Les Sentinelles

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Josepha Carater descendit les marches humides des caves de la villa fortifiée des Barnum pour longer un couloir sombre creusé dans la pierre, sur les murs duquel s'échelonnaient les portes blindées de cellules souterraines.

La journaliste était vêtue plus sobrement qu'à son habitude : pantalon cargo beige et veste safari de la même teinte. Elle semblait concentrée, bien loin des caméras ou des intrigues médiatiques. Pour autant, elle paraissait ici au moins aussi à l'aise que sous les projecteurs.

L'une des portes s'ouvrit à sa demande, les gardiens la laissèrent pénétrer dans la cellule, sans toutefois oublier de prodiguer leurs recommandations.

Josepha Carater les ignora, et une fois dans la cellule, porta son regard sur la silhouette avachie dans un coin sombre.

  – Milan ! s'écria-t-elle. Je suis venue dès que j'ai appris. Sortez-le immédiatement ! commanda-t-elle aux gardes. Je suis désolé, Milan...

Comme les gardes hésitaient, Josepha insista avec force.

  – Vous avez entendu, ôtez ces chaînes, il vient avec moi.

Les gardes finirent par obtempérer en dépit de leur mauvaise volonté. Milan se laissa détacher. Josepha l'étreignit alors de ses bras.

  – Je suis désolée, vraiment... Que s'est-il passé ?

En même temps, au contact des vêtements encore humides et malodorants du vampire à l'allure misérable, elle obtint la réponse à sa question. Tandis que Milan de son côté, qui n'avait pas mis la même effusion qu'elle dans l'accolade, prit ses distances dès qu'elle le relâcha.

  – T'as pas lu les journaux ? demanda-t-il. J'imagine pourtant que ça a dû faire du bruit.

  – Tu sais bien ce que je veux dire. Tu étais là dessous... comment t'en es-tu tiré ?

  – On va dire que j'ai eu de la chance.

Josepha le gratifia d'un sourire d'excuse, auquel il ne répondit pas. Elle l'entraîna alors hors de la cellule.


Ils émergèrent des caves sous l'œil inquisiteur des vigiles et gagnèrent les cages d'ascenseur. Durant tout ce temps, Milan n'ouvrit pas la bouche.

Atteignant le premier étage, plus cossu que les caves, Josepha commanda des vêtements pour le prisonnier aux domestiques croisés dans le couloir, puis l'entraîna dans sa propre chambre.

C'était une pièce luxueuse, aménagée à ses goûts, dans laquelle elle avait ses habitudes. Ses effets et ses appareils photos remplissaient le lit. Un portrait la réunissant avec Chandrasekhar et plusieurs autres sentinelles, dont un vieil homme ressemblant vaguement aux neveux Barnum, trônait au-dessus d'une commode.

  – Tu as l'air d'être comme chez toi, ici, remarqua Milan. Je comprends mieux comment Belger et les Barnum ont pu être si bien informés sur mes activités.

Josepha perçut la rancune appuyée de ces paroles. Outre la sécheresse du ton que Milan avait employé depuis leur sortie des caves, et son manque de loquacité assez inhabituel, il n'en fallait pas plus à la reporter pour comprendre qu'elle n'était plus dans ses bonnes grâces.

D'un certain côté, elle pouvait comprendre sa colère, avec ce qu'il avait subi à StoneFolk. Mais elle avait de son côté accès à une vision plus globale des événements, dans laquelle toute chose avait ses raisons et toute action ses explications.

  – Il y a eu beaucoup de changements depuis la mort de Chandra, tu sais. Les alliances évoluent, et j'ai dû moi aussi faire des choix. Mais tu ne dois pas te fier aux apparences. Est-ce que tu veux prendre une douche ? On pourra discuter plus tard.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant