Chapitre 13 (Anthony)

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Il est près de 19h quand je me décide enfin à quitter ma chambre. Si ça ne tenait qu'à moi, je n'en serais jamais sorti. Je serais resté là, étendu sur mon lit à me laisser dépérir jusqu'à ce que mort s'en suive. Un peu glauque et déprimant comme projet de vie. Mais le fait est que je suis déprimé et que je n'ai aucun autre projet en stock.

J'avance à tâtons dans le couloir qui est plongé dans la pénombre. Arrivé au bout de celui-ci, je m'arrête et je tends l'oreille. Mes parents sont en pleine discussion dans le séjour. Ou plus exactement, ils sont en train de se disputer, ce qui est assez rare pour m'alarmer. Et je m'alarme encore plus quand je comprends que je suis la cause de leur dispute. Tandis que je les écoute se crier dessus, la culpabilité m'envahit. Dissimulé derrière le mur du couloir, je jette un œil discret dans le séjour.

_ Il a séché les cours ! clame ma mère.

_ Et alors, c'est un ado, tous les jeunes de son âge sèchent les cours un jour ou l'autre, objecte mon père avant d'accuser ma mère de dramatiser la situation.

_ Pas Anthony, renchérit-elle. Lui, il ne fait pas ça. Ce genre de comportement ne lui ressemble pas. Je crois qu'il s'est passé quelque chose. Je ne sais pas quoi exactement, mais je le sens. Je le sais. Et pour qu'il en soit arrivé là, ce quelque chose doit être grave.

Sa voix se met à trembler sur la fin, ce qui amène mon père à revoir sa position. Il connaît ma mère. C'est une instinctive et ses intuitions s'avèrent le plus souvent justes. Il se traîne d'un pas nerveux jusque devant la baie vitrée et s'arrête net, fixant d'un regard inquiet le jardin. L'inquiétude de ma mère l'a de toute évidence contaminé.

Mes parents ne sont plus dupes. Ils ont compris que je traverse une passe difficile. Et savoir qu'ils se font autant de souci pour moi me fait me sentir encore plus coupable. Cette culpabilité que j'éprouve atteint bientôt un niveau tel que je me décide à faire ce que je m'étais promis de ne jamais faire : leur confier ce qu'il s'est passé au lycée. Je ne supporte pas de garder ça pour moi. J'ai besoin de dire ce que j'ai sur le cœur. De raconter ce qui me plombe. De mettre des mots sur l'humiliation que je viens de subir, comme un moyen de l'exorciser. Je vais leur parler. Pour me libérer de ce poids qui pèse bien trop lourd sur mes frêles épaules, il faut que je leur parle.

Je prends mon courage à deux mains et je vais les rejoindre dans le séjour. Me voyant entrer dans la pièce, ils s'empressent de chasser l'air soucieux sur leur visage, visiblement décidés à faire comme si de rien n'était sans doute pour m'épargner. Mais je ne veux plus de faux semblants. Ma mère m'a réclamé une discussion ce soir. Je vais la lui donner, et je veux qu'elle ait lieu dans la plus stricte sincérité. Sans préambule, car attendre une seconde de plus serait prendre le risque que je me ravise, je mets les pieds dans le plat :

_ J'étais dans le couloir quand vous vous disputiez. J'ai tout entendu.

Mes parents échangent un regard embarrassé. Puis, ma mère, craignant que ce que j'ai entendu ne finisse de me démoraliser, s'empresse d'essayer de relativiser :

_ Avec ton père, on s'est un peu laissés emporter. Tu dois nous comprendre, tu viens de sécher les cours, ce que tu n'avais encore jamais fait, ça nous inquiète et c'est vrai qu'on a perdu notre calme. Mais c'est tout de même normal qu'on se pose des questions.

_ Dis-nous fiston. Dis-nous ce qui t'a poussé à faire l'école buissonnière comme ça.

Mon père et ses expressions bien à lui. D'ordinaire, cela m'aurait arraché un sourire. Mais aujourd'hui je ne suis vraiment pas d'humeur à sourire. Je sais que ce que je m'apprête à leur dire va les faire souffrir. Et moi aussi je vais souffrir de le leur avouer. J'ai si peur de les décevoir que je songe à me taire et à retourner m'enfermer dans ma chambre. Mais je me reprends aussitôt, car au fond de moi je suis toujours aussi convaincu de la nécessité de leur parler. De toute façon, ils ne me laisseront pas quitter cette pièce sans avoir eu de réponse à leurs questions.

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