Jeux de Dupes

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De nombreuses heures s'étaient écoulées. La fin de la journée était passée, et la nuit aussi. Le soleil se levait à nouveau sur la propriété fortifiée des Barnum.

Milan ne bougea pas lorsque la porte de sa cellule dénuée de fenêtres s'ouvrit. Étendu sur la natte, les bras sous la nuque, il se contentait de fixer le plafond.

Josepha, en le trouvant là, fut comme propulsée dans le passé. Leur passé.


Milan, nu sur leur lit après l'amour, étendu sur les draps de soie, couché sur le dos, les bras sous la nuque. Josepha, beaucoup plus jeune quant à elle, caressant la poitrine glabre de son amant du bout de ses doigts. C'était un de ces détails futiles qu'elle avait appris en fréquentant les vampires : ils n'avaient pas besoin de s'épiler ! 

Josepha était une femme attirante et n'avait jamais manqué d'amants. Mais Milan était le seul vampire à son tableau de chasse, et pour cause, c'était probablement le seul avec lequel elle avait des chances d'être encore en vie à la fin de la nuit...

Les vampires faisaient partie de l'inconscient collectif, le caractère sexuel de ces créatures était souvent mis en exergue dans les récits. Ils étaient source à la fois de terreur et de fantasme, un mélange non seulement exotique mais aussi détonnant. 

Les recherches et les combats menés par les Sentinelles n'avaient pas vraiment pour objectif d'étudier les mœurs de ces créatures, plutôt de les éliminer, ou en tout cas de les empêcher de nuire. Cependant, rencontrer un véritable vampire - même si Josepha se doutait que Milan était une espèce un peu particulière de vampire, étant donné ne serait-ce que sa capacité à résister partiellement à la lumière du jour - avait attisé sa curiosité. 

Physiquement, Milan était peu différent des mâles humains. Sa peau était un peu plus claire, du fait qu'il ne s'exposait pas au soleil. Elle avait découvert qu'il craignait de la même façon les ultra-violets des appareils à bronzer. Il possédait des cheveux fins et soignés, mais était dénué de pilosité. Il se nourrissait comme eux, il faisait l'amour comme eux. Elle venait seulement de s'apercevoir qu'il ne transpirait pas.

Si l'on exceptait ces détails un peu superficiels, les différences avec les humains étaient davantage psychiques que physiques. Outre sa manière de penser, assez mystérieuse et impénétrable, le pouvoir de fascination de cet individu était considérable. Bien qu'il n'eut jamais cherché à en profiter sur elle, Josepha se sentait irrésistiblement attirée par son aura. Il semblait posséder une acuité mentale qui devait faire de lui un redoutable adversaire d'échecs. Il sentait et devinait grâce à des sens exacerbés ce que le commun des mortels n'imaginait pas.

Quant au sang, le fameux sang, il semblait pouvoir s'en passer : ses mœurs n'étaient pas aussi sanguinaires que ceux de la littérature. Non pas qu'il fut dépourvu de violence. Josepha l'avait déjà vu tuer, au cours d'une mission récente, il était capable de le faire sans le moindre état d'âme. Mais à ce détail près, il ne semblait pas aussi agressif que les autres vampires...

Josepha avait alors enfourché le corps de Milan Lazsco, puis porté ses lèvres fines contre celles de son amant. Les canines du vampire, au repos, apparaissaient de manière imperceptible : il ne cherchait ni à les exhiber, ni à les dissimuler.

  – Fais de moi une vampire, avait-elle demandé d'une voix langoureuse. Ta vampire.
  – Je ne crois pas que tu aimerais...

  – Pourquoi ? Parce que je serais obligée de vivre la nuit ? Ta résistance au soleil ne passerait pas dans mon sang ? C'est pas grave, je serais une reine de la nuit.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant