La Terrienne

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Swift Gate - Virginie


Le parc naturel de Shenandoah s'étendait sur des centaines d'hectares sauvages à l'ouest de Washington, en pleine Virginie. C'était un lieu de tourisme renommé,  particulièrement à cette saison, pendant laquelle les randonneurs pouvaient profiter de la végétation renaissante.

Swift Gate n'était à l'origine qu'un hameau isolé à proximité de la route 33, constitué d'une poignée de maisons, mais un complexe touristique s'y était installé, faisant de ce lieu un site attractif.

Outre ses parkings ombragés, ses boutiques de souvenirs ou de restauration rapide, Swift Gate recelait surtout d'un joyau architectural créé par un riche armateur immobilier. Il s'agissait d'un bâtiment tout en courbes, hérissé de tourelles chromées, dont les finitions métalliques renvoyaient un kaléidoscope de chaque rayon de soleil, illuminant les rares bâtisses aux alentours d'une lumière prismatique.

Le bâtiment dressé sur un tertre montagneux avait pour nom « la Terrienne ». Devant son entrée principale, un panneau expliquait la genèse du projet offrant une représentation artistique du parc avant la construction. Un rocher géant occupait alors l'emplacement de l'édifice métallique...


C'était le milieu de la matinée lorsqu'un véhicule de sport décapotable orange et gris apparut dans le parking principal, en attirant sur lui de nombreux regards.

Le luxueux buggy se gara hors des places de parking, vers l'entrée du bâtiment, comme pour attirer encore davantage l'attention. Pendant les longues minutes qui suivirent, durant lesquelles le chauffeur demeura à l'intérieur de son véhicule sans en sortir, des commentaires admiratifs surgirent avec profusion autour du bolide.

Puis le soleil se cacha derrière une masse de nuages. Alors la portière du véhicule de sport s'ouvrit. Émergea un personnage digne et droit, pourvu de lunettes bleues et vêtu d'un costume dernier chic, tenant dans ses mains un caniche blanc.

  – C'est une Venturi ! l'apostropha un passant en s'extasiant devant le véhicule qui ressemblait à un buggy. Elle est incroyable, j'en avais vu que sur internet !

  – Navré de vous décevoir, c'est un mâle, répondit le conducteur en posant son caniche au sol pour le faire avancer dignement au milieu de la foule.


Milan Lazsco et l'animal pénétrèrent dans la galerie d'arts du bâtiment kaléidoscope, laissant derrière eux la foule de curieux.

Aussitôt, un jeune homme vêtu d'une tenue futuriste, métallisée, les accueillit.

  – Bienvenue à la Terrienne, Monsieur. Puis-je prendre vos effets ?
  – Certainement... jeune astronaute. Tenez.

Milan fourra le caniche dans les bras du jeune homme, puis avança tout droit dans la galerie, pour déambuler entre les toiles torturées en manifestant un enthousiasme débordant.

Avec un sans-gêne intrusif, l'énergumène prit à parti deux dames d'un certain âge, plongées dans la contemplation des œuvres de Carrie Vingam, qu'il parvint à faire fuir. Puis se mit à rire tout haut devant une autre toile. Et finalement se livra à un numéro si turbulent que la galerie se vida de ses visiteurs les plus guindés, avec des mimiques outrées sur le visage.

Le responsable le suivait partout en tenant avec précaution le caniche dans ses bras, embarrassé tant par le chien que le comportement indélicat du client.

Milan Lazsco : La Ruche - Wattys 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant