Chapitre 3 (Anthony)

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Le lycée Marello est un imposant bâtiment datant du 18ème siècle et construit dans le style néoclassique avec ses façades en pierre ancienne et son toit à deux versants parfaitement symétriques. Il est entouré par un parc de plusieurs hectares de verdure qui donne à l'ensemble de faux airs d'hôtel particulier. Incontestablement, c'est un bel endroit où il fait bon vivre. Ce qui ne m'empêche pas de le détester, car aussi beau soit-il, il n'a pour moi rien d'un paradis. Il est plutôt tout le contraire.

Chaque fois que je passe les portes de ce lycée, j'éprouve cette même sensation désagréable. J'ai les jambes flageolantes, ma respiration se fait plus difficile, des gouttes de sueur perlent sur mon front, ma vision se brouille et ma gorge se noue. Immédiatement, je me sens mal à l'aise. Immédiatement, je suis sur la défensive. C'est une réaction spontanée, presque viscérale. Quelque chose d'irrépressible et d'incontrolable. Je marche d'un pas fébrile dans le hall. Le dos voûté, la tête basse, les poings serrés, je fends la foule des élèves. Je n'ai de cesse de jeter des coups d'oeil craintifs autour de moi. A la manière d'un soldat lors d'une opération en terrain ennemi, je guette sans relâche les alentours pour y déceler une éventuelle menace. En l'occurrence, je n'en décèle aucune. Du moins pour l'instant.

Toujours sur mes gardes, je poursuis mon chemin jusqu'à un tableau d'affichage devant lequel se massent de nombreux lycéens. J'attends patiemment mon tour. Pas question de jouer des coudes pour passer devant tout le monde. Déjà que je n'ai pas la cote, je ne voudrais pas risquer d'aggraver mon cas.

Ce n'est que plusieurs minutes plus tard que j'accède au tableau. Mon cœur se met à battre plus farouchement dans ma poitrine à mesure que le moment fatidique approche. Je suis sur le point de découvrir la composition de ma classe. Assez vite, je trouve mon nom sur l'une des pages. Je suis en TES2, autrement dit en terminale économique et sociale, dans le groupe numéro deux. Je retiens mon souffle tandis que je découvre l'identité de ceux qui seront mes camarades de classe au cours de l'année qui vient.

Je parcours la liste et je ne peux retenir un sourire de satisfaction en voyant parmi les tout premiers noms qui la composent celui d'Eva Adaro. Je ne fais que penser à cette fille depuis qu'elle m'est apparue sur la scène du concert du lycée l'année dernière. Elle était si belle avec ses longs cheveux dorés, son regard perçant, son sourire envoûtant et sa robe rouge feu. Son attitude, cette manière qu'elle avait de se mouvoir dans l'espace et de communier avec le public, cette assurance qu'elle dégageait, sa voix suave et sensuelle. Tout chez elle m'a immédiatement captivé. Je crois que j'ai éprouvé à ce moment-là ce que les gens appellent communément un coup de foudre. Je n'exagère pas, c'est vraiment ce que j'ai vécu, un coup de foudre. Et depuis, je l'aime. Mais je suis lucide, je sais que cet amour est à sens unique. Une fille comme Éva ne peut pas s'intéresser à un looser comme moi. C'est aussi vrai et aussi incontestable que d'affirmer que la terre est ronde. Pour cette raison, j'ai fait de cet amour un secret et je garde mes sentiments pour moi. Je ne dois surtout pas les ébruiter. S'ils venaient à se savoir, ça n'augurerait rien de bon et cela aurait sans doute pour effet de m'attirer encore plus de problèmes que je n'en ai déjà.

Eva est dans ma classe et je m'en réjouis, même si je sais que je devrai me contenter de l'aimer de loin, d'un amour silencieux et anonyme. Mais au plaisir de la savoir en cours avec moi se mêle bientôt l'angoisse de constater que celui que je redoute le plus entre ces murs est aussi sur la liste. Il s'appelle Kevin Marsoud et il est pour une grande part responsable de mes déboires scolaires.

