Chapitre 34 (Anthony)

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Je lui ai exposé l'objet de mon tourment comme si je lui annonçais la plus grosse catastrophe qui soit. Je m'attends donc à ce qu'elle s'en trouve elle aussi tourmentée. Mais il n'en est rien. Elle reste d'abord quelques secondes silencieuse, à me fixer d'un drôle d'air, et puis elle se met à rire franchement. Aussi franchement que si je venais de lui dire la meilleure blague du monde. Je songe que sa drôle de réaction est peut-être à mettre sur le compte du verre de grand cru qu'elle a bu ce soir, même si ça m'étonnerait qu'un seul verre de Chateaubriand ait pu la rendre aussi guillerette. Non, ce n'est certainement pas à cause de l'alcool, mais alors pourquoi elle rit comme ça ?

_ Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de si drôle dans ce que je viens de dire, je lance finalement sur un ton qui trahit une certaine irritation.

Jade ne semble pas s'émouvoir outre mesure de mon agacement. Elle continue de déballer sa valise tout à fait calmement, comme si de rien n'était. Et puis soudain, elle s'interrompt. Elle donne à son visage un air grave et commence à dire d'un air faussement solennel :

_ Tu as raison, il n'y a vraiment rien de drôle dans ce que tu viens de dire. Et sois sûr que je prends la mesure du problème de lit que tu viens de soulever.

Son jeu d'actrice est excellent, vraiment très convaincant, tellement convaincant que pendant un instant je pense qu'elle est sérieuse. Seulement, elle ne l'est pas. Et dans la foulée, luttant pour réfréner un nouvel éclat de rire, elle s'écrie :

_ Tu es mon meilleur ami et je t'aime beaucoup Anthony. Mais ce que tu peux être coincé comme garçon parfois !

Le feu me monte aussitôt aux joues. Cette fois ça y est, elle a réussi à me vexer. J'enfonce les mains dans les poches de mon jean et je me mets à fixer ostensiblement le sol comme le ferait un gamin que l'on vient de gronder.

_ Je t'ai déjà dit que tu es mignon quand tu boudes ? ajoute-t-elle ensuite d'un air taquin.

Elle vient de dire que je suis mignon. Ce compliment me touche, me flatte, m'émeut... Mais peu importe ce que ce compliment me fait. Je ne dois pas me laisser attendrir. Elle vient aussi de me traiter de coincé et de prétendre que je boude. J'ai donc des raisons de lui en vouloir. D'ailleurs, je crois bien que je lui en veux. Alors en m'efforçant d'avoir l'air en colère, je réplique :

_ Je ne boude pas. Je dis juste que dormir ensemble dans le même lit ne fait pas partie de ce que font les amis. Et que donc, il est normal que je me sente gêné.

_ C'est bien ce que je dis, tu es coincé ! renchérit-elle.

Je tâche d'ignorer cette nouvelle remarque qui finit malgré tout de me rendre bougon, et je m'entête dans mon idée :

_ Bon, je vais aller voir la réception pour leur demander s'il n'y a pas une autre chambre de libre.

Comme elle m'entend prononcer ces mots, Jade avale de travers une gorgée d'eau. Et pour ne pas finir avec les poumons noyés, elle est obligée d'en recracher une partie sur le somptueux tapis de la chambre.

_ Tu vas faire quoi ? relève-t-elle ensuite en tentant de reprendre ses esprits après avoir échappé de peu à la mort.

_ Je vais aller à la réception, je lui dis en me retournant déjà pour m'y rendre.

_ Vas-y, fais donc. Comme ça tu te taperas l'affiche devant tout le monde et en plus ce sera pour rien parce que l'hôtel est complet !

Tout bien réfléchi, je me vois quand même mal me pointer à la réception pour leur dire que je ne peux pas dormir avec Jade et qu'il faut me trouver une autre chambre, ou bien me faire monter dans ma chambre actuelle un lit simple de toute urgence. Il n'y a que les stars pour se permettre de tels caprices, et moi je ne suis évidemment pas une star. Je ne suis rien qu'un lycéen à qui on accorde le privilège de passer une nuit dans un grand hôtel parce qu'il participe à une émission un peu connue. Je ne me vois pas aller à la réception, mais comme j'ai l'art de la contradiction, je dis quand même à Jade :

Anti StarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant