Chapitre 20 (Anthony)

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Le membre de l'organisation me conduit à travers un petit couloir jusqu'à une porte fermée sur laquelle il est écrit "Casting en cours, ne pas déranger". Il me dit d'attendre là que l'on m'invite à entrer. Et après s'être fendu d'un « bon courage » qui finit de m'affoler car je songe que s'il faut du courage c'est qu'il y a quelque chose à craindre ; il me laisse seul. Ensuite, plusieurs secondes s'écoulent encore. Je suis en train de me tourmenter face à cette porte que je redoute terriblement d'ouvrir quand soudain j'entends une voix qui s'élève dans la salle de casting. Ça n'est pas n'importe quelle voix. C'est une voix si pure qu'elle me semble venue d'ailleurs. Une voix d'une justesse incroyable et d'une puissance fantastique. Une voix vibrante d'émotion qui résonne jusque dans mon cœur et m'arrache des frissons à chaque note. Une voix qui lorsqu'elle monte dans les aigus m'envoie tout droit au septième ciel et qui lorsqu'elle redescend dans les graves m'emporte avec elle dans des abysses encore insoupçonnés. Sans aucun doute, cette voix est la plus belle qu'il m'ait été donné d'entendre. En fait, cette voix est sublime. 

Je m'arrache à ma torpeur. Le stress n'a momentanément plus de prise sur mon esprit tant ce dernier est happé par ce récital virtuose. Mon corps se détend, et je m'abandonne pleinement à cette interprétation stupéfiante de « Rolling in The Deep ». Le fan de musique que je suis brûle de savoir qui est cette chanteuse extraordinaire. Moi qui redoutais de voir la porte s'ouvrir sur la salle de casting, je n'attends désormais plus que ça. Je veux pouvoir mettre un visage sur la fille à la voix prodigieuse. Je tends encore davantage l'oreille pour essayer de capter la réaction du jury. J'entends des paroles étouffées. Et puis quelques applaudissements. Le jury applaudit. Évidemment, comment pourrait-il réagir autrement que par des applaudissements après cette performance remarquable ?

Retour du silence. La porte s'ouvre et enfin elle apparaît. La première chose qui me frappe chez elle, c'est sa beauté. Cette fille est à l'image de sa voix : sublime. Sa longue chevelure noire s'ouvre sur un visage aux traits fins et harmonieux. Ses lèvres roses contrastent avec la pâleur de son teint de peau. Ses yeux, plus bleus que le bleu de l'océan, sont parcourus d'une mélancolie qui la rend émouvante. En fait, il se dégage d'elle une fragilité bouleversante. Mais le sourire franc qu'elle arbore et sa démarche assurée sont là pour rappeler que derrière cette fragilité apparente, se cache une ambition assumée et bien réelle. Il ne faut pas s'y tromper, cette fille a tout pour devenir une star, et elle en est parfaitement consciente.

Elle passe devant moi, sans un mot ni un regard à mon attention. Cela n'a pas de quoi m'émouvoir car je n'en attendais pas davantage. J'ai beau être ici pour tenter de devenir un artiste, je n'en ai pour l'heure ni l'étoffe ni le rayonnement. Et je suis pour cette fille ce que j'ai toujours été : un invisible. Rien d'étonnant donc à ce qu'elle ne me remarque pas. 

Elle disparaît bientôt au détour d'un couloir et je me retrouve à nouveau seul. Face à moi, la porte est restée entrouverte. Je jette un œil timide en direction de l'intérieur de la salle de casting. De là où je me trouve, je ne peux voir des membres du jury que leurs pieds. Bientôt, l'un d'entre eux s'écrie :

_ Candidat suivant, si vous voulez bien entrer.

Ces quelques mots me font brutalement chuter du petit nuage sur lequel je me trouve depuis que j'ai entendu la fille à la voix prodigieuse en action. La réalité se rappelle soudain à moi et le stress qui semblait m'avoir quitté quelques secondes plus tôt me revient comme un boomerang en pleine figure. Si le passionné de musique que je suis n'a pu qu'adorer la prestation qui vient de s'achever, le candidat que je suis aussi ne peut raisonnablement pas se réjouir. Déjà que j'étais inquiet à l'idée de me présenter devant le jury. Devoir le faire dans la foulée de cette chanteuse au talent immense me terrifie littéralement. Je continue de penser que je ne suis pas suffisamment préparé pour ce pré-casting. Aussi, il est peu probable que je sois en mesure de livrer une prestation à même de rester dans les annales. Et quand bien même je parviendrais à me sublimer, ma performance, aussi excellente puisse-t-elle être, ne saurait de toute façon rivaliser avec celle à laquelle les membres du jury viennent d'assister. Je pénètre donc dans la salle de casting avec une confiance en mes chances largement entamée, pour ne pas dire carrément que je pars déjà vaincu.

