La Ruche

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Milan n'eut pas besoin de se faire prier. L'aura de la Maîtresse vampire était telle qu'il n'eut pas à feindre cet acte de respect, il lui vint comme un automatisme, un stimulus, depuis longtemps assimilé par son essence même.

En la découvrant, Milan comprit à ce moment combien ils avaient sous-estimé cette Ruche, tous autant qu'ils étaient. Soura Baïa ne semblait guère avoir à envier à Murnau. Par le fait, la Ruche ne comportait pas un, mais deux maîtres : un Roi et une Reine !


La Reine Soura Baïa trônait au sommet des marches, droite, immobile, et n'avait pas à exécuter le moindre geste pour éclabousser la communauté de son influence. C'est autour d'elle que toute cette société s'organisait. Tout ce qui se passait dans l'Arène n'avait aucun autre objectif que de s'attirer ses faveurs ou de ravir la place de ses favoris.

Les vampires s'inclinaient à ses pieds : les plus faibles, à la fois effrayés et attirés par son aura, se contentaient de contourner son territoire, de l'effleurer parfois du regard, tandis que même les plus puissants hésitaient à la regarder ou s'adresser à elle.

Seuls l'approchaient les plus éminents membres de sa cour. Et les impudents qui lui étaient amenés pour subir sa sentence, comme Milan Lazsco.

Après quelques instants, la maîtresse vampire tourna vers les nouveaux arrivants son attention. Elle descendit plusieurs marches, en direction de Salem et son invité. L'un comme l'autre baissaient les yeux, aucun ne soutenait le regard de la maîtresse des lieux.

  – Ma Reine, déclara respectueusement Salem. Voici Milan Lazsco, il nous a permis de démasquer l'ennemi venu de Russie Orientale, et a émis le souhait de rejoindre la Ruche. Je soumets sa requête à votre sentence.

Soura Baïa ne répondit pas à cette demande. Elle s'adressa directement à l'intrus.

  – Le décor est-il à votre convenance ? demanda-t-elle d'une voix vibrante.

Ces paroles déclenchèrent des exclamations assourdies parmi les courtisans. De la jalousie, comprit Milan. Ils ne devaient pas avoir l'habitude de la voir s'adresser ainsi à des membres inférieurs ou étrangers à leur caste.

  – J'ai la sensation d'avoir brusquement changé d'époque, répondit-il, sur un ton empreint de respect.

Il comprit avoir employé le ton soumis qu'il fallait, car la maîtresse Soura Baïa descendit encore deux marches dans sa direction. Acte constituant en lui même une marque d'intérêt suffisante pour attiser la haine des courtisans.

  – J'ai toujours eu la nostalgie de ces temps où nous étions les maîtres du monde et n'avions à nous cacher de personne, déclara Soura Baïa. Pas vous ?

  – Je crains de ne pas avoir connu de tels temps...

  – Qui pourrait s'en vanter ? Mais cela n'ôte rien à la nostalgie. L'ère des Grands Empires, bien que révolue, restera à jamais gravée dans notre sang... C'était notre âge d'or. Jamais cet héritage ne nous quittera. Nous le porterons jusqu'à la fin.

Soura Baïa descendit une dernière marche. Elle se trouvait à présent en surplomb du malheureux invité, qui ne savait s'il devait s'en tenir à l'émoi provoqué par cette rencontre ou la sensation de se trouver à un cil de la mort.

  – Regardez-moi, ordonna la maîtresse vampire.

Milan trouva la force d'obéir à cet ordre, en dépit de la frayeur qui le remplissait. Dans cette posture, le regard de Soura Baïa sembla alors traverser le sien, comme si elle cherchait à sonder son esprit, comme lui-même l'aurait fait avec un simple humain. Les yeux intenses et cristallins changèrent plusieurs fois de teinte et d'aspect. Ils donnaient l'impression de se cristalliser dans leur orbite. Milan se sentit aspiré hors de son propre cerveau.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant