Chapitre 22 (Anthony)

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J'éloigne doucement le téléphone de mon oreille. Je le garde à la main, mes yeux ne quittent plus l'écran. Je reste ainsi, immobile et silencieux. Tandis que la voiture se fraie doucement un chemin dans le trafic, je sens le regard de mon père braqué sur moi. Il ne fait aucun doute qu'il a deviné l'identité de mon interlocuteur. Il a compris que c'est à Bruno Lamotet que je viens de parler. J'attends qu'il me pose la question qui doit lui brûler les lèvres. Il met du temps à se lancer. Je crois qu'il est tiraillé entre son envie de savoir et sa peur de connaître le verdict. Je crois que c'est cela, précisément, qui le fait hésiter. Finalement, au bout de plusieurs secondes, il se risque à me demander :

_ Alors ?

La voiture est de nouveau à l'arrêt. Décidément, les bouchons n'en finissent plus. Je tourne la tête vers mon père. Nos regards se croisent. Le sien trahit son impatience. Le mien se veut imperturbable. Jusqu'au dernier moment, je ne laisse rien paraître, de sorte qu'il est incapable de deviner si la nouvelle que je m'apprête à lui partager est bonne ou mauvaise. Comme je vois bien qu'il n'en peut plus d'être dans l'expectative, je décide de mettre fin au suspense. D'une voix impassible, je lui rapporte ce que m'a dit Bruno Lamotet :

_ Le directeur de casting m'a fait part de l'avis du jury sur ma prestation.

Je m'interromps un instant. Mon père me fait un signe de tête pour m'inciter à poursuivre. C'est ce que je fais. Je poursuis. Dans la foulée.

_ Il m'a dit qu'à plusieurs reprises j'avais manqué de justesse dans mon interprétation. Que j'avais commis des hésitations et des erreurs. Que ces hésitations et ces erreurs étaient sans doute à mettre sur le compte du stress. Que ce manque d'assurance que j'avais laissé transparaître avait entaché la qualité de ma prestation et m'avait empêché de m'exprimer pleinement. Que c'était dommage, vraiment dommage...

Je m'interromps de nouveau. En réaction à ces paroles pas franchement encourageantes, mon père pousse un léger soupir. Il me fixe à présent d'un air désolé. Il semble certain que je suis sur le point de l'informer de mon échec. Je reprends, comme si de rien n'était, le fil de mes confidences :

_ Il m'a avoué qu'après m'avoir vu à l'œuvre sur la vidéo de Jade, il s'attendait à une performance différente. Une manière polie de me dire que je l'ai déçu. Pour être totalement honnête, ses réflexions ne m'ont pas vraiment surpris. Je suis conscient que je n'ai pas été bon comme j'aurais dû l'être. Mais je n'ai pas de regrets. J'ai fait avec mes moyens du jour. Ce n'était pas parfait, mais c'était le mieux que je pouvais faire à ce moment-là. Bruno Lamotet m'a ensuite expliqué que ma prestation en demi-teinte n'avait pas vraiment convaincu ses collègues du jury. Pour ainsi dire, ils étaient très réticents à l'idée que je sois retenu pour participer à l'émission.

Cette fois, mon père ne se contente pas d'un regard pour me signifier qu'il est navré pour moi. Il le formule avec des mots. Des mots qui ont vocation à m'aider à affronter ce qu'il imagine être une grande désillusion.

_ Il ne faut pas que tu te décourages. C'est un accident de parcours. C'est difficile de passer une audition devant des professionnels, d'autant plus quand c'est la première fois. C'est normal d'être impressionné. Tu ne dois pas voir cet échec comme une fin en soi. Tu ne dois pas t'arrêter à ça. Il faut que tu insistes dans la musique, les gens vont bien finir par se rendre compte que tu as du talent.

J'ai fait de ce pré-casting ma dernière chance de devenir un artiste. Un échec marquerait donc l'abandon définitif de mes velléités à faire une carrière dans le monde musical. J'ai été parfaitement clair à ce sujet. Pas question de persister dans la poursuite d'un rêve à l'évidence inaccessible. Mon père connait ma position. Par ces quelques phrases qu'il prononce, il espère encore la faire changer. Ses efforts sont vains. Il ne me fera pas changer d'avis. Je crois qu'il en est conscient, tout au fond de lui. Il détourne les yeux de moi pour les reposer sur la route. La voiture est encore et toujours bloquée. Mon père rumine, je le vois à cette manière qu'il a de serrer la mâchoire, il le fait chaque fois que quelque chose l'agace. En l'occurrence, là, c'est moi qui l'agace. Moi et mon entêtement contre lequel il ne peut décidément rien faire. Il reste désormais muré dans un silence résigné. Je laisse ce silence se prolonger encore quelques secondes. Ensuite, je reprends la parole. Je parle, distinctement et calmement.

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