Je marche, ou plutôt je titube car l'appréhension que j'éprouve est telle que mon corps se refuse presque à bouger, pour aller me positionner derrière le micro, face au jury. Ce dernier se compose de trois personnes. Deux femmes, et un homme qui n'est autre que le fameux Bruno Lamotet. C'est lui qui se charge d'ailleurs de m'accueillir :

_ Bonjour Anthony, c'est un plaisir de te voir ici. Mes collègues et moi, nous avons hâte de t'entendre.

Je devrais répondre quelque chose. Je devrais au moins me fendre d'une formule de politesse, je devrais leur dire un truc comme :

_ Moi aussi je suis très heureux d'être là. Et j'ai hâte de chanter devant vous.

Ça ferait bon genre de leur dire ça. Ça me ferait peut-être gagner des points. Mais en réalité, je ne dis rien. Je ne dis rien, pas parce que je ne veux rien dire, mais parce que je ne peux pas. Je repense au fiasco au lycée, et tout d'un coup j'ai peur que le même scénario se reproduise ici aujourd'hui. J'ai peur qu'au moment de chanter, je me trouve incapable de faire sortir un son de ma bouche. Bruno Lamotet voit mon trouble. Avec bienveillance, il ajoute alors :

_ Détends-toi. Prends le temps qu'il te faut. Et quand tu te sentiras prêt, tu pourras commencer.

Bruno Lamotet me sourit. Les deux femmes assises à côté de lui semblent en revanche moins aimables. En fait, elle ont à peu près la même mine renfrognée que la professeure de musique l'autre jour. Elles n'ont pas l'air très patientes non plus et je ne serais pas étonné qu'elles me disent qu'il leur reste beaucoup de candidats à auditionner, qu'elles n'ont pas toute la journée, et qu'à ce titre, il serait bon que je me dépêche de commencer. Mais elles ne le font pas. Bruno Lamotet est le directeur de casting. S'il décide que je peux prendre mon temps, personne ne va le contester. Alors elles attendent en silence, que je me sente prêt. Et Bruno Lamotet, lui, continue de me sourire. Ce soutien apparent qu'il me témoigne me donne du courage. Je retrouve une partie de la confiance qui me faisait défaut. Suffisamment pour me sentir prêt. Je repense à ce que m'a dit Jade. Faire ce que je sais faire, c'est tout. Faire de mon mieux. Et qu'importe si mon mieux ne suffit pas, au moins j'aurai essayé. Au moins, je n'aurai pas de regrets.

Je ferme les yeux pour mieux me concentrer. J'imagine que face à moi il n'y a pas de jury. Seulement Jade, qui me fixe de son regard encourageant et qui d'un hochement de tête me fait signe de me lancer. Je prends d'abord une grande inspiration. Et puis, en effet, je me lance. Les premières notes que je lâche sont timides. A peine audible. Ma voix est hésitante, elle tremble même par moment. Mais elle résonne dans la salle. Mes cordes vocales ne sont pas paralysées comme je pouvais le craindre. Elles fonctionnent bel et bien. Elles ne sont pas à cent pour cent de leur potentiel, c'est certain. Mais elles fonctionnent. Et c'est bien là l'essentiel. Le pire a été évité. Le fiasco du lycée ne va pas se reproduire. Je chante. Pas aussi bien que je sais le faire lorsque je suis seul avec Jade, mais je chante. Je chante un peu mieux à chaque seconde, à mesure que le stress desserre son étreinte et que je me libère. A mesure que je me laisse gagner par la musique que je produis à la seule force de ma voix. Et finalement, quand j'en termine, je suis fier de moi. Parce qu'aujourd'hui, pour la première fois, j'ai chanté en public. Devant seulement trois personnes certes. Mais en public quand même. Et ça, c'est déjà un accomplissement en soi.

Je ne sais pas ce que le jury a pensé de ma prestation. Il ne me l'a pas dit. En fait, il n'a pas dit grand chose. Seul Bruno Lamotet a parlé brièvement. Il m'a remercié d'avoir chanté pour eux et il m'a indiqué qu'il me recontactera en temps voulu pour me faire part de sa décision. Je quitte donc la salle de casting sans savoir si je suis retenu ou non. Mais quoi qu'il arrive maintenant, quelle que soit leur décision, je suis heureux. Je suis heureux parce que j'ai su triompher de ma peur. Je suis entré dans cette salle en me pensant déjà vaincu. Et j'en ressors avec le sentiment grisant d'être vainqueur. J'ai su dépasser mon échec lors des auditions du lycée pour passer ce pré-casting. Ainsi, j'ai pris une revanche sur moi-même. C'est là précisément que se situe ma victoire.

Aujourd'hui, le temps d'un peu moins de deux minutes, je me suis senti un artiste. Et j'ai aimé cela. Quant à la question de savoir si je peux vraiment en devenir un, ce n'est pas à moi d'y répondre. C'est au jury, et à lui-seul, d'en juger. J'ignore toujours si j'ai du talent ou non, je m'en remets à lui pour me le dire, car après tout c'est son travail d'apprécier le talent des gens.

J'espère que ce chapitre vous a plu :)
Qu'avez-vous pensé de cette prestation d'Anthony ? A-t-il des chances d'être sélectionné par le jury ?
La suite dès samedi :)

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