Les Muses

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Milan erra pendant un moment dans l'Arène, avec incertitude, sur ses gardes, en se demandant combien de temps il pourrait donner le change en ce lieu avant de subir les foudres de Von Troheim ou d'un autre groupe. Peu de vampires portaient dans leur cœur ceux d'entre eux qu'ils appelaient les déviants, nom donné aux vampires qui fréquentaient les membres de l'espèce humaine.

Sa position était plus grave encore qu'il ne l'avait supposé : son intrusion, et l'accueil étrangement hospitalier de Soura Baïa, semblait lui avoir aliéné la totalité des membres de l'assemblée. Et si cela n'avait pas été suffisant, le Baron Von Troheim, malgré son échec dans sa tentative pour le confondre publiquement, lui avait fait suffisamment mauvaise presse pour compromettre durablement ses chances de longévité en ce lieu.

Déjà il se sentait suivi...

Cependant il n'eut pas à s'en inquiéter : car c'est à cet instant qu'arrivèrent les tant attendues danseuses !


Aussitôt, l'ambiance des Thermes bascula. On l'oublia totalement. L'atmosphère s'électrisa. Des exclamations assourdies retentirent dans l'assemblée, quelque chose comme un vent de folie se répandit dans leurs rangs.

Treize danseuses approchaient, couvertes de voiles qui ne dissimulaient à peu près aucune partie de leur corps. Elles étaient humaines, et bien que très différentes les unes des autres, possédaient en commun une indéniable beauté, quoique peut-être étrangère à la sensibilité humaine.

Elles étaient pâles et très minces pour la plupart, n'affichant aucune de ces peaux bronzées, ces hanches ou poitrines proéminentes, qu'affectionnent les mâles ou femelles de leur espèce. Elles pouvaient ressembler à ces modèles trop sophistiqués que seuls les artistes les plus extravagants plébiscitent, des espèces de créatures androgynes asexuées, bien qu'aucune ne fût très jeune. Ce n'étaient pas des filles, mais des jeunes femmes dans la plénitude de leur beauté.

Cette description ne parvenait pourtant pas à donner justice à l'attraction qu'elles exerçaient sur les vampires. Peut-être était-ce leur beauté spectrale, cette espèce d'évanescence, ce mélange de charme astral et d'absence...

Leur « absence » n'avait rien en commun avec les expressions sans vie des humains amenés en ce lieu par les vampires dans le but de les dévorer. Ces derniers étaient vidés de leurs émotions par la peur et la puissance psychique des vampires, afin d'éviter cri, panique, ou tentative de fuite. Depuis toujours les vampires possédaient ce pouvoir hypnotique qui leur permettait de fasciner les êtres humains.

Mais ce n'était pas ce pouvoir à l'œuvre à ce moment, ce n'était en aucun cas le vide qui hantait les orbites des jeunes danseuses androgynes : la fluidité spectrale de leur démarche, la grâce de leurs gestes, ne signifiaient en rien qu'elles fussent sous emprise, sinon de leur propre transe. On devinait que leur état de grâce était une caractéristique de leur personnalité, une de celles qui justement les avait amenées en ce lieu.

Milan n'était pas indifférent à leur charme, loin s'en faut ! A l'instar de ses congénères, qui se pressaient à leur rencontre, il suivait malgré lui. Tandis qu'elles se rapprochaient d'une sorte de scène entourée par des geysers de flammes vives au centre de l'Arène, il n'avait d'yeux que pour leur défilé.

En même temps, il se questionnait. Comment avait-on sélectionné ces créatures ? Étaient-elles des proies ou avaient-elles désiré se retrouver là ? On les adulait comme des déesses. Les vampires se jetaient à leurs pieds nus, certains s'évanouissaient à leur passage... Une telle vénération dépassait l'entendement.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant