My Last Game [ Tome 3 ]

37- Le Méchant

Yeri

Cette situation qui m'a emmenée à être isolée de ma famille et de mes amis pour me retrouver coincée dans une autre ville avec mon harceleur ne me plaît guère. Le seul rempart entre la brute et moi est Lucas, mais je doute de sa résistance lorsque l'ordre de fermer les yeux lui sera donné.

Tandis que nous fouinons dans les rayons bikinis d'un magasin, mon ancien cavalier revient sur la scène qu'il a observée à l'entrée du tunnel des vestiaires. Ne me sentant toujours pas prête à partager ma déception, je multiplie les articles à essayer puis fuis dans les cabines. Appartenant à une grande marque, les maillots de bain taillent à la perfection et m'oblige à faire des choix.

— Je paie, m'informe Lucas.

— Très drôle. Rends-moi mes ficelles.

— Profite du fait que je t'ai emmené loin de tes problèmes mais aussi que tu doives t'acheter des fringues pour toute la nuit.

— La nuit? C'est quoi ce délire ? Je pensais qu'on allait prendre un bain de soleil et rentrer tardivement dans la soirée.

— Jeonghan a une maison dans le coin. Enfin, je veux dire, ses vieux. Venge-toi et prends ce qu'il te faut pour dormir. Je t'offre ma carte.

— Pour faire passer la pilule, bien entendu. Et bien sache que je vais faire exploser ton plafond bancaire pour ne pas avoir mentionné ce fait plus tôt.

C'est le risque de côtoyer trop souvent Lucas. Je me montre moins vigilante et encaisse difficilement lorsqu'il ruse en me piégeant volontairement. Il faut donc que je me répète que le garder près de moi ne doit servir que mes intérêts.
Le passage suivant est dans une pharmacie pour me constituer une trousse de voyage, puis nous retrouvons le groupe, agacé par notre longue absence. Taeju se plaint d'une faim qui le terrasse et désigne quelques snacks que l'on pourrait emporter avant de prendre la route vers la villa. Je me fonds facilement dans le décor et allume mes voyants de prévoyance lorsque j'entends le grand chef ordonner à Hoshi de contacter quelques filles pour la soirée. Cette fête risque d'être alcoolisée et de dégénérer. Je dois donc commencer à élaborer un plan pour m'en sortir. Peut-être trouverai-je une pièce dans laquelle je pourrai m'enfermer à clé?

Ce n'est qu'en fin de journée après divers achats d'apéritifs et de boissons que nous posons les pieds dans une somptueuse demeure. Je place les bouteilles de soju dans des bacs remplis de glaçons pour les garder frais et surveille d'un oeil discret les allées et venues de cette équipe de football. Taeju ne m'accorde que peu d'intérêt mais je remarque toujours la présence d'un des sportifs dans la pièce où je me trouve. Et cela ne me dit rien qui vaille. La recherche de mon bunker est compromise. Je tente donc une déviation désespérée.

— Oh zut. Je crois que j'ai mes règles, dis-je en serrant les cuisses avec l'intonation de panique d'une actrice. Il faut que j'aille aux toilettes.

Hoshi grimace de dégoût et refuse de me suivre, ni de m'approcher. J'en profite donc pour envisager l'option fuite dans la nuit, à pied, sans téléphone et sans argent.

— Yeri, Yeri, Yeri... Dit celui qui me fait obstacle.

— Jeonghan... Excuse-moi de ne prononcer ton nom qu'une fois, je le trouve assez dégueulasse comme ça. 

La pique a atteint sa cible mais je vois mon adversaire se retenir de m'expédier son joli poing serré.

— Tu cherches quelque chose?

— Oui, la paix dans le monde. Excuse-moi, j'vais aller faire mon vœu dans les toilettes. 

L'esquive pour atteindre l'extérieur est avortée puisque le défenseur de l'équipe de foot me retient par le bras pour m'obliger à effectuer un demi-tour.

— Les toilettes, c'est par là-bas. 

— J'avais en tête les toilettes sèches mais celles en marbre feront tout aussi bien l'affaire.

Je n'ai d'autres choix que de mettre un maximum de distance entre cette fouine et moi mais le fait qu'il prenne position devant la porte de derrière ne m'arrange pas. Taeju occupe la piscine tandis que d'autres sont dans le salon qui donne sur la porte d'entrée. Je me retrouve coincée sans possibilité de fuite extérieure.
Les fenêtres deviennent donc une option qui ne m'emballe pas. Je n'ai pas vraiment la carrure pour me faufiler partout tel Ninja Warrior et les ouvertures sont bien souvent trop exposées ou étroites.

Dépitée, je me pose un moment sur les toilettes puis entraîne mon corps vers la salle de bain où je prends le temps de frotter si longtemps ma peau que plus aucun microbe ne pourrait s'y accrocher. En attrapant une serviette, je suis frappée par l'improbable opportunité qui s'offre à moi. Les battants des fenêtres sont assez larges pour que j'y plonge les yeux fermés. Me voilà transformée en cascadeuse prenant appui sur la baignoire et je me glisse hors de cette villa de malheur. L'atterrissage n'est pas aussi bien calculé  puisque je m'étale lamentablement dans la terre en contrebas. En époussetant mon corps, j'accepte volontiers la main tendue qui m'aide à me relever, puis réalise mon erreur. Le corps crispé, je me retourne pour découvrir Lucas qui me renvoie un visage attendri.

— Tu comptes aller où?

— Je... Prenais un peu l'air.

— En organisant une évasion à la Prison Break. C'est original.

— Peut-être parce que je ne fais pas confiance à tes amis et que je réalise que j'ai fait une grosse bêtise en acceptant de venir ici avec toi.

Ma sincérité le laisse songeur. Après quelques secondes à le voir fixer un point indéfini, je décide que je n'ai pas le luxe d'attendre qu'il redescende sur Terre. L'entrée du domaine ne comporte pas de portail ni de gardien, ce qui est enfin à mon avantage mais une distance interminable sépare cette zone résidentielle de la ville. Je vais donc devoir faire confiance à mes jambes et mes muscles.

— Attends, m'interpelle Lucas alors que je le contourne. Tu auras besoin de ça.

J'observe les clés de son véhicule qu'il me tend. Je ne sais si je comprends bien l'idée qu'il me soumet. Cela me paraît un peu trop beau pour être vrai.

— Ils risquent de te tomber dessus s'ils savent que tu m'as aidée.

— Sûrement, mais ce n'est pas le cas puisque j'ai été dépouillé de mes affaires pendant que j'étais aux toilettes, ajoute-t-il avec un clin d'oeil. N'oublie pas ton portable dans la boîte à gants et tu n'as pas intérêt à la rayer.

Le Méchant de l'histoire est-il condamné à toujours tenir ce rôle ingrat ou peut-il un jour changer de côté?
Je n'ai pas encore la réponse mais je ne peux pas me permettre de manquer cette opportunité. En me jetant dans le véhicule, je fais vrombir le moteur et quitte cet endroit de malheur avec soulagement. Je suis consciente que les choses auraient pu être bien pires.