_ Jade !
A peine ai-je prononcé son prénom qu'elle se presse dans mes bras. Nous partageons une accolade à la fois enthousiaste et un peu gênée comme toujours lorsque nous nous témoignons notre affection. Et quand nous nous séparons, elle ajoute :
_ Ça me fait plaisir de te voir, tu m'as manqué cet été, tu sais ?
J'accueille ces mots avec un large sourire et je lui retourne le compliment. Elle m'a aussi beaucoup manqué et la perspective de la retrouver est encore la seule chose qui me donnait le courage d'affronter la rentrée des classes. Deux mois sans pouvoir lui parler ni la voir autrement que par écran interposé. Deux mois sans pouvoir rire à son humour décapant ni profiter de son oreille attentive pour lui confier mes tracas. Deux mois sans elle, c'est beaucoup trop long.
J'ai rencontré Jade à un moment où j'avais perdu foi en tout et où mon état psychologique était tellement mauvais que le simple fait de me lever le matin constituait une épreuve qui me semblait insurmontable. C'était l'année dernière. A la même période. Peu après la rentrée. J'étais assis seul sur un banc dans le hall, fixant le néant dans le blanc des yeux, ressassant les misères que m'avaient fait subir Kevin et ses amis, composant avec cette solitude qui m'accompagnait depuis toujours, et qui pensais-je alors, m'accompagnerait toujours, quand soudain quelqu'un était venu s'asseoir juste à côté de moi et avait entrepris de détromper cette prédiction.
_ Je ne vois vraiment pas ce que tu lui trouves.
C'est la première chose qu'elle m'a dite. Une phrase énigmatique qui avait de toute évidence vocation à exciter ma curiosité. D'ailleurs, ce but avait été atteint. Et après un instant d'hésitation, je lui avais demandé de quoi elle parlait. Du mur que je fixais, m'avait-elle répondu tout naturellement. Et en effet, je fixais encore et toujours ce mur blanc et décrépi, ce mur qui n'avait décidément rien de suffisamment remarquable pour justifier une telle attention. En réalité, je me fichais pas mal de ce mur. J'étais juste, comme souvent, perdu dans de sombres pensées. Cette drôle de fille aux cheveux pourpres, à l'air torturé et au sourire intelligent ne me connaissait pas mais était parvenue à deviner mon tourment. A croire qu'elle pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. D'ailleurs, encore aujourd'hui, il m'arrive de la soupçonner d'avoir ce pouvoir tant elle sait faire preuve de perspicacité.
Nous aurions pu nous en tenir à ce premier échange. Je pensais que nous nous en tiendrions là. Le seul fait que quelqu'un ait daigné m'adresser la parole autrement que pour se moquer de moi était déjà en soi un petit miracle. Alors de là à ce qu'il s'en suive une vraie conversation, je ne l'imaginais pas. Et pourtant, c'est bien ce qui s'est passé. Jade et moi avons discuté. Longtemps. D'abord dans le hall du lycée. Puis dans le bus qui nous ramenait chez nous, et c'est alors que nous avons pu constater qu'en plus de fréquenter le même lycée nous habitions aussi le même quartier.
Ce jour-là, nous avons fait connaissance. Et les jours suivants, nous nous sommes trouvés des affinités. Beaucoup d'affinités. Il faut dire qu'avec Jade nous sommes tous les deux des solitaires. Mais la solitude de Jade a ceci de différent de la mienne qu'elle est parfaitement choisie et assumée. Son caractère affirmé et son sens aiguisé de la repartie lui permettent de s'affranchir du regard des autres et de vivre comme elle l'entend. Je l'admire beaucoup pour cela, je l'admire d'autant plus pour cela que je suis totalement incapable de l'imiter. En ce qui me concerne, le regard des autres m'obsède, m'oppresse, et parfois me brise. Et j'ai beau faire, je ne parviens pas à m'en détacher. A l'évidence, je n'ai pas la force de Jade. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas car le fait est que très peu de gens ont la force de Jade.
Si nos personnalités s'accordent, il est une autre chose qui a grandement oeuvré à nous rapprocher : une passion commune. Une passion qui nous habite du matin jusqu'au soir. Une passion qui nous accompagne tout le temps et partout. Une passion qui nous tient debout quand ça ne va pas. Une passion qui nous fait vibrer et nous rappelle à la beauté de la vie quand elle nous semble moche. Une passion qui est en nous depuis toujours et qui y restera pour toujours. La musique.
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Anti Star
RomanceLes murs du lycée sont devenus un enfer pour Anthony. Depuis quelque temps, il est le souffre-douleur des autres élèves. Son quotidien est fait d'humiliations, de moqueries, et de coups bas. Il souffre en silence. Il ne répond pas. Ça ne ferait qu'e...