Kevin Marsoud a tout pour lui. Avec sa belle gueule, son sourire enjôleur, sa carrure athlétique et son charisme naturel, il pourrait volontiers se voir offrir un premier rôle dans une superproduction hollywoodienne. Et si on ne le voit pas un jour crever l'écran en tant qu'acteur, il le fera en tant que musicien, car en plus d'avoir un physique de mannequin, Kevin est aussi la rock star du lycée. L'année dernière, il a monté un groupe de musique qu'il a baptisé en toute humilité « The Rising Stars » et qui s'est vu décerner par les élèves le prix de la meilleure prestation lors du concert du lycée. Ce triomphe (car il s'agit bien de cela), ils le doivent en grande partie à Eva qui se trouve être leur chanteuse et qui, accessoirement, est aussi la petite amie de Kevin. Ensemble, ils forment le couple le plus populaire du lycée. Et même si ça me fend le cœur de l'admettre, je dois reconnaître qu'ils vont bien l'un avec l'autre. Je comprends qu'Eva puisse être attirée par ce garçon au charme ravageur tout comme je comprends qu'elle ait pu s'être laissée séduire par l'image de l'artiste torturé qu'il incarne. Kevin est remarqué, admiré, applaudi, et aimé de tous. Rien d'étonnant donc à ce qu'Eva soit tombée amoureuse de lui.

Kevin et moi, nous sommes de deux mondes différents. Il est tout, je ne suis rien. C'est ainsi et je l'accepte. Enfin, je l'accepte. Pas exactement. Disons plutôt que je me suis résigné à l'accepter. Je me suis fait à l'idée que ma place est dans l'ombre et que j'en serai réduit à regarder d'autres, de toute évidence meilleurs que moi, prendre toute la lumière et recueillir tous les honneurs.

Lorsque la sonnerie retentit, j'emboite le pas des autres élèves qui arpentent les couloirs pour se rendre en cours. A l'approche de la salle où ma réunion de rentrée doit avoir lieu, j'aperçois Kevin. Adossé contre le mur, il rit bruyamment avec les deux abrutis qui lui servent d'amis, David et Paulo. Mon état de stress franchit un cran supplémentaire. Mon cœur se met à battre à tout rompre dans ma poitrine et des sueurs froides m'envahissent. Je brûle d'envie de faire demi-tour, de prendre mes jambes à mon cou et de quitter ce lycée de malheur pour mettre le plus de distance possible entre Kevin Marsoud et moi. Mais je me rappelle de ma résolution. Je ne dois pas fuir. Ce serait donner raison à ces idiots et je ne veux pas leur procurer cette satisfaction. Alors je reste là, dans le couloir, les pieds solidement plantés dans le sol, les yeux rivés sur le bout de mes chaussures, croisant les doigts pour que le professeur arrive vite et que je puisse entrer dans la classe sans que Kevin et sa bande n'aient remarqués ma présence. Mais de longues secondes s'écoulent, et toujours aucune trace du professeur. Et quand enfin je le vois au loin qui arrive avec sa sacoche et son café, il est trop tard. Une main s'abat déjà violemment sur ma nuque et se met à la serrer si fort que je dois retenir un cri de douleur.

_ Regardez-moi ça, c'est ce guignol d'Anthony qui est de retour au lycée !

Kevin vient se poster face à moi. Il me fixe de ses yeux plein de méchanceté de la même manière que dans mes cauchemars, sauf que cette fois-ci tout est réel.

C'est parti pour une nouvelle année d'enfer au lycée Marello...

J'espère que ce chapitre vous a plu :) Qu'en avez-vous pensé ?
Un petit mot pour vous prévenir qu'à partir de maintenant je publierai tous les samedis (c'est plus simple pour moi que de publier les mercredis).
Prochain chapitre dès samedi prochain donc ;)

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