La Fosse

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Des hurlements, le martellement des pieds sur les gradins. Deux goules s'écharpaient dans la Fosse, sous les réactions enflammées des spectateurs, la plupart drogués, les autres aux mœurs naturellement sanguinaires.

Ceux qui avaient parié encourageaient frénétiquement les combattants, tandis que les autres se contentaient de jouir du spectacle, applaudissant chaque empoignade, chaque charge, chaque retournement de situation, plébiscitant cette forme ultime de violence.

L'attrait des masses pour la violence n'était pas récente, ni réservée aux humains. Le peuple de la nuit s'en nourrissait depuis l'aube des temps. A cette différence qu'ici, les filtres sociaux mis en place par la civilisation humaine pour atténuer la barbarie contenue dans chaque individu, n'avait jamais eu lieu. La sélection naturelle continuait à battre de son plein : c'était elle qui fixait les hiérarchies, dans lesquelles les vampires s'étaient imposés aux plus hautes marches.


Soudain, la plus grosse des deux goules attrapa son adversaire et l'entraîna contre les barrières de sécurité. Il y eut un craquement dont le volume surpassa presque la clameur déchaînée de la foule ; puis subitement, la tête de la perdante quitta le reste du corps.

La goule victorieuse se retourna vers la foule hurlante, les yeux injectés de traits sanguinolents, en brandissant la tête de son adversaire, dont il restait un morceau de colonne vertébrale souillée de sang qui pendait après la nuque.

La goule victorieuse regardait, hébétée, ces milliers de visages grimaçants dans les gradins, de formes gesticulantes. Elle regardait, mais ne voyait pas, et comprenait encore moins. Elle avait vaincu son adversaire, pourtant elle ne ressentait rien, elle n'avait plus accès à la moindre émotion, hormis cette esquisse de fureur primitive qui parcourait ses veines.

Cette foule, ce n'était rien de plus pour elle que d'autres proies éventuelles, ou des prédateurs ; devant les grilles de sécurité, elle grondait, sifflait, roulait des yeux aux orbites sanguinaires, tentant parfois d'en attraper un. Tuer, et éviter de se faire tuer, étaient désormais ses seules prérogatives.

La grosse goule tournait en rond dans sa cage en attendant un nouvel adversaire, sachant instinctivement qu'il viendrait - il en venait toujours. Elle avait remporté pas moins de huit victoires d'affilée, ce qui faisait d'elle la meilleure prétendante au titre de vainqueur de la soirée.

Milan, l'observant, ne pouvait qu'admirer sa puissance brutale. C'était une des goules les plus impressionnantes qui lui avait jamais été donné de voir. En matière de combativité pure, elle aurait sûrement donné du fil à retordre à un vampire.

Tandis que de l'autre côté, dans les gradins les plus prestigieux, son maître le comte Overclamf triomphait un peu plus à chaque victoire. Des félicitations et des messages admiratifs affluaient dans son stand, un petit homme chauve aux allures de gobelin les lui transmettait à mesure qu'ils arrivaient, le gargarisant de fierté.


Soudain son instinct le rappela vers la porte de la fosse. Le nouvel adversaire de la championne en titre se préparait. Les hauts-parleurs se mirent à hurler : "L'octuple championne Dasher contre Goering !"

Milan prit une inspiration à cette annonce. Sa goule au crâne rasé pénétra dans l'arène. Elle faisait bien deux têtes de moins que la goule Dasher, et pourtant elle semblait plus hargneuse encore que lui. Dès son entrée, elle fut acclamée par un groupe de vampires néo-nazis au front creusé par une croix gammée.

Sans faire de détail, Goering se jeta sur la goule Dasher. Il y eut un échange de coups fulgurants, puis tout à coup, après à peine dix secondes de ce combat meurtrier, d'un seul tranchant de la main, Dasher décapita la goule énervée.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant