Chapitre 16 (Anthony)

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Je reste un instant sous le choc. Je ne veux pas croire qu'elle puisse sérieusement songer à s'en aller au seul prétexte que je ne veux pas lui accorder cette ultime prestation qu'elle me réclame. Je ne veux pas y croire mais le fait est qu'elle a parlé avec tant de conviction que je ne peux pas faire autrement que d'y croire quand même. A mesure que je prends conscience du péril qui me guette, mon cœur s'agite jusqu'à se débattre dans ma poitrine aussi farouchement que le ferait un lion dans une cage. La panique s'empare peu à peu de mon corps. Elle pollue mon esprit jusqu'à le rendre incapable de réfléchir. Et puis il y a le doute. Ce doute terrible qui jaillit soudain en moi et me fait craindre le pire. Et si Jade était sincère ? Et si elle avait vraiment l'intention de franchir cette porte et de tirer un trait définitif sur notre amitié ? Je ne peux pas prendre le risque. Je ne veux pas la perdre. Je ne veux pas qu'elle quitte ma vie. Je ne le supporterais pas. Je dois la retenir. Je dois tout faire pour l'empêcher de quitter cette salle. Je dois faire ce qu'elle me demande. Alors, bien malgré moi, je finis par céder et je lui crie :

_ Ok c'est bon, tu as gagné. Je vais chanter.

Jade lâche la poignée de la porte dont elle venait de s'emparer. Elle fait un tour sur elle-même et rebrousse chemin pour aller s'asseoir sur l'une des chaises au premier rang face à l'estrade.

_ Parfait. Dans ce cas, vas-y. J'attends, me lance-t-elle en croisant ostensiblement les bras et en me défiant du regard.

_ Tu me fais du chantage affectif. C'est moche, je proteste encore.

Une tentative visant à la culpabiliser qui malheureusement ne fonctionne pas.

_ C'est moche mais c'est comme ça, me répond-elle ainsi, inflexible, avant de répéter. J'attends.

En plus des bras, elle croise maintenant les jambes et se met à agiter frénétiquement son pied droit, histoire de bien me signifier tout l'ampleur de son impatience. Décidément, je n'ai plus le choix. Je pousse d'abord un long soupir. Je me lève péniblement et je fais quelques pas pour aller me positionner au centre de l'estrade. Je reste quelques secondes immobile. Je balade mon regard sur la salle devant moi. Le mauvais souvenir de la veille est évidemment présent mais aujourd'hui les choses sont différentes. Il n'y a pas de jury. Il n'y a pas Kevin et son groupe pour se moquer de moi. Il n'y a pas Eva pour rire à leurs moqueries. Aujourd'hui, il n'y a que Jade. Son visage, si sévère il y a encore un instant, s'est détendu et rayonne désormais d'un sourire plein de bienveillance. D'un bref hochement de tête, elle me fait signe de me lancer. Je ferme les yeux pour mieux me concentrer. Je prends une grande inspiration et je fais ce qu'elle me dit. Je me lance. Et cette fois mes cordes vocales se mettent à vibrer dans ma gorge. Et cette fois ma voix résonne dans le silence de la salle comme elle aurait dû le faire la veille. Je n'ai pas de bande musicale pour m'accompagner mais je n'en ai pas besoin. Je n'ai qu'à imaginer la mélodie dans ma tête pour m'abandonner à elle tandis que je continue de chanter, a cappella. Alors, plus rien ne compte. Il n'y a plus que moi et ma voix que je m'efforce de faire sonner au plus juste. Alors, il n'est plus question d'hier ni de demain. Il est seulement question d'aujourd'hui, de ce que je fais ici et maintenant. Alors, il n'y a plus que moi et cette mélodie qui me réchauffe le cœur et qui agite mon corps. Alors, je me sens musicien, de nouveau. Un peu comme si la musique et moi étions en train de nous réconcilier. Un peu comme si la musique, culpabilisant de m'avoir rendu malheureux, venait panser les plaies qu'elle avait ouvertes en moi et me redonnait un peu de cette joie de vivre qui deux minutes plus tôt me semblait perdue à tout jamais.

Une fois ma prestation terminée, je reste encore plusieurs secondes les yeux fermés, comme pour ne pas perdre une miette de cette émotion qui me submerge. Lorsque je les rouvre enfin, je retrouve Jade là où je l'avais laissée un instant plus tôt. A savoir assise sur sa chaise au premier rang, en train de me fixer avec ce même sourire bienveillant dont j'aime à croire qu'il témoigne aussi d'une certaine admiration. J'ai l'impression qu'elle a aimé. Mais comme à chaque fois que je me produis devant elle, je ne peux m'empêcher de craindre que ça ne soit pas le cas. Alors pour en avoir le cœur net, je lui demande :

Anti StarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant