Nations

Chapitre 61 : Dans le Cauchemar

L'horreur l'électrisa, puis la paralysa. Le Cauchemar avait ressenti son intérêt et avait fondu sur elle. Du moins, c'était l'impression que Niiva avait eue. C'était comme se voir mourir dans l'œil d'un oiseau qui surplombait la scène.

Elle voulut se sortir de là, mais la panique lui interdit d'avoir la moindre idée de comment s'y prendre. Alors, elle ne fit que se rendre spectatrice de la masse noirâtre de fumée mouvante qui s'accumulait autour de la bulle spirituelle qu'elle occupait. On eut dit une gigantesque main qui se refermait implacablement sur leur position. Avec l'intention de broyer.

Elle ne pouvait techniquement pas respirer dans cette réalité, mais la mage se sentait asphyxiée. A la panique, succéda la réalisation. Son esprit était assailli, par une force d'une ampleur hors de portée de son imagination.

Les angoisses qui l'habitaient avant son enquête refirent surface. Cet assaut était-il suffisant pour la lobotomiser ? Elle s'accrocha à ses souvenirs comme une naufragée perdue en pleine tempête. Aussi effrayants qu'ils soient.

Niiva se rappela le message d'alerte qui la réveillerait. Elle pensa de toutes ses forces à la poudre rosée qui enverrait son appel à l'aide. Quelque part, dans un autre monde, son signal était relayé. Elle n'avait plus qu'à survivre d'ici là.

L'ambassadrice aurait voulu pouvoir compter sur l'aide de l'Immortel. Mais l'emprise du Cauchemar était si forte qu'elle ne sentait plus sa présence. Elle avait basculé, dans une atmosphère différente, dans laquelle aucun secours ne sera possible.

Elle sentit une impression écrasante d'oppression. Une intelligence malveillante la dominait de toute sa hauteur. Autour d'elle, la fumée noirâtre se matérialisait.

Aucune trace du Rêveur, de son calme, de sa promesse que tout irait bien. Il ne restait que la peur, et le Cauchemar s'en nourrissait et devenait plus fort encore.

Une créature innommable, un mélange organique de pourriture et de gueules béantes prenait forme. Niiva avait beau se dire que ce cauchemar prendrait fin bientôt, que ses amis allaient la récupérer, qu'elle allait se réveiller, rien de ce qu'elle pouvait penser ne pouvait la détourner de l'horreur qu'elle vivait.

Et pourtant, prise dans cette vague de terreur, emportée par la violence de la vision, un reste de lucidité s'éveilla en elle. Ce qui lui arrivait était un indice. Qui s'en prenait à elle, à travers ce cauchemar, et pourquoi ? Si elle arrivait à le déterminer, peut-être avancerait-elle dans sa mission.

L'odeur de moisissure la saisit, alors que le monstre infâme se penchait sur elle. Il ne parlait pas, il n'était que pure intention malveillante. Niiva rassembla tout le courage qui lui restait. Peut-être son esprit était sur le point d'être mis en pièces, et elle ne se rappellerait pas de ce qu'elle vivrait. Mais dans ce cas-là, plus rien n'avait d'importance. Elle devait supposer qu'elle allait s'en sortir.

"Neristan !" ordonna t-elle à sa magie, sa paume ouverte devant la monstruosité.

Elle n'aurait aucune chance de le vaincre, alors elle lança tous ses espoirs dans l'analyse de ce qui lui faisait face. Son esprit plongea dans un puits sans fond. Ses propres peurs se renforçaient mutuellement, et elle eut l'impression de s'analyser elle-même dans une chute ininterrompue.

C'est là qu'elle dut faire un effort mental pour faire abstraction. Il n'y avait que son sort qui comptait.

Les dents assoiffées de sang ne dévoraient pas ses jambes.

Les gueules béantes ne mâchaient pas ses muscles.

La pourriture repoussante ne prenait pas possession d'elle.