Partie 1 : La Sentinelle

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Année 2012
Washington DC, USA



Jour 1

La nuit touchait à sa fin, les premières lueurs du jour pointaient au-dessus de la ville.

Deux fugitifs apparurent dans une ruelle obscure des faubourgs anciens de Washington. Leurs silhouettes jaillirent de nulle part et se matérialisèrent dans une bourrasque de vent, étreintes l'une à l'autre, sur les pavés de la ville, entre les vitrines blafardes et les poubelles débordantes, entourées d'une forte odeur d'ozone.

Ils semblaient blessés. L'un était âgé, l'autre plus jeune, mais tous deux paraissaient à bout de souffle ; et du sang se mêlait à leur étreinte. Tant le costume du plus ancien que la combinaison métallisée du plus jeune en étaient maculés.

Ils titubèrent sur quelques mètres avant de s'affaisser dans le renfoncement du porche d'une vieille bâtisse.

  – Je ne pourrai pas aller plus loin, laisse-moi... gémit le plus âgé.

Le plus jeune refusait cette perspective. Il semblait moins touché que son aîné, plus lucide également, quoiqu'il parut fatigué. Son visage étrangement privé de couleur était marqué par la sueur et l'amertume.  Arriver jusqu'ici lui avait coûté de nombreux efforts. 

Se redressant l'espace d'un instant, il dressa l'oreille et scruta la rue en arrière d'un regard inquiet. Une sorte de sifflement, lointain, mais dont il connaissait exactement l'origine, se fit entendre.

  – Tu ne peux rien contre eux... tu ne peux plus rien pour moi non plus, souffla le vieil homme affaissé dans le renfoncement du porche. Où que j'aille, ils me retrouveront.

A ces mots, le vieillard élargit un sourire faible et fataliste, dans lequel pointaient deux étroites canines entre des lèvres très pâles. Une vision inquiétante à laquelle s'ajoutait la lueur surnaturelle, vaguement violacée, de ses yeux.

Le danger se rapprochait : des silhouettes rapides, furtives, sombres comme la nuit, qui se glissaient de rue en rue en profitant de l'obscurité. Le jeune rescapé tira un revolver de sa tunique métallisée pour le pointer en direction des cris aiguës, quoiqu'il n'y eut encore rien à viser.

  – Je peux recommencer... bredouilla-t-il. Je peux vous emmener plus loin.

Son compagnon sembla se faire une raison. D'un geste faible, il pointa le sommet d'une vieille tour, dans les hauteurs de la ville. Pris d'un regain d'espoir, le plus jeune rangea son revolver et se pencha pour soulever à nouveau le blessé.

L'instant d'après, dans une grande bouffée d'étincelles et de vent, leurs corps parurent se désintégrer, ne laissant derrière eux qu'une intense odeur d'ozone.


De nombreuses silhouettes sinistres, dissimulées sous des capes d'un autre âge, aux traits de visage fuyants, s'agglutinaient au pied de la tour désignée peu de temps avant par le mourant. Elles cherchaient une entrée, désespérément, elles s'agitaient comme des insectes face à un obstacle, un danger, dans une sorte d'effervescence chaotique et sifflante.

Soudain, elles s'apaisèrent. Une ombre était apparue dans leur dos, qui immédiatement les avait ralliées à sa cause.

C'était un personnage qui semblait d'un autre âge, lui aussi. Un homme au regard froid comme la mort, au port aristocratique, pourvu d'une canne noire d'ébène et le visage affublé d'un monocle rond.

  – Montez ! ordonna-t-il.

Aussitôt, les créatures se jetèrent sur les murs de pierre. Comme des insectes, dans le même mouvement rapide et grouillant, elles se mirent à gravir l'immeuble sans paraître entravées par la gravité.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant