Chapitre 24 : Mak'Togo

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Karmina stoppa ses objections, et considéra Khorman d'un regard renouvelé, engagé.

"Tu es sûr que tu t'en sens capable ?" demanda t-elle simplement, la tendresse déformant sa voix.

"Il le faudra bien...Mais il faut que je me repose pour ça, d'abord !" plaisanta Khorman, tentant de trouver une position plus confortable sur sa couche.

Un discret sourire prit forme sur les lèvres de sa compagne, et elle le laissa plonger dans le sommeil réparateur dont il avait besoin sans plus le déranger.

Mais son repos ne dura pas longtemps. Khorman eut un sommeil agité, rempli d'images violentes et confuses teintées de sang. Il s'agitait dans ses cauchemars, et finit par raviver la blessure qu'il avait reçu à la chasse de l'erokta, ce qui le réveilla en sursaut.

Frustré, il ne put parvenir à se rendormir ensuite, gêné par la douleur maintenant vive et pernicieuse qui ravageait son torse. Résolu à passer une nuit blanche, il sortit de sa tente en prenant garde de ne pas troubler le sommeil de Karmina. Elle aussi avait besoin de repos. Il s'autorisa un dernier regard attendri vers elle, avant de rejoindre la froide pénombre de l'extérieur.

Dans le désert de Gravité, les nuits étaient particulièrement glacées, contrastant étonnamment avec la lourde chaleur des jours. Khorman traîna à travers la Tanière, puis sortit de son enceinte et alla rejoindre l'oasis qui la bordait. C'était un lieu qu'il affectionnait, propice au repos. Les deux lunes jetaient leurs lueurs blanchâtres sur le calme reflet de la flaque d'eau face à lui, bordée d'une petite dizaine de palmiers courbés, comme si eux aussi étaient harassés de fatigue. Leurs discrètes silhouettes étaient à peine discernables avec le manque de lumière, mais il les devinait par habitude.

Il s'assit face à la petite étendue liquide, et se mit à penser au futur de la Tanière, de sa famille, de son peuple.

Les orcs verts exilés étaient au bord du gouffre. S'il devait estimer un temps avant qu'ils ne viennent à un point de rupture, l'incapacité critique de se nourrir, de se loger, leur extinction...Il ne leur donnait pas un mois. Il ne se donnait pas un mois.

Ils s'éteindraient.

Oubliés de la capitale, abandonnés au milieu du désert accablant, ils périraient tous un à un. Se déchireraient sans doute dans leurs derniers instants. Qui sait quels actes atroces leurs instincts de survie primaux les forceraient à commettre les uns envers les autres ?

Déjà, les premiers morts d'inanité s'étaient déclarés, et la tension était palpable à la Tanière. Des disputes se déclaraient régulièrement. Ils n'en étaient pas encore au déchirement, mais cela viendrait, à n'en pas douter. Alors, leur dernier espoir de survie, l'entraide, s'éteindrait.

La rage et la frustration, un profond sentiment d'impuissance s'empara de Khorman. Cette impression lui faisait aussi mal que les griffures incrustées dans sa peau. La seule issue envisageable était l'intervention de Renkar en leur faveur, l'aide de la capitale. Mais ces têtes de mule ne voulaient rien entendre ! Ils préféraient sans doute l'extinction au déshonneur.

Ça n'avait aucun sens ! Quelle utilité sortir de l'honneur, une fois réduit à un tas de chair en décomposition ? Quel genre de fierté pouvait faire valoir un cadavre ?

Une promesse brûlante, un vœu sorti tout droit de son âme, prit possession de l'esprit de Khorman en cet instant.

Il sauverait son peuple. Que cela lui plaise ou non. Quoi qu'il en coûte.

Il les sortirait de cette situation, il ne les laisserait pas marcher vers leur ruine la tête haute.

Ils vivraient.

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