Prologue : Un monde simple

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Une rature. Encore une.

Les doigts de Niiva s'engourdissaient à force d'écrire depuis si longtemps. Elle dut lâcher sa plume pour se reposer les mains, ce qui stoppa le flot d'encre noire qui coulait sur son parchemin.

"S'il vous plaît, maître Valen !" supplia t-elle. "Moins vite, je n'arrive pas à suivre !"

L'homme habillé d'une ample robe émeraude fronça ses sourcils broussailleux, et porta un regard acéré vers sa petite apprentie.

Le maître magicien avait fait une pause dans sa leçon pour répondre à la fillette, et son air sévère la cloua tout au fond de son siège. Assis dans son large fauteuil de bois brun, il donnait l'impression d'être calme et détendu, à son aise dans l'exercice de la transmission de ses savoirs. Mais, interrompu, il s'était levé, et le riche vêtement réservé aux Archimages lui conférait plus de crédit quant à sa mise en scène de professeur en colère.

Niiva fixa ses yeux sur lui, et subit son sermon sans broncher.

"La connaissance !..." déclama t-il d'un ton théâtral. "La connaissance est le premier maillon de la chaîne qui mène à la maîtrise des arcanes. Si tu n'es pas capable d'apprendre ce que je te dis, tu ne pourras jamais devenir une magicienne digne de ce nom. Dois-je informer le maître Noth que tu ne désires plus poursuivre tes études ?"

La question glaça le sang de Niiva. Du haut de ses dix ans, elle était déjà empreinte d'une profonde volonté d'apprendre et de satisfaire ses maîtres. C'est donc penaude qu'elle se força à reprendre sa plume, tout en répondant à son professeur d'une petite voix :

"Non, maître, pardon maître."

Le visage d'ange de l'enfant attendrit Valen, qui adoucit le regard d'aigle qu'il arborait l'instant d'avant. Cette petite avait le don de lui faire fondre le cœur une fois qu'elle se sentait coupable, ce qui arrivait souvent. Alors, l'Archimage changea de tactique. Il s'approcha de la table de son apprentie d'un pas ample, et lui donna de nouvelles consignes :

"Assez d'écriture pour aujourd'hui. Je veux vérifier que tu as bien intégré ce que je t'ai appris...Interdiction de regarder tes notes !"

La surprise saisit la fillette : il n'était pas dans les habitudes de son maître de la soumettre à une interrogation impromptue. Néanmoins, elle se plia à ses exigences : elle rangea hors de sa vue la pile de papier qu'elle avait accumulée depuis le lever du jour, et s'efforça de collecter ses souvenirs.

"Combien de Nations composent notre monde ?" interrogea Valen d'un ton doctoral.

"Treize !" répondit sans hésiter Niiva, sûre d'elle.

"Nomme-les moi. Dans leur ordre d'apparition."

La bouche de l'apprentie s'ouvrit en un cercle parfait. Elle ne s'attendait pas à ça. La dernière consigne allait lui demander un gros effort de concentration.

Elle chercha loin dans les souvenirs de son cours, et son attention s'éparpilla dans toute la pièce, à la recherche de quelque chose qui aurait pu l'aider. Mais les quelques volumes qui s'échappaient des étagères et flottaient en l'air accompagnés de lucioles scintillantes ne lui étaient pas d'un grand secours. La quiétude de la salle de classe qu'elle occupait depuis l'aube n'avait connu aucun trouble.

La poussière brillait toujours des faibles lueurs des bougies qui avait été disséminées sur les tables qui les entouraient, ce qui laissait paraître une sorte de brume légère. Elle se parfumait avec les pages usagées des nombreux ouvrages qui occupaient la pièce, et reflétait cette teinte brune envahissante de la bibliothèque, qui était là partout où l'on posait l'œil : bois des étagères, cuir des reliures et des fauteuils luxueux...

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