Chapitre 50 : Un éclair dans la nuit

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La main du client glissa sur la table, à côté de la choppe. Davian y reconnut une broche faite de morceaux de fer entremêlés. Ce souvenir attaqua son esprit avant qu'il n'ait eut le temps de se demander d'où il venait.

Mais il se souvenait.

C'était une matinée calme, son père était parti s'approvisionner en minerai sur les plateformes supérieures. Davian était resté pour s'occuper de la forge. Il n'avait qu'à maintenir le feu allumé pour qu'il soit prêt à travailler, mais toutes leurs commandes étaient déjà terminées.

Alors, il s'amusait à brandir les épées que son père accrochait en haut de leurs rangements, les pièces qui n'avaient pas encore trouvé leur acquéreur. Sans doute parce qu'elles étaient un peu cabossées, un peu trop longues ou trop épaisses.

Le jeune homme les adorait, pourtant. Pour la plupart, il s'était fait la main dessus, et il les reconnaissait toutes d'un coup d'œil, au point qu'il aurait pu leur donner un nom. Certes, le forgeron n'allait pas jusque là. Il s'agissait d'un plaisir coupable : son père avait surpris son manège une fois, et l'avait rabroué, comme souvent.

Enton lui disait qu'il ne devait pas célébrer ses échecs, mais les méditer pour s'améliorer. Davian ne les considérait pas comme des échecs, ceci dit. Plutôt comme une partie de soi.

Mais ce matin, alors qu'il se fendait d'une attaque d'estoc contre un ennemi imaginaire, c'était un client qui le surprit dans cette posture embarrassante.

Un Weilder à la barbe rousse tressée, la peau couleur de charbon. Sans doute étaient-ce ces teintes qui lui donnaient un air si sévère. Quand il s'éclaircit la gorge pour signaler sa présence, Davian bafouilla confusément des explications mêlées d'excuse guère convaincantes.

"Ce n'est rien, ce n'est rien. J'ai entendu dire que vous faisiez des réparations, ici..."

"Je... Oui !" acquiesça Davian, ravi de pouvoir changer de sujet. "On peut reprendre vos outils, bijoux, armes, tout ce que vous voulez !"

"Ma broche est cassée." exposa le nain en tendant l'objet au jeune forgeron. "Cela vous prendra combien de temps ?"

Davian examina l'insigne brisée. Il s'agissait de deux mâchoires de dragons entourées d'un cercle d'acier, rompu en deux endroits. Il faudrait ressouder les deux parties, cela demanderait une petite quantité d'acier mais il faudrait être précis, et le foyer devrait être porté à une chaleur très importante.

"Vous pourrez revenir dans la soirée." assura t-il après une petite réflexion. "Il vous en coûtera cinq pièces d'argent."

Le Weilder ronchonna :

"Celle d'en face le fait pour quatre !"

"Oui, mais avec nous, votre pièce gardera sa solidité jusqu'au bout ! Nos aimables voisins vont plus vite et pour moins cher, mais forcément..."

"Ça va, ça va ! Vous serez payé quand je verrais le résultat."

"Avec plaisir." accepta Davian, qui vit son client tourner les talons dans la foulée.

La plupart des Weilders étaient durs en affaires. En tout cas, c'était le dicton. Son père l'en avait prévenu, et il savait adapter ses attitudes commerciales avec eux. Il ne fallait être ni trop souple, ni trop fermé, sous peine de se voir refuser des commandes.

Le jeune forgeron se frotta les mains. Il était temps de passer au travail ! Le foyer ronflait d'un feu tranquille jusqu'ici, mais il actionna le levier sur la droite du four à métaux.

Le conduit de magma qui passait sous la forge, sinuant à travers la plateforme, alimenté par la force d'Heimlar lui-même, vint apporter sa chaleur supplémentaire.

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