7 - Seuls au Monde

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La nuit était tombée sur les Terres Australes.

C'était la troisième depuis le départ de l'Astre Noir : une vraie nuit, ordinaire, non provoquée par des forces ancestrales. En ce qui concernait la communauté des Güunars, c'était comme si le phénomène astronomique n'avait pas eu lieu. Il n'avait changé ni leurs habitudes, ni leur manière de penser.

La blancheur des paysages enneigés avait pris une teinte rosée sous la lueur de la première lune, Onde, colorée de cette teinte propice aux rêveries. Les montagnes à l'horizon n'en étaient que plus féeriques sous cet éclairage. 

D'après les explications de Keira, pour laquelle il s'agissait de la quatrième nuit dans ces territoires inconnus, une seconde lune apparaîtrait, plus tard, vers le milieu de la nuit. Cette seconde lune portait le nom de Inrha, mot qui désignait également le nom de la saison froide de Kymberlin.


Mark et Keira avaient passé la journée parmi les Güunars, sans réellement se mêler à eux, mais suffisamment pour ressentir à la fois toute la singularité et l'authenticité de leur culture. Ils étaient comme deux orphelins recueillis par une famille étrangère, dont ils profitaient de l'hospitalité avec des yeux un peu craintifs.

Si l'on exceptait le réveil de Mark, ils n'avaient pas beaucoup parlé, mais ils éprouvaient le besoin de la proximité de l'autre. La sensation d'isolement profonde liée à leur sort les avait rapprochés, au point qu'ils ne s'étaient guère quittés. Quelque part, ils n'avaient plus que l'un et l'autre, tout le reste donnait l'impression de s'être effondré sous leurs pieds. La soirée Archanger, pourtant datant d'à peine quelques jours, paraissait si lointaine que son souvenir peinait à se maintenir. Quant au périple dans la montagne qui les avait menés jusqu'ici, leurs souvenirs en étaient plus que ténus. C'était comme si leur mémoire les avait chassés, dans une volonté délibérée de les protéger du traumatisme subi.


A la tombée de la nuit, les deux exilés s'étaient installés au sommet du dôme, assis sur un petit tertre de glace. Enveloppés dans une grande peau jusqu'à la tête, serrés l'un contre l'autre pour conserver la chaleur, ils observaient religieusement le ciel étoilé.

Même sachant qu'ils ne pourraient sûrement pas rester longtemps sous cette température glaciale, ils ne ressentaient aucune envie de rentrer. Il faisait froid à l'extérieur, mais un brasier les consumait à l'intérieur. Ils se tenaient dans un état intermédiaire entre rêve et pensée, qui les rendait tout à la fois nostalgiques, inquiets, et exaltés.

Jamais ils n'avaient vécu une telle situation, jamais ils n'auraient imaginé la vivre, même dans leurs rêves - ou cauchemars - les plus fous. Ils avaient la sensation de se trouver au carrefour de forces cosmiques qui les dépassaient, les écrasaient. En même temps, ils se sentaient vivants comme jamais ils ne l'avaient été, leurs sens aux aguets du moindre détail, qu'il vienne du dehors ou d'eux-mêmes.

Des milliers de pensées confuses se bousculaient en eux. Ils pensaient à leur famille, leurs proches, aux répercutions de leur disparition subite. Ils pensaient à toutes ces personnes, sur Terre, qui poursuivaient une existence normale, enviant leur sort, mais en même temps incrédules à l'idée qu'ils puissent vivre en ignorant l'existence de tels mystères cosmiques.

Ils pensaient beaucoup à leurs compagnons d'aventures : Karim, Tristan et Noa pour Mark ; Julian et ses sœurs pour Keira. Ils étaient à la fois proches d'eux, et si lointains qu'ils pouvaient ne jamais se revoir, tous autant qu'ils étaient, si le sort en voulait ainsi.

L'Avènement de l'Astre Noir - Les Flammes EternellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant