Chapitre 8 (Anthony)

220 25 9
                                    

Jade. Elle est bien là. Debout au milieu de la pièce. En train de discuter avec mes parents. Me voyant approcher, elle m'adresse un sourire rayonnant et me dit :

_ Trois quarts d'heure ce midi ce n'était pas suffisant après deux mois de séparation. Alors je me suis dit que j'allais te faire la surprise de venir te voir ce soir. J'espère que ça te fait plaisir.

Elle prononce cette dernière phrase avec une fébrilité dans la voix qui me fait la trouver adorable. Je lui réponds dans la foulée :

_ Tu rigoles, bien sûr que ça me fait plaisir. Je n'aurais pas pu rêver meilleure surprise que de te voir ce soir.

Je m'apprête à poursuivre mais elle m'interrompt pour objecter :

_ Menteur !

_ Quoi ? Comment ça ?

_ Quand tu dis que tu n'aurais pas pu rêver meilleure surprise, tu mens.

Je la fixe encore et toujours d'un air interrogateur alors elle précise sa pensée :

_ Je sais bien que tu préfères de loin aller voir James Miller en concert au Zénith plutôt que de recevoir ta meilleure amie, quand bien même cette dernière t'a beaucoup manqué cet été. Mais je ne t'en veux pas. Après tout, comment pourrais-je rivaliser avec l'une des plus grandes stars actuelles ?

Nous partageons un rire complice tandis que mon père se gargarise de cette remarque, lui qui n'est décidément pas peu fier d'être parvenu à orchestrer ce qu'il qualifie en toute modestie de surprise du siècle. Puis, craignant que Jade soit vexée bien qu'elle n'en montre rien, je me sens le devoir d'ajouter :

_ Tu te trompes. Rien au monde ne peut me faire plus plaisir que de passer du temps avec ma meilleure amie, qui est accessoirement la fille la plus extraordinaire qui soit sur cette Terre. Pas même un concert de James Miller.

Jade accueille ces quelques mots d'un sourire gêné. Une réaction qui ne me surprend pas venant d'elle car je sais combien les compliments peuvent la mettre mal à l'aise. Elle n'aime pas que l'on dise du bien d'elle. Les marques d'affection l'embarrassent et les grandes déclarations l'angoissent. Elle est une fille pudique. Elle est particulièrement douée pour écouter les autres lui raconter leurs états d'âme. Elle est capable de faire preuve d'une empathie remarquable à leur égard. Mais il lui est beaucoup plus difficile de parler d'elle. Elle ne se livre pas facilement. Elle fait de ses sentiments un secret qu'elle garde jalousement. C'est une taiseuse. Je l'ai toujours connue ainsi.

Il a fallu des années avant qu'elle ait suffisamment confiance en moi pour accepter de fendre un peu l'armure. Et si aujourd'hui il lui arrive de me faire des confidences de temps en temps, je suis loin de tout savoir des émotions qui l'animent. Ce qui se passe dans sa tête reste un mystère que je ne suis pas sûr de pouvoir lever un jour.

Chose rare, car Jade et moi avons généralement toujours quelque chose à nous dire, un long silence embarrassé s'installe entre nous. Après quelques secondes d'hésitation et sous le regard de mes parents qui semblent s'amuser de cet instant de timidité, je décide d'y mettre fin et j'invite mon amie à m'accompagner dans ma chambre-studio. Elle opine du chef et m'emboite le pas aussitôt, laissant mes parents seuls dans le séjour avec toujours cet air amusé sur le visage. Décidément, ce compliment que j'ai lancé tout à fait anodinement à l'attention de mon invitée aura produit de drôles d'effets sur tout le monde. Et j'ignore bien pourquoi.

Jade est la seule personne autre que mes parents que j'autorise à pénétrer dans mon home studio. Elle est aussi la seule personne autre que mes parents à qui j'accepte de faire écouter ma musique. La première fois qu'elle a réclamé de m'entendre jouer, c'était l'année dernière. Je me suis d'abord montré réticent. Mais elle a argué qu'elle était ma meilleure amie et qu'en cela elle était en droit de découvrir le résultat de toutes ces heures que je passe enfermé dans la solitude de ma chambre plutôt qu'avec elle. Et face à cet argument implacable, j'ai fini par céder.

Anti StarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant