Chapitre 6 (Anthony)

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Je ne veux pas y retourner mais il le faut bien. La pause de midi touche à sa fin. Il est l'heure pour moi de rejoindre ma classe et pour Jade de rejoindre la sienne. Avant de nous quitter dans le hall du lycée, nous partageons encore une brève accolade semblable à celle de nos retrouvailles quelques minutes plus tôt. Et juste avant de disparaître dans un couloir, elle me dit :

_ Bon courage pour cet aprem et surtout ne fais pas attention à ces imbéciles. On se revoit très vite.

Elle ajoute à ces quelques mots un clin d'oeil et un baiser qu'elle me souffle sur sa main. Et moi je ressens un pincement au cœur de la voir ainsi s'en aller. Deux mois que je ne l'avais pas vue. Quarante cinq minutes passées avec elle ce midi. C'est trop peu. Il m'en fallait plus. J'aurais voulu rester avec elle encore un peu. J'aurais voulu ne pas la quitter. J'aurais voulu passer l'après-midi en sa compagnie plutôt que de devoir affronter de longues heures d'ennui enfermé dans une salle de classe et entouré de gens qui me méprisent pour étudier une matière qui me révulse plus que toutes les autres : l'anglais.

Ce n'est pas que j'ai quelque chose contre la langue de Shakespeare. C'est juste que ses subtilités m'échappent. Sa syntaxe est pour moi un mystère que je ne parviens pas à résoudre. Que ce soit à l'écrit ou à l'oral, je ne suis pas fichu d'aligner une phrase. En résumé, je suis nul en anglais et c'est sans doute pourquoi je déteste autant cette matière.

Je m'assieds dans un coin de la classe, au premier rang, seul si tant est qu'il soit nécessaire de le préciser. Le professeur est un nouveau venu. Un type jeune, avec des lunettes rondes sur le nez, un sourire niais sur les lèvres et l'enthousiasme débordant de celui qui débute et qui croit fermement qu'il va révolutionner l'enseignement et passionner ses élèves. Il est plein de bonne volonté. On ne peut pas lui enlever ça. Quant à sa pédagogie, elle risque de ne pas me plaire. Je le comprends très vite, dès les premiers mots qu'il prononce, (en français une fois n'est pas coutume). Après nous avoir gratifié de l'habituel discours sur l'importance de savoir parler anglais dans le monde d'aujourd'hui et s'être fendu d'une bonne dizaine d'exemples pour appuyer son propos, le voilà qui nous dit :

_ Pour progresser dans cette matière, il n'y a pas de secret. Il faut pratiquer. Encore et encore. Alors je vais vous faire pratiquer. Tous autant que vous êtes. Je veux tous vous entendre au moins une fois parler anglais à chaque cours. Et je vous interrogerai en ce sens. L'oral aura une place prépondérante dans mon cours. Sachez-le.

L'oral. Ou ce qui occupe la pôle position dans la liste de mes hantises. Je n'ai pas le temps de pousser un soupir que le professeur passe de la parole aux actes. Il renchérit, achevant ainsi de me dépiter :

_ Et nous allons immédiatement appliquer cette résolution. En tant que premier exercice pour cette année scolaire, je veux que vous passiez chacun votre tour au tableau pour vous présenter à la classe. Et cette présentation se fera en anglais, évidemment.

Il est ravi de son idée et les plaintes qui s'élèvent des rangs face à lui n'y changent rien. Quant à moi, je déplore cette annonce qui fait grimper d'un cran mon anxiété. Je remue sur ma chaise. Tandis que les premiers élèves défilent devant la classe pour se présenter, je n'ai de cesse de jeter des coups d'oeil vers l'issue de secours. La tension qui m'envahit est telle que je pense à m'échapper. Mais je ne peux raisonnablement pas prendre mes jambes à mon cou. Si je le faisais, je me ferais aussitôt sanctionner par le professeur et, plus grave encore, je deviendrais définitivement la risée de mes camarades qui ne manqueraient pas d'aller crier dans tout le lycée que je me suis tiré en plein cours parce que j'étais mort de trouille à l'idée d'aller dire deux mots d'anglais devant 25 personnes. Or ma réputation est déjà assez mauvaise comme ça pour ne pas en rajouter. Alors je reste là. Sur ma chaise. Le cœur battant. Les jambes tremblantes. Le souffle court. A trépigner en attendant que mon tour vienne. Et quand le professeur m'appelle enfin, je me sens sur le point de défaillir tant j'appréhende de me retrouver face à la classe et aux regards méchants de Kevin et de ses amis qui ne vont évidemment pas manquer une si belle occasion de se ficher de moi. Eva, quant à elle, est assise dans le coin opposé de la salle. Elle est lancée dans une discussion passionnante avec ses amies sur les différents moyens de gagner des abonnés Instagram et semble n'avoir même pas remarqué ma présence au tableau. Je suis de toute évidence complètement invisible à ses yeux. Cette indifférence de sa part a beau me blesser habituellement, elle m'apparaît bienvenue à cet instant précis car elle me laisse espérer qu'Eva ne gardera aucun souvenir du spectacle ridicule que je m'apprête à donner.

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