourquoi, dans l'Arène, vous m'avez protégé : vous pensiez que je poursuivrais son œuvre.

Seul le silence répondit à ces paroles. Milan esquissa un rictus et conclut sur ces mots :

  – Il est vrai que j'ai été un peu lent à comprendre... mais c'est dans ce but que je me présente à vous aujourd'hui.

  – Admettons que je porte le moindre crédit à ces divagations, gronda Soura Baïa. Comment proposez-vous de mener à bien ce que ni lui ni moi n'avons réussi ?

  – A défaut de vous livrer l'ennemi, je peux vous mener à son arme.

Les yeux de Soura Baïa se mirent à briller comme les vitraux d'une cathédrale gothique. Ils donnaient l'impression de cristalliser et décristalliser alternativement dans leur gangue.

  – Ainsi donc, vous savez, pour leur arme.

  – Absolument... Je suis même venu ici chercher le dernier ingrédient.

Le regard de Soura Baïa avait encore gagné en intensité.

  – Quel jeu jouez-vous, Milan Lazsco ?

  – Si je vous le disais, ça perdrait tout son charme.

Milan se retrouva projeté brutalement dans la cellule où Célia se trouvait prisonnière, par plusieurs hussards de Salem. Il tomba comme elle l'avait fait du plafond et heurta le plancher de métal avec violence à son atterrissage.