L'Avènement de l'Astre Noir - Les Flammes Eternelles

Prologue - Cygollin

Kymberlin
An 6013 de l'ère de l'Équilibre

Des nuages se dispersaient en altitude, révélant un singulier phénomène astronomique : le disque solaire de l'astre Shaggan se morcelait, occulté par une noirceur céleste venue de nulle part, comme s'il était rongé par les ténèbres.

Cette anomalie, semblable à une éclipse, privait progressivement la région de sa lumière. L'ombre projetée par l'astre noir avançait, recouvrant peu à peu le paysage montagneux. Tour à tour, elle avalait les flancs enneigés des collines et leurs sommets acérés. En pleine journée, des forêts entières basculaient dans l'obscurité.

L'ombre s'étendit sur un lac gelé, pour atteindre un palais aux tours d'argent situé au centre de cette étendue inerte. Le palais lui-même semblait l'œuvre d'un fou. Il surgissait comme un glaive de la surface, donnant l'impression que ses fondations pénétraient profondément sous la glace. Ses tours crevaient la nuit telles les branches d'une fourche. Ses remparts luisaient d'une pâleur surnaturelle qui seule semblait capable de résister à la progression de l'obscurité.

En même temps, autour du palais, la surface gelée du lac craquelait sous l'influence d'une force inconnue.

Soudain, une fissure plus profonde que les autres fendit la glace. Elle progressa vers le palais, comme s'il s'agissait d'un appendice produit par l'obscurité céleste, et partit à l'assaut de ses remparts.

A l'intérieur du palais, dans une immense salle de cérémonie aux dalles de marbre, couvertes de givre, sous un plafond d'une hauteur prodigieuse, soutenu par des arcades monumentales, se trouvait un trône de pierre noire.

Et sur le trône, un être sans âge était assis.

L'être était à ce point immobile qu'il semblait mort ; ou peut-être dormait-il.

Un craquement retentit suite à l'assaut de la fissure propagée sur le lac. La secousse fit trembler un immense lustre de cristal tout en haut de la salle de cérémonie, arrosant le dôme de poudre de givre.

Alors, subitement, l'être sur le trône ouvrit les yeux.

Ses yeux étaient entièrement noirs, sans iris ni pupille. Aucune émotion n'habitait ce regard, seulement la froideur de l'oubli. L'être appartenait à une autre époque, c'était un des derniers représentants de son espèce. Il avait vécu des temps immémoriaux et côtoyé des créatures légendaires. Il avait connu les Guerres Noires et l'avènement de l'Équilibre. C'était un des rares individus, sur Kymberlin, pouvant se targuer d'une telle longévité.

Tout ce temps, il était resté ici, sur ce trône - lui, le Gardien de Cygollin - pour accomplir le rôle qui lui avait été assigné.

Soudain, le tintement métallique d'un glaive retentit dans son dos. Le Gardien eut à peine le temps de comprendre ce qui se tramait, qu'une lame puissante s'abattit sur son trône, tranchant le majestueux siège d'obsidienne si parfaitement en deux que ses tronçons s'abattirent symétriquement sur les dalles millénaires.

Le Gardien cependant était indemne. Il s'était comme volatilisé au moment de l'impact, lui permettant d'échapper à la mort.

Il réapparut quelques mètres plus loin, debout face à son assaillant, qu'il toisa de ses yeux intensément noirs. 

  – Qui t'a libéré de ta prison ? gronda-t-il.

En arrière, cinq redoutables silhouettes rejoignirent l'assaillant : cinq silhouettes toutes jumelles avec la première, y compris une femme. Et davantage encore, ils étaient les propres jumeaux du Gardien. Seules leurs tenues blanches de captifs, ainsi que de rares traits sur leur visage, comme une balafre pour l'un d'eux, les différenciaient.