Chapitre 58 : Séléna

29 2 2
                                    

Volcar, trente ans auparavant.

Enton venait d'installer sa forge dans l'un des plus hauts étages de la capitale. Il avait une chance, celle du succès qu'avait eu son père pour le commerce de pierres précieuses. Il avait été l'un des pionniers qui ont déniché les rubis cachés dans les tréfonds du volcan. La pyromancie infusée par Heimlar dans toute la structure de la ville leur conférait cette couleur rouge si caractéristique, et les pierres se vendaient partout en Elunae pour leurs propriétés magiques.

Débrouillard, courageux et inventif, Enton n'avait eu que peu de mal à convaincre son père de lui prêter une part de sa fortune pour qu'il puisse ouvrir son propre négoce. Il n'aurait qu'à le rembourser dans les années suivantes avec le bénéfice de ses ventes.

La forge était idéalement placée. Dans les étages supérieurs, on comptait les commerces les plus réputés et les clients les plus fortunés. Sa passion pour la métallurgie et pour les armes le porta presque sans délai au rang des artisans les plus influents de la ville. Et puis, au fil des années, la concurrence solide le mit à mal. Enton n'avait jamais été considéré comme mauvais, mais son caractère bougon et sa raideur commerciale ont fini par handicaper son commerce, si bien qu'il perdit de sa superbe au fil des ans.

Mais à cette époque, il était encore le forgeron le plus connu de la capitale.

Et ce jour-ci, son four embrasé rugissait des nombreuses commandes qu'on lui avait passé.

Le jeune Enton passa un bras sur son front. Les courts cheveux bruns qu'il allait léguer à son fils étaient trempés de sueur. Son visage anguleux était tendu par l'effort, et son long tablier noirci par la cendre. C'était exactement l'état dans lequel il ne souhaitait pas se trouver pour accueillir la dame qui se trouvait sur le palier de sa forge.

Ses yeux s'écarquillèrent à la vue de cette femme : une cascade rousse bordait sa silhouette fine vêtue de cuir noir. Quelque chose d'exotique rendait son visage fascinant aux yeux du jeune forgeron. A son cou pendait un pendentif circulaire fait de bronze et serti de rubis, et Enton se prit à penser qu'il ne pourrait lui forger plus beau bijou, si elle était venue le lui demander.

Il se reprit, et son regard remonta dans les iris noirs de sa cliente, après tout, elle pourrait tout aussi bien venir pour une lame, il ne devait pas se faire de fausses idées.

Un sourire gêné étira ses lèvres :

"Bonjour ! J'aimerais... Vous demander un service." glissa t-elle, après avoir lâché un coup d'œil inquiet derrière elle.

"Tout ce que vous voulez !" assura Enton, reprenant contenance. "Bijoux, artefacts, lames en tout genre, si c'est en métal, je peux vous le faire !"

Elle balaya la forge d'un regard circulaire, avant de secouer la tête.

"Ce serait... Un autre genre de service." avança t-elle, hésitante. "Je peux entrer ?"

"Bien sûr !" accepta Enton, décontenancé, alors que sa cliente pénétrait son commerce à pas de loup. 

"C'est un peu délicat..." avoua t-elle, visiblement mal à l'aise. "La garde me cherche. Je vous jure que je n'ai rien fait de mal ! Je ne suis pas une voleuse. Il s'agit d'un malentendu... Mais je ne tiens pas à m'expliquer avec eux, ils ne comprendraient pas."

Le jeune forgeron écarquilla les yeux. La situation était compliquée.

"J'ai besoin d'une cachette. Ils fouillent tout l'étage, et il me faudrait juste de quoi me dissimuler quelques instants... Je ne pense pas qu'ils retourneront tout."

Enton gratta sa barbe. Il n'était pas spécialement contre l'autorité, mais il avait eu quelques mauvaises expériences avec les gardes qui l'avaient forcé à arrêter de travailler la nuit pour des raisons de bruit. Cette femme était bien charmante, mais le risque était important, et elle ne proposait rien en retour...

NationